CNRI, CNRF, Dialogues… : au cimetière des commissions mort-nées

par pierre Dieme

«Si vous voulez tuer une affaire, confiez-là à une commission». Au Sénégal, cette assertion d’un homme politique français a trouvé son terrain de jeu. Créées à la pelle pour étouffer un sujet en débat, les commissions à l’obsolescence programmée sont, dans leur quasi-totalité, à l’état de mort clinique.

Depuis qu’il est au pouvoir, en 2012, des commissions, Macky Sall en a créées la tonne et le quintal. De la Commission nationale de la réforme des institutions à la Commission du Dialogue national, nombreux ont été ces «machins» – pour reprendre le terme de De Gaulle – qui, au final, n’ont servi qu’à enterrer un sujet en débat.

La Cnri a été la première à passer sous les fourches caudines de cette (mauvaise) volonté présidentielle. Mise en place et présidée par le Pr Amadou Makhtar Mbow, cette commission, au bout de plusieurs mois de travaux, dépose un rapport contenant une batterie de mesures destinées à moderniser notre système de gouvernance politique avec une prééminence du Pouvoir législatif. Grosso modo, il s’agissait de mettre en œuvre la quintessence des conclusions des Assises nationales qui ont eu lieu en 2008. Le lendemain de la publication, dans la presse, des grandes lignes de ce paquet de réformes, Ismaïla Madior Fall, ministre-conseiller du président de la République monte au créneau pour un recadrage en règle de la team Mbow, Mamadou Lamine Loum… Il les accuse d’avoir outrepassé leurs prérogatives en proposant un projet de Constitution. En synchro, de Pékin où il séjourne en visite officielle, le président de la République embouche la même trompette, déclarant qu’il ne va prendre de la mouture de la Cnri que ce qui l’intéresse. Et c’est ce qui va effectivement se passer. En 2016, dans le package à soumettre au référendum, on retrouve quelques lignes tirées du rapport Mbow. Des lignes qui «arrangent» le pouvoir en place. En 2019, juste après sa réélection, le Président Sall vide le rapport de ce qui faisait sa substance. Il supprime, en effet, le poste de Premier ministre ainsi que les moyens d’actions réciproques entre l’Exécutif et le Législatif, réduisant le dernier nommé au rôle de boîte d’enregistrement des volontés du premier. Renforçant, au passage, ses propres pouvoirs.

Tout comme la Cnri, la Commission nationale de réforme foncière (Cnrf) est à l’état de mort clinique. A sa création, elle est d’abord confiée à Me Doudou Ndoye. Ancien ministre de la Justice et auteur d’une riche littérature sur le droit foncier sénégalais, Me Ndoye est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Après son installation, il se retrouve avec une coquille vide, réduit à regarder les mouches voler. Fidèle à son tempérament, Me Ndoye ne tardera pas à rendre le tablier. Dans la foulée, le président de la République le fait remplacer par feu le Pr Moustapha Sourang. Le «bureau d’études» que dirige l’ancien doyen de la Fac de Droit est réduit à quelques tournées dans les régions. Et c’est pour se rendre compte qu’ils ne servaient finalement qu’à remplir une cage du décor. Depuis la disparition de son Président, plus personne n’entend parler de cette commission.

Le dernier exemple en date, c’est la Commission du Dialogue national dont l’avenir est compromis par l’absence d’un décret de prorogation. Une manière subtile, selon certains, de pousser l’ancien ministre de l’Intérieur à quitter son poste pour y placer un homme plus malléable et plus accommodant. Il se susurre que Famara Ibrahima Sagna et son équipe ont dû compter avec un budget jamais honoré. La prévision initiale était de 203,200 millions de francs Cfa. Or, seule une avance de 100 millions de francs a été versée dans le compte bancaire ouvert pour le comité à la Société générale Sénégal.

Entre rémunération de ses agents, dépenses en produits de consommation, achats de matériels divers et de fournitures de bureau, frais de restauration, location de matériel, etc., l’ancien Président du Conseil économique et social aura dépensé près de 95 millions de francs. Soit un solde positif de 5 millions. La crise sanitaire due au coronavirus aura été le prétexte évoqué comme ayant freiné les activités de la commission qui englobe aussi le Dialogue politique. Une commission dont le travail est terminé depuis que Macky Sall et son «redoutable adversaire», Idrissa Seck, se sont retrouvés.

Ibrahima ANNE

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