Les artistes et les acteurs culturels regroupés autour de la Coalition des acteurs de la musique sont divisés sur certaines questions les concernant. Hier, certains d’entre eux ont annoncé qu’ils vont braver l’arrêté du gouvernement interdisant de faire du spectacle dans les débits de boissons et qu’ils tiendront leur manifestation le 23 décembre, quoi qu’il en soit. D’autres, par contre, décident de calmer le jeu et de continuer les négociations.
Les professionnels du monde de la culture ne décolèrent pas. Réunis au sein de la Coalition des acteurs de la musique (Cam), ils ont rencontré, pendant deux jours, les autorités pour trouver des solutions à la reprise des activités dans ces moments de ‘’traite’’ que sont les fêtes de fin d’année. Surtout qu’ils sont restés 10 mois sans travailler.
Ainsi, à la suite de différentes péripéties qu’ils ont vécues ces derniers jours, ils ont tenu, hier, une conférence de presse. Tous ont regretté le fait que les négociations avec les autorités étatiques, notamment avec le ministre de l’Intérieur, n’aient pas abouti. Parce que c’est au moment où ils espéraient recevoir une réponse positive, qu’il leur a été rétorqué que les cas positifs à la Covid-19 viennent d’augmenter de manière importante.
’’Un ministre a organisé une manifestation hier (NDLR : ce jeudi, un diner de gala tenu au musée des Civilisations noires), avec le concours d’un orchestre. Donc, ce que nous notons, c’est deux choses : la première, c’est qu’ils ont bravé l’interdiction qu’ils nous ont notifiée. Et eux-mêmes, ils prouvent qu’en respectant les mesures, on peut faire jouer un orchestre’’, a déclaré la Cam. La patronne de Prince Arts, Ngoné Ndour va plus loin. ‘’Des photos de cette soirée ont été publiées sur Facebook, au moment où on nous demande de ne pas jouer. Les gens ne respectaient ni la distanciation exigée ni le port des masques. On ne comprend pas cette interdiction, parce que, quand on a ouvert les bars, les lieux de spectacles, etc. on n’a pas eu vent d’un cas de Covid issu de ces lieux’’, s’est-elle plainte.
Si tous les artistes et les acteurs culturels dénoncent cette situation, ils ne s’entendent pas sur une démarche commune. Si certains jouent la carte de la négociation, d’autres sont à bout de nerfs. Ainsi, ces derniers ont décidé de commencer à réanimer les lieux de spectacle dès aujourd’hui. ‘’On est fatigué. On va travailler. On demande à la communauté artistique d’aller travailler. On va investir les hôtels, les lieux de diffusion. On est fatigué. On n’arrive même plus à regarder nos enfants dans les yeux, parce qu’on ne peut plus subvenir à leurs besoins’’, a dit Ngoné Ndour. Membre de l’association Sama instrument qui est affiliée à la Cam, Moustapha Diop peste : ‘’Nous, nous avons décidé qu’à partir de demain (aujourd’hui), nous allons commencer à travailler, parce que l’Etat lui-même ne respecte pas son arrêté. Le ministre des Finances a organisé un dîner de gala avec spectacle. Si eux-mêmes ne respectent pas leur propre décision, je ne vois pas comment on peut être plus royaliste que le roi.’’
‘’Cela fait 9 mois qu’on nous interdit de travailler et on ne nous donne pas les moyens de vivre. Il y a deux possibilités : soit on nous laisse travailler et gagner notre pain ou bien qu’on nous permette de vivre, et donc qu’on nous donne des subventions nous permettant de prendre en charge nos besoins. Mais l’Etat sénégalais ne nous laisse aucune des deux options aujourd’hui. Ce n’est pas possible. Et ça ne peut pas continuer’’, rouspète-t-il. Avant de souligner qu’ils ont reçu 127 mille francs CFA, alors qu’ils sont restés pendant 9 mois sans travailler, dans le cadre du fonds Force-Covid-19.
