Longtemps passée entre les doigts du régime en place, la ville de Dakar représente un enjeu de taille pour les acteurs politiques. C’est du moins la conviction de l’Enseignant chercheur à la Faculté des Sciences juridiques et politiques à l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, Sérigne Thiam. Joint par la rédaction de Sud Quotidien, M. Thiam reste persuadé que l’entêtement du régime en place à vouloir vaille que vaille contrôler la ville de Dakar, quitte à la supprimer, réside sur le fait que la perte de la capitale sénégalaise sonnerait comme une illégitimité des tenants du pouvoir au niveau local. Qui plus est, il considère qu’après la mise à l’écart d’Amadou Ba, le camp du pouvoir se cherche toujours, subissant ainsi les contrecoups de sa «météo politique»
Le débat sur la suppression de la ville de Dakar et autres s’est posée avec la sortie du ministre porte-parole du Gouvernement, Oumar Guèye. Quelle lecture politique en faites-vous?
On parle de la ville de Dakar et des autres villes, à savoir Dakar, Pikine, Guédiawaye, Rufisque et Thiès. Je pense que c’est quelque chose que le ministre Oumar Guèye avait proposé lors d’une émission et cela a suscité moult réactions. C’est tout à fait normal parce qu’on parle de Dakar, on parle de la capitale politique et économique du Sénégal. Si vous avez souvenance de l’historique, le régime a commencé depuis la question de la caisse d’avance de la mairie de Dakar. Ils ont reproché au maire d’alors, Khalifa Sall, une mauvaise gestion. Ce qui a conduit à son arrestation et sa condamnation. Tout cela, dans une perspective de vouloir contrôler la ville de Dakar qui échappe toujours à ces tenants du pouvoir, qui échappe toujours aux gens de l’Apr et à leurs alliés. Après la condamnation de Khalifa Sall, ils ont voulu contrôler Dakar en parlant de nomination. Dans le fond, c’est quelque chose qui est très illusoire. Le maire de la capitale doit être une émanation de la volonté populaire et locale pour avoir une certaine légitimité. Parce que si quelqu’un a le pouvoir de nommer, il a le pouvoir de démettre la personne nommée. Cela veut dire que cette personne nommée ne pourra pas avoir cette indépendance dans la manière de poser des actes. Du moment que cette proposition avait créé une réaction très vive et très négative dans l’entendement que les Sénégalais ont de ça et par rapport aux acteurs politiques, ils ont laissé cette proposition pour nous parler maintenant de suppression. Pourquoi supprimer ? Quel est l’enjeu ? Quel est l’intérêt de supprimer ces villes, surtout Dakar, qui a existé avant l’indépendance de notre pays ? C’est une manière de dire : «si je ne peux pas contrôler Dakar, personne ne va le contrôler». S’ils suppriment la ville de Dakar, que mettront-ils à la place ?
Comment comprendre alors cette suppression alors que le chef de l’Etat, Macky Sall, avait promis aux populations de Keur Massar d’ériger leur collectivité territoriale en département ?
J’ai noté une certaine contradiction par rapport à leur manière de faire. Parce que le président de la République, lorsqu’il était allé à Keur Massar, avait donné une réponse politique aux populations en leur promettant d’ériger Keur Massar en département. C’est-à-dire, on crée un département pour élargir. A ce niveau-là, je ne comprends pas l’attitude de ceux qui gèrent le pays. Par rapport à tout cela, tout ce qu’ils veulent, c’est de faire en sorte que Dakar soit une capitale gérée par les Apéristes. S’ils n’arrivent pas à le faire, ils vont essayer de tout faire pour que quelqu’un d’autre ne le gère pas. Ce qui leur permettra de mettre la main sur les 50 milliards de budget, comme le dit le maire de Mermoz Sacré Cœur, Barthélémy Dias. Si vous vous rappelez, à un moment donné, les réactions de Moustapha Cissé Lo qui avait dit que forcément, il sera candidat pour Dakar, qu’on le veuille ou pas. Tout cela entre dans la volonté de diriger Dakar. S’ils n’y arrivent pas, ils vont essayer de trouver du superflu allant dans le sens de créer des situations inespérées pour gérer la ville de Dakar, qui est quelque chose de très normal pour un président. Parce que perdre une capitale, c’est en quelque sorte comme si on perd une légitimité locale. C’est quelque chose qu’ils n’arrivent toujours pas à comprendre.
