Lettre posthume à Adama Diallo : O, morts, revenez-nous ! Par Adama Gaye*

par pierre Dieme

Je sais qu’à côté de Léopold Sédar Senghor, là-haut, près du Seigneur, bienveillant, tu as dû, toi-aussi, esquisser un léger sourire de dépit. En voyant les minables scènes qu’offrent les institutions sénégalaises, en ces heures les plus graves, lourdes, difficiles, que traverse actuellement notre pays, comment pourrais-tu rester inerte ?

Même si tu l’as quitté, comme ton ancien patron, Premier Président du Sénégal, voici des décennies, je le sens, le Sénégal n’a jamais pu te lâcher.

Surtout que par on-ne-sait quel retournement de l’histoire, tu t’es retrouvé, cette semaine, au cœur de son débat public quand le Président de l’Assemblée nationale, une de tes vieilles connaissances, qui, dans ta préhistoire terrestre, fut ton compagnon politique d’armes, a senti le besoin de rappeler à ton fils Mamadou Lamine, que «ça se passait entre son père et lui».

Les Sénégalais, interloqués, ont aussitôt sorti leurs calculettes. Pour bien s’assurer que Moustapha Niass, l’auteur de ces propos, était déjà l’un des dirigeants du pays il y a maintenant plus de 50 ans. Les derniers, plus anciens, eux, se sont aussitôt souvenus qu’au début des années 1970 tu fus un Secrétaire d’Etat dans une République où on ne s’insultait pas mais on débattait.

Soudain, la comédie s’est révélée dans toute son amplitude, et, d’ici, j’aperçois, non-loin de toi et du Président Senghor, l’ancien grand journaliste, le très caustique Mame Less Dia, d’un rire rauque et bruyant s’étrangler de ne pouvoir être encore du monde des vivants pour «croquer» encore celui qui fut l’un de ses personnages favoris, qu’il a été surpris de revoir, de loin, lui donner raison de l’avoir surnommé, à l’époque, Taphus-le-Boxeur.
Senghor a dû, lui, pousser un «Moustapha !» de dégoût et d’étonnement.

Il s’est demandé : «quoi ?, il est encore sous les lambris du pouvoir !».

De son réduit paradisiaque, Mame Less Dia revoit tout.

Les années militantes musclées de l’enfant de Keur Madiabel, comme il l’appelait aussi, dès fois. Dans son verbe fougueux et sa gestuelle querelleuse, rien ne le surprend. Il a toujours été ainsi. Avec l’âge, il ne s’est pas assagi. Il est resté le même que celui qui assénait ses coups de poing, dans sa jeunesse contre des adversaires politiques et même au gouvernement, en plein Conseil des Ministres, comme il le fit, un jour, contre Djibo Kâ, désormais au ciel, mais qui était à cette époque une des étoiles montantes du régime socialiste, repris par l’administratif Diouf, et qui, lui aussi, se tient la tête, en voyant que, sur terre, le policier-politicien Niass n’a pas perdu ses vieilles habitudes.

La scène qui se dégage du Sénégal serait une pause comique si elle se limitait aux frasques d’une relique ayant troqué ses costumes trois-pièces de naguère contre des kaftans et grands boubous surmontés de bonnets multicolores tout en se transformant en néo-zélé au service d’un pouvoir milicien et mafieux dont on se demande s’il cherche à le légitimer ou à guetter son faux pas fatal pour en devenir le Khalife.

Les jeux politiciens de piètre dimension que le Sénégal abrite au sein de son Parlement prennent cependant une tournure qui transcende le burlesque des esclandres répétitifs dont la dernière saillie de Niass contre Mamadou Lamine Diallo n’est qu’un des épisodes les plus saugrenus.

Nous sommes, au vrai, face à un Etat déparé de sa gravité, de son statut, qui fait plus pleurer que rire. Le peuple en souffre, qui le voit se déliter sous ses yeux.

Tu vois, père Adama Diallo, comme on dit maintenant dans la novlangue Sénégalaise, le sérieux a déserté les institutions de notre pays. On se languit de ne plus pouvoir entendre les débats parfois aériens, voire déconnectés, mais denses qui prévalaient dans les travées de l’Assemblée nationale, au gouvernement et dans la société.

Je vois Senghor qui acquiesce. Je le sens cherchant du regard un Cheikh Anta Diop, comme pour lui dire : «Mais, mais, ils ne parlent plus de civilisation de l’universel ; ils n’évoquent plus l’Euphrate et le Tigre ni la Mésopotamie !». Le savant Egyptologue, dans son coin de sage, main sous le menton, s’interroge en silence : «Et nos langues nationales ? Et l’éthique ? »…

Transformés en zombies, ventres creux, tentés par le suicide maritime, désespérés, voyant mourir leur démocratie, les Sénégalais, que les morts voient depuis le ciel, en sont réduits, yeux embués de larmes d’une indicible douleur, à souhaiter qu’ils ressuscitent pour venir à leur secours.

