«Sans être, loin de là, un Emile Zola, encore moins avoir une once de son talent littéraire, je prends le pari de suivre ses pas, plus d’un siècle après. Je n’accuse pas. Je me contente de dénoncer.
Demain, après des mois d’une détention illégale entre les mains de l’Etat totalitaire du Sénégal, je le fais au moyen d’une arme, l’unique, disponible au détenu privé de sa parole et de sa capacité à se mouvoir librement. Retenu au fond d’une lugubre cellule de prison, en violation flagrante de mes droits et libertés constitutionnels, je me vois obligé donc d’entamer une grève de la faim. Je n’en suis venu à cette extrémité que pour sonner une alarme encore plus stridente sur l’inacceptable, l’arbitraire, sort qui m’est réservé dans le silence total, complice, de la communauté internationale mais d’abord celui, passif, lâche, du peuple sénégalais.
Je sais que mon plaidoyer a peu de chances d’être entendu ni même d’attirer l’attention de ses destinataires. Beaucoup parmi eux m’ont déjà condamné, en adhérant avec une grande légèreté aux thèses de mes geôliers selon lesquelles je ne suis qu’un insulteur méritant toutes les punitions du monde.
Tous les jours, me remontent les cyniques arguments traversant une partie importante de la société sénégalaise qui semble se réjouir de me voir vivre le calvaire auquel je suis soumis. «Bien fait pour lui», disent certains, «il faut l’écraser», hurlent d’autres, tandis que les plus hardis font la fête dans la seule expectative que je finirai mes jours dans ce réduit carcéral. Tous affichent une joie que mon malheur ne génère quelque compassion. Aux yeux de mes procureurs, excités, il est même hors de question que je bénéficie d’une quelconque application de la règle de droit pourtant indivisible et prégnante, en principe, envers tous les citoyens d’un pays sensé être libre et démocratique.
Depuis ma cellule, j’entends d’ailleurs les éclats de voix qui s’enthousiasment de ma destruction programmée et mise en œuvre -froidement par mes détenteurs.
Les propos, d’une virulence inouïe, rapportent, avec des rires joyeux, les viols qui m’ont été infligés, déshumanisants, et que mes tortionnaires, revêtus du manteau de la puissance publique, ont semblé avoir du plaisir à m’appliquer, s’ils ne leur ont apporté un orgasme diabolique.
Qui n’a pas entendu la rumeur montante sur ma jambe qui pourrit inexorablement, conséquence des mauvais traitements que j’ai subis de la part de garde-pénitentiaires dont les plus doux arborent fièrement des noms comme celui d’Hitler, sans provoquer aucune remontrance de leur hiérarchie.
Je dénonce, à la face du monde, ce qui m’arrive. Ce n’est pas normal en effet que dans un pays où la constitution garantit le respect des libertés d’expression et de pensée, les forces de défense et de sécurité, complétées par une justice aux ordres, aient organisé mon enlèvement en direct, sous les feux de la techtonique des plaques numériques, des caméras et sous le regard de mes compatriotes.
Je dénonce cette brutale intrusion dans ma vie. Je dénonce l’interruption de ma vie. Je dénonce mon statut de prisonnier politique. Je dénonce le détournement des missions de la violence publique légitime à des fins politiciennes et crapuleuses par un pouvoir qui piétine allègrement mes droits en ayant pour ambition, au-delà de me détruire, de signaler à tous les sénégalais sous sa direction criminelle que leur pays est désormais une autocratie totalitaire. Sans foi ni loi. Anarchique. Violente. Insensible aux valeurs qui l’ont naguère porté au rang des plus grandes démocraties avant qu’il ne devienne méconnaissable, brutal et irrespectueux des règles contenues dans sa propre constitution.
Je dénonce le silence des diplomates, en commençant par l’Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique (USA), et celui des dignitaires religieux sans oublier les intellectuels et les influenceurs, bref toutes les forces sociales, toutes brusquement devenus unanimement aphones, comme apeurés, quand, sous leurs yeux, une tragédie humaine se déploie.
Je dénonce l’attitude de Washington, la capitale de ce qui fut dans le passé un grand pays promoteur de normes universelles, qui, hélas, s’est pliée aux magouilles de l’alors Ambassadeur du Sénégal sur son territoire m’ayant fait passer pour le terroriste que je n’ai jamais été et ne serai jamais, au point de me valoir une extradition.
C’est la raison pour laquelle je me trouve entre les serres d’un Etat de non-droit trop content de se donner à cœur-joie contre mon intégrité humaine.
Je dénonce ce peuple sénégalais, par-dessus tout, qui regarde ailleurs, oubliant qu’en ce Assane Diouf, malgré ses tares, ses excès, sa folie présumée, ses insultes, mais d’abord son engagement patriotique, ses vérités parfois trop dures, se trouvent réunis tous les défis d’un pays dont je me revendique aussi mais que je vois malheureusement mourir lentement et sûrement sans que personne ne bouge.
La terreur, par la criminalité d’Etat, triomphe. Silence, on me tue.
Je dénonce donc. Sans espoir. La lâcheté est, je le sens, le nouveau nom du Sénégalais de type nouveau.
Au final, mon devoir a été d’avoir dénoncé et identifié, pour que nul n’en ignore, ceux qui sont les acteurs des atteintes à mes droits : Macky Sall, Aly Ngouille Ndiaye, Malick Sall, les forces de sécurité, la justice sénégalaise, l’administration pénitentiaire, et, bien sûr, le peuple qui se terre dans ses justifications honteuses pour ne pas agir…
Je dénonce en gardant cependant la conviction ferme que je triompherai. Même mort dans les conditions que je vis, je sais que l’histoire me vengera. Prêt au sacrifice suprême, s’il y a lieu, je sais surtout une vérité éternelle: Dieu ne dort pas ».
Plaidoyer imaginaire d’Assane Diouf (récit par Adama Gaye).
Le Caire, 6 Décembre 2020.
Je dénonce Par Assane Diouf*
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