Mimi trahie ?

par pierre Dieme

Lâchée par ses anciens camarades, distante de certaines forces de l’opposition qu’elle a toujours pourchassées et traquées, Aminata Touré, chantre de la traque des biens mal acquis, aujourd’hui dans le viseur du régime, risque d’être fragilisée par son discours centré sur l’indépendance de la justice et la neutralité des corps de contrôle.

Mimi Touré, il y a quelques semaines : “Nul ne saurait, à cette étape de ma vie administrative et politique, ternir ma réputation et mon intégrité. Je me réserve le droit d’ester en justice contre toute tentative de diffamation ou d’intimidation.’’ Avant elle, d’autres hommes et femmes politiques ont martelé aussi fort cette rengaine. C’est le cas, par exemple, d’Abdoul Mbaye, ancien Premier ministre de Macky Sall.

Ce dernier, en lançant son parti l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (ACT) en 2016, n’avait pas manqué de dénoncer les “intimidations’’ dont il disait être victime. Il en a été de même d’Aida Ndiongue, Bara Sady, Khalifa Ababacar Sall, pour n’en citer que ceux-là.

Alors Envoyée spéciale du président à l’époque, Mimi n’hésitait pas à monter au créneau pour porter la réplique. Dans un contexte où la justice faisait l’objet de toutes les critiques, y compris même parmi ceux qui sont censés la rendre, elle disait : “L’argument de la persécution politique et la victimisation ne peuvent pas prospérer face aux dossiers privés en justice où l’Etat n’a d’ailleurs rien à voir. Evoquer l’inquisition politique pour se soustraire à la justice, c’est des arguments déjà entendus. Mais bon, la vie politique sénégalaise a vu passer beaucoup de trains.’’

Tel un “sniper’’, l’ancienne Missi Dominici n’hésitait jamais à monter au créneau, pour s’en prendre, vigoureusement, à quiconque s’en prenait à son mentor de président. Toujours à l’intention de son prédécesseur à la station primatoriale, elle ajoutait : “Contrairement à ce qu’il subodore en filigrane, il n’y a aucune intimidation à son égard. Notre démocratie a dépassé ce stade, notamment au moment où le président de la République appelle au dialogue.’’

Dans le discours de l’ancienne présidente du Conseil économique, social et environnemental (Cese), la justice, les corps de contrôle et le gouvernement ont toujours eu les bons rôles. Leurs détracteurs voués systématiquement aux gémonies. Aujourd’hui, elle choisit bien ses mots. D’une posture de tireur d’élite préféré du régime, Mimi passe à une position de cible privilégiée pour ses ex-collaborateurs. Ironie de l’histoire, c’est un de ses anciens souffre-douleurs qui monte le premier au front pour prendre sa défense.

Sur son compte Twitter, Abdoul Mbaye a réagi aux informations selon lesquelles l’Inspection générale d’Etat serait lâchée sur les traces de son successeur à la Primature. D’un air empreint de dépit, celui qui s’est estimé victime de l’ingratitude du régime actuel fulmine : “De grâce, prenez l’habitude d’un minimum d’élégance (envers vos anciens collaborateurs). Ils vous ont servis. Leur récompense ne peut être dénigrement et insultes, dès le lendemain de leur éviction. Arrêtez ce mauvais spectacle que vous donnez de la politique.’’

Une “compassion’’ qui en dit long sur les sentiments de l’ancien limogé et “persécuté’’ du régime. Pourtant, les flèches de l’ancienne envoyée spéciale à son encontre sont encore vivaces à l’esprit. Quand il s’agissait, en effet, de défendre Macky Sall et ses actes, Aminata y allait rarement du dos de la cuillère. Et tous les moyens semblaient bons pour laver à grande eau son mentor et le régime entier. “Abdoul Mbaye, disait-elle, ne peut pas avoir de positions objectives, car ses capacités intellectuelles, par ailleurs indéniables, sont altérées par une rancœur tenace. Il ne pardonne pas au président Sall de l’avoir remplacé. Je crois qu’il ne le lui pardonnera jamais’’. Avant d’ajouter pour remettre à sa place le président de l’ACT : “Les élections lui ont clairement dit ce qu’il pesait de son attitude, puisqu’aux élections législatives, il a eu trois (3) voix dans son propre bureau de vote. Au niveau national, Abdoul Mbaye a vaillamment obtenu 14 231 voix sur 3 310 435 électeurs qui sont allés aux urnes, soit 0,4 % du suffrage.’’

Pendant qu’Abdoul Mbaye compatit, néanmoins, d’autres vont rire certainement sous cape. Voir Aminata Touré sur une posture aussi défensive face à la justice et aux organes de contrôles… Qui l’eût cru ? Ce n’est certainement pas au Parti démocratique sénégalais (PDS). Chantre de la traque des biens mal acquis, Aminata Touré aura été l’incarnation même de ce que le parti de Wade a toujours considéré comme une chasse contre ses principaux responsables, en particulier son candidat que Mimi assimilait à “une grenouille qui gonfle et qui gonfle, pour avoir la taille d’un bœuf’’, mais qui finira par éclater.

