Depuis la condamnation de Karim Wade et de ses coaccusés, ou encore celle de l’ancien Directeur du Cadastre, Tahibou Ndiaye, la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), juridiction spéciale, n’a plus attrait devant la barre aucun dignitaire de l’ancien régime, présent sur une liste de 26 personnes. Pourtant, dans le Projet de loi de finance initiale 2021 (Plfi 2021), la Crei a été créditée de 966 millions de F CFA pour son fonctionnement et les dépenses de transfert.
«Relativement à la CREI, le ministre du Budget a précisé que cette juridiction spéciale, prévue par la législation sénégalaise, doit nécessairement disposer des crédits. Ainsi, dans le PLFI 2021, cette institution bénéfice d’un montant de 766 millions de Francs Cfa, pour le fonctionnement et de 200 millions de Francs CFA pour les dépenses de transfert», peut-on lire sur le rapport de la commission à l’Assemblée nationale hier, mercredi 2 décembre.
Ainsi donc, la Crei bénéficie au total d’un budget annuel global de 966 millions de F CFA pour son fonctionnement et ses dépenses de transfert, alors que depuis les condamnations, en 2015, de Karim Wade et compagnie, et de l’ancien Directeur du Cadastre, Tahibou Ndiaye, rien n’a bougé du côté de cette juridiction spéciale.
En effet, adoptée en 1981, au début du premier mandat d’Abdou Diouf, la loi sur l’enrichissement illicite prévoit la création d’une juridiction spéciale chargée de réprimer ce délit. Celle-ci n’avait plus siégé depuis 1983. Mais, une fois arrivé au pouvoir en 2012, le président Macky Sall a décidé de la réhabiliter, sans procéder à des aménagements susceptibles de la mettre en conformité avec l’évolution du droit positif. Ainsi donc, sur une liste de 26 hauts dignitaires du régime d’Abdoulaye Wade, le fils de l’ancien président sera le premier à faire les frais de cette Cour.
Le président de la Crei, Henri Grégoire Diop, les déclare, le lundi 23 mars 2015, lui et ses neuf co-prévenus, dont quatre se trouvant hors du Sénégal, coupables du délit d’enrichissement illicite. Karim Wade écopera d’une peine de six ans de prison ferme, et d’une amende de 138 milliards de francs CFA. Quant à ses complices, leurs peines s’échelonnèrent entre cinq et dix années de prison, assorties d’amendes, mais sans peine de privation des droits civiques. Pierre Goudjo de Agboba et Mbaye Ndiaye sont quant à eux relaxés. Il en sera ainsi aussi de l’ancien Directeur du Cadastre, Tahibou Ndiaye cité dans la liste des 26 hauts dignitaires du régime d’Abdoulaye Wade. Il a été condamné par la Crei, en 2015, à 5 ans de prison ferme avec une amende de 2,6 milliards de francs CFA, en plus d’une ordonnance de saisine de ses biens immobiliers.
Seulement, depuis 2015, Tahibou Ndiaye est quasi oublié car l’homme est libre et vaque à ses occupations. Mieux, il loge toujours dans sa résidence des Almadies que l’Etat était censé saisir. Quant à Karim Wade, en exil au Qatar depuis sa sortie de prison, et ses coaccusés qui ont bénéficié, soit d’une grâce présidentielle, soit d’une liberté provisoire, rien n’a filtré sur l’amende qu’ils devaient à l’Etat.
Quid de l’ancienne Sénatrice, Aïda Ndiongue, mise en examen par la Crei pour enrichissement illicite présumé? Elle a bénéficié d’un non-lieu. En plus d’avoir «laver» totalement l’ex-sénatrice libérale, la Commission d’instruction de la Crei a ordonné la main levée sur les bijoux saisis dans ses coffres mais aussi sur la rondelette somme de 9 milliards de FCFA provenant d’une souscription de bons du trésor ivoirien arrivée à échéance depuis 2017. Que dire des autres dignitaires de l’ancien régime qui étaient sur la liste de la Crei ? Depuis la levée de leur contrôle judiciaire, en 2014, ces pontes du régime de Me Wade vaquent tranquillement à leurs occupations. Certains d’entre eux ont quitté l’opposition pour rejoindre la majorité présidentielle.