N’avez-vous pas l’impression que c’est en réalité un ballon de sonde lancé, surtout quand on voit l’évolution du discours, tantôt il faut donner à Dakar un statut spécial, tantôt nommer le maire de la ville de Dakar, maintenant supprimer la ville ?
Effectivement, ils ont la cartographie des zones dans lesquelles ils sont très forts, et celles où ils risquent d’avoir des ennuis. Vous savez que Khalifa Sall n’avait pas perdu la mairie parce que les populations Dakaroises l’ont voulu ainsi. Il a perdu la ville par rapport à des considérations politiques. Puisqu’il ne voulait pas s’allier avec eux, il fallait l’écarter. Aujourd’hui, on parle de coalition entre Khalifa Sall et Ousmane Sonko. Cela risque de faire mal lors des prochaines joutes locales. Dans ce cas de figure, ils savent que s’ils partent sous ce tempo, ils risquent de perdre la ville de Dakar. Cela va créer une sorte de dualité au sommet. Si Khalifa Sall reprend la ville de Dakar et que Macky Sall est toujours là, cela va créer des ambitions présidentielles, car si la population Dakaroise est favorable à Khalifa Sall lors des locales, cela voudrait dire qu’elle lui sera encore favorable pour les prochaines élections présidentielles. Tout cela, ils l’ont compris, et ils essaient de manœuvrer pour essayer de maintenir Dakar, au cas contraire, ils vont le supprimer tout bonnement.
Que dit le Code général des Collectivités territoriales ?
Le Code général des collectivités territoriales, si vous voyez les dispositions des articles allant de 167 à 187, ils reviennent sur les compétences des villes qui sont en réalité des choses qui relèvent d’une certaine souveraineté et qu’on ne peut pas supprimer pour des besoins politiques. S’ils pensent pouvoir le faire à travers les textes, ceux-ci ont verrouillé ces villes qui sont devenues des entités intouchables par rapport à leur structuration, à leurs compétences, à leur création. C’est pour cela que vous avez noté la réaction très vite des conseillers de Khalifa Sall et des autres acteurs. Ils ont renvoyé le ministre Oumar Guèye dans les textes, pour lui faire comprendre qu’ils ne peuvent pas supprimer. On peut créer des villes, des entités, mais on ne peut pas les supprimer pour une sorte de recomposition, même si le ministre Abdoulaye Diouf Sarr essaie de dire que l’appellation n’est pas importante et que c’est le contenu qui l’est. En réalité, c’est un enjeu politique simplement, mais ce n’est pas un besoin exprimé par les Sénégalais et ça ne se reflète pas ni sur l’économie, la Santé, l’éducation, etc. C’est purement politique.
Est-ce quelque part, le chef de l’Etat, Macky Sall n’est pas en train de payer son erreur politique, celle d’avoir écarté Amadou Ba qui a fait une percée politique dans la capitale, poussant même certains à le considérer comme le candidat idéal pour la conquête de Dakar?
Naturellement ! Non seulement le régime se cherche, mais il cherche un potentiel candidat qui leur est favorable. Lorsqu’ils ont senti la possibilité de percée d’Amadou Ba qui était intéressé par la ville de Dakar et qui avait un bon positionnement dans l’échiquier politique, ils ont compris au-delà de cela qu’Amadou Ba voudrait être président de la République. Puisqu’on ne connait pas exactement les ambitions du président Macky Sall, notamment pour le troisième mandat, ils ont vu en Amadou Ba quelqu’un qui a des ambitions indéfendables à leur niveau. Ils ont écarté Amadou Ba. En l’écartant, ils ont écarté un allié de taille pour la conquête de Dakar. Maintenant, ils se cherchent. Présentement, vous ne pouvez pas citer un nom issu du camp présidentiel qui va recueillir l’assentiment de tous pour la ville de Dakar. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est soit avoir Khalifa Sall comme leur allié. S’ils pensent qu’ils ne peuvent pas l’avoir, ils ont du mal à trouver quelqu’un qui va faire l’unanimité. La mise à l’écart d’Amadou Ba a été une sorte de météo politique dont le retour ne leur est pas favorable.
Par Jean Michel DIATTA