Transis de peur, terrorisés, privés d’une parole libre, appauvris, malades, dépenaillés, ils n’ont que cette option : se tourner vers l’au-delà !

Dans le malheur qui est leur quotidien, ils ont perdu leur humanisme. Aucun d’eux n’ose évoquer le cas d’un Assane Diouf, violé, détruit dans sa dignité, en passe de perdre sa jambe, parce qu’un Etat injuste et brigand veut le punir d’avoir cru qu’il était encore dans un pays où prendre la parole était un droit acquis.

Quand Mamadou Lamine Diallo a soulevé, devant la représentation parlementaire et un minable Malick Sall, sinistre faussaire, ministre de la Justice, pris de court et déroutés, la question de l’exil, révolutionnaire, de son compatriote, auteur de ces lignes, la réponse qu’il reçut fut d’une telle médiocrité, sur fond d’illégalité, que les chaumières nationales en résonnent encore. «Pourquoi évoquez-vous la question de cet individu ici», a-t-il pesté, «puisqu’elle relève d’un dossier pendant devant la justice».

Comme si l’Assemblée nationale n’était pas le lieu d’expression de ce que le peuple pense, de ses pulsions et passions ?

Comme si le brillant député, Polytechnicien et Mines, que j’ai connu dans mes années étudiantes à Paris, n’était pas en droit de mettre sous les yeux du peuple ce que recouvre l’exil décidé par un fils du pays conscient que c’était la seule voie pour ne pas prêter le flanc, pour ne plus être victime, d’une criminalité d’Etat qu’il a pu vivre dans sa chair, sans que le pays, soumis à une propagande d’Etat contre sa personne et menacé par ses cerbères, ne bouge.

Les morts du Sénégal, qui ont participé à la construction du Sénégal, et les derniers militants de la liberté, observent, assommés, découragés, la destruction des avancées du pays.

A tel point que même un Abdoulaye Wade, ancien Président du pays, l’un des grands acteurs de la lutte contre la répression et le culte d’un monolithisme politique, s’est senti en devoir de sortir de sa retraite pour écrire à une de mes connaissances, sur le ton d’un patriarche, ulcéré, qu’il doit s’occuper de son jeune frère exilé…

En voyant sous leurs yeux s’étaler avec arrogance la médiocrité d’un Malick Sall, qui n’est en place que parce qu’il a promis d’être le larbin de Macky Sall, l’illégitime Président, pour jouer, en sa faveur et avec son tacite assentiment, la mission d’ethniciste en chef et d’exécuteur des basses œuvres pour assassiner la démocratie et la bonne gouvernance au moyen d’une justice dévoyée, les Sénégalais savent qu’ils sont mal-barrés.

Ils ne sont plus étonnés de savoir que ce n’est pas cet Etat, devenu voyou, qui va se pencher sur leur sort qui se dégrade à toute vitesse.

Ni sera-ce cet État, failli et défaillant qui va prendre à bras le corps tous ces fléaux qui déteignent sur l’image déformée, difforme et détruite du pays. On peut en citer quelques symptômes, sans être exclusif. Notamment la milicisation des confréries religieuses, l’émigration maritime qui s’apparente à un génocide consenti d’une jeunesse désespérée, le sac des ressources naturelles, la dépravation des mœurs, le saccage des acquis démocratiques, le partage des deniers publics par des politiciens alliés, sans foi ni loi, le recul du label institutionnel d’un Sénégal que le monde a appris à connaître sous son jour le plus macabre, la démission nationale.

En bref on voit ainsi à l’œuvre la fin programmée d’une nation entre les mains d’une camarilla dont le projet politique est de finir, en le privatisant à des fins étriquées, ce qui fut un pays parti pour être digne et respecté du monde entier.

Par son propos, qui rappelle un autre âge, le sentiment, plus inquiétant, d’un pays qui stagne, s’il n’est en marche à reculons, Moustapha Niass, le contemporain d’Adama Diallo, a rappelé aux Sénégalais que leur pays reste rivé sur son rétroviseur –poussiéreux.

Il n’est donc pas étonnant qu’au ciel, le sujet de la déconstruction nationale qui en résulte fait débat.

De là-haut, mais aussi ici-bas, le plus grand consensus demeure cependant la fixation qui inquiète tous les Sénégalais, sans voix devant cette putréfaction de la justice entre les mains d’un salopard dont nul ne doute plus qu’il est non-seulement l’homme de la honte pour 2020 mais s’impose en accélérateur de la démolition des valeurs et vertus, des piliers du pays.

En bémol, Adama Diallo, retiens au moins ceci : comme ton fils, Mamadou Lamine, d’autres dignes fils du Sénégal, comprennent le devoir qui est le leur.

Ils ne failliront pas mais n’hésitent pas à vous demander de veiller sur eux. Ils vous disent : ô, morts, morts décents et patriotes, ne nous lâchez-pas, il se fait tard, le chemin de la renaissance est barré par des bandits armés au cœur de l’Etat…
*Adama Gaye, journaliste et écrivain Sénégalais, consultant, est un exilé sénégalais qui vit au Caire.

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