“Le discours fanfaron du repris de justice Karim Wade s’adresse à ses partisans désespérés par son absence, à dix mois de l’élection présidentielle, après moult annonces reportées. Ce serait bien de le revoir ici chez nous avec le chèque de 138 milliards qu’il doit aux contribuables sénégalais’’, lançait-elle, narquoise, en 2018, à l’annonce par Karim Wade de son retour pour en découdre avec Macky Sall.

Fervente défenseure du régime en place, l’ancienne Premier ministre semblait avoir un contentieux bien particulier avec le fils de l’ancien président, dont elle a été la principale meneuse dans la procédure ayant conduit à sa condamnation à 6 ans de prison ferme et des amendes d’un montant de plusieurs dizaines de milliards F CFA.

De là lui vient d’ailleurs toute son aura. “Dame de fer’’, “Margareth Tchatcher’’… aucun superlatif n’était de trop pour la Mimi de l’Alliance pour la République. À telle enseigne que sa promotion comme Premier ministre avait été vue par certains comme un moyen de lui couper les ailes.

Comme un bouclier, Mimi a toujours enfilé sa robe d’avocate pour plaider la cause du régime, de ses instances et de la justice qui l’a tant promue. Dans ses diatribes, elle n’avait pas épargné l’ancien maire de Dakar Khalifa Ababacar Sall, jugé pour, entre autres, détournement de deniers publics. Quand des sommités du monde lui témoignaient secours et affection, Mimi avait du mal à le digérer. Au maire de Montréal Denis Coderre, elle avait répondu de manière très sèche : “Sa mairie a fait l’objet d’investigations pour faits de corruption graves et la commission Charbonneau et l’Unité permanente anti-corruption de la police canadienne ont produit un rapport qui vaut le détour. Les conclusions sulfureuses de ce rapport ont mis en exergue un vaste système de corruption basé sur des appels d’offres truqués au sein de la mairie de Montréal, avec versement de pots-de-vin à divers politiciens.’’

Très remontée contre M. Coderre dont le tort a été de défendre son collègue maire de Dakar, elle ajoutait : “En juin 2013, le maire de Montréal, Michael Applebaum, a été arrêté pour faire face à 14 chefs d’accusation, y compris ceux de corruption et d’abus de confiance. Votre prédécesseur a été reconnu coupable en

janvier dernier de fraude envers le gouvernement canadien, abus de confiance et de complot dans le but de commettre un abus de confiance.’’

Par-là, l’ancienne garde des Sceaux qui voue ou qui vouait une confiance aveugle aux institutions, voulait montrer ceci : Au Canada comme au Sénégal également, “la corruption des élites est tout aussi inacceptable… Ce message est aussi adressé à votre collègue Madame la Mairesse de Paris qui doit bien se souvenir du scandale des faux emplois de la mairie de Paris qui ont, en leur temps, défrayé les chroniques judiciaires’’.

Retour de bâton

Aujourd’hui dans le viseur du régime, l’ancienne ministre aura d’abord comme principal adversaire son ancien discours. Elle en qui certains voyaient une avocate du diable ; celle qui n’hésitait pas à aller en première ligne pour défendre, non sans démagogie pour certains, les décisions de justice et de l’Etat les plus controversées.

Le pire, c’est que Mimi risque d’avoir même du mal à saisir certaines instances communautaires et internationales, si jamais les foudres de Dame Justice s’abattaient sur elle.

En effet, même quand l’ONU demandait au Sénégal de revoir certaines de ses décisions, la prédécesseure d’Idy gonflait et rouspétait : “Le Groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires devrait mieux utiliser son temps et son énergie, car l’affaire Karim Wade a été définitivement jugée par la justice sénégalaise, seule compétente en la matière.’’ Et de préciser comme pour dénier tout pouvoir à cette instance onusienne : “Il n’a qu’un avis d’expert à émettre qui, de toute façon, n’a aucune incidence sur la souveraineté juridique du Sénégal qui dispose d’un système judiciaire équitable et de juges compétents.’’

Mimi Touré avait eu presque la même posture contre les décisions rendues par la Cour de justice de la CEDEAO notamment. C’est-à-dire vanter les compétences et la crédibilité des juges sénégalais, ainsi que du système.

Aujourd’hui encore, il y a les mêmes juges compétents, le même système judiciaire, les mêmes textes et les mêmes institutions. Mimi va-t-elle rester constante dans son discours, par rapport à l’indépendance de la justice et à la neutralité des corps de contrôle ? Une question à mille balles. Aussi, peut-on se demander ce qu’elle dira, face à Khalifa Sall, Karim Wade, Aida Ndiongue, Bara Sady, Alioune Aidara Sylla, à la société civile qu’elle a accusée d’être partisane…

Mor AMAR

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