Il juge ainsi cette somme dérisoire, pour ne pas dire insignifiante. ‘’Ça ne règle pas nos problèmes. L’Etat nous met dans une situation où nous n’avons pas de revenu et où nous ne pouvons pas travailler’’, a-t-il regretté. Ce que confirme l’acteur et conteur Matar Diouf. Il soutient qu’aujourd’hui ‘’l’Etat tue plus que le virus. On a des dizaines de milliers d’artistes qui n’ont plus de quoi nourrir leur famille.’’ Il ajoute : ‘’aujourd’hui, j’ai envie de dire, M. le Président vous êtes le premier protecteur des Arts et des artistes, mais vous êtes en train de tuer la communauté artistique. M. le Président, on nous avait dit qu’il y avait beaucoup de cas de coronavirus et qu’il fallait fermer les lieux de diffusion. Nous avions compris la situation. Mais là, l’Etat fait ce qu’il nous interdit’’, se désole-t-il. ‘’A l’université, nous avons des amphithéâtres qui peuvent accueillir 1500 ou 2000 étudiants. Sorano compte 1200 sièges. Et il est possible d’en occuper que les 500 pour respecter les mesures barrières. Mais on nous dit non le virus va se propager là-bas pas dans les amphis. On ne comprend pas pourquoi on dit que le virus va se propager dans ces lieux. C’est peut-être parce que c’est le ‘’tama’’ qui fait vivre le virus’’. Ngoné Ndour se demande si ‘’de 8 à 22 H le virus dort et ne se réveille qu’à 23H’’.
Le coordinateur de la Cam, Daniel Gomes, lui, essaye d’apaiser les humeurs de ses collègues. Il a un ton beaucoup moins colérique, bien qu’il semble évoquer le deux poids, deux mesures noté. Ce que certains appellent une stigmatisation de la culture. Il laisse entendre que la Cam prendra son mal en patience, le temps que le nombre de cas positifs au nouveau coronavirus baisse à nouveau. ‘’Nous avons compris ce que le ministère de l’Intérieur nous a dit, même si c’est vrai que ce n’est pas nous qui avions apporté la maladie. Ce que nous ne voulons pas, c’est que demain, qu’on vienne nous dire : ‘Le nombre de cas a augmenté à cause de vous.’ Nous sommes quand même responsables. Nous ne pouvons pas venir pousser les gens dans la propagation du virus. Nous acceptons de suivre au jour le jour avec un comité de veille, pour attendre que la tendance baisse, qu’on puisse reprendre progressivement le travail, a avancé M. Gomes. Ngoné Ndour est plus précise : ‘’on sait qu’on n’aura pas cette autorisation, mercredi. Mais nous tiendrons notre sit-in, malgré tout’’.
Par ailleurs, les artistes et les acteurs culturels avaient prévu un sit-in, jeudi dernier. Ils n’ont pas pu le faire, puisque l’autorité leur a fait comprendre que les délais de dépôt n’étaient pas respectés. Avant-hier, Ils avaient déposé une nouvelle demande, pour espérer pouvoir tenir le sit-in le 23 décembre.
Cette question, également, divise les membres de la Cam. En bons négociateurs, certains comme Daniel Gomes parlent de sin-tin ‘’symbolique’’, ‘’pacifique’’ et que sa tenue dépendra de la réponse des autorités étatiques. Mais pour d’autres, ce n’est ni plus ni moins qu’une manifestation d’humeur. ‘’Le sit-in, je le rappelle, est pacifique. J’entends des gens dire ‘marche’, mais c’est un sit-in. Nous voulons que les artistes viennent s’asseoir en respectant la distanciation sociale avec des pancartes de revendication’’, a expliqué M. Gomes.
Et d’ajouter : ‘’C’est juste un symbole. C’est une manifestation silencieuse avec nos masques et gels, pour que les populations et les autorités se rendent compte de l’ampleur de la crise chez les acteurs culturels. Parce qu’on a l’habitude de voir les acteurs de premier plan, mais on ne se rend pas compte que derrière une vedette, il y a au minimum une vingtaine de personnes qui travaillent, qui sont des techniciens, des managers, des bagagistes, etc.’’.
Ainsi, précise-t-il, il ne s’agit pas seulement d’une économie de la musique, mais d’une économie de la culture. Une culture qui embarque avec elle l’économie du tourisme. ‘’Donc, nous avons tout ça par ricochet. La culture a perdu près de 100 milliards. Nous vivons en grande société. C’est important qu’on sache que nous ne sommes pas des amuseurs publics. Nous sommes des citoyens, des travailleurs au même titre que les autres’’, a-t-il conclu.
De leur côté, Moustapha Diop et Cie restent catégoriques. Ils soulignent qu’ils vont tenir le sit-in mercredi prochain, quelle que soit la réponse qu’on leur servira. ‘’Nous allons le tenir, que la réponse soit positive ou négative. Parce que nous avons respecté tout ce qu’on nous a demandé en termes de délais et autres. Il est de notre droit de pouvoir manifester, comme nous le permet la Constitution. Nous allons, le mercredi 23, manifester, dire notre mécontentement par rapport à la situation, à la façon dont on nous a traités’’, pestent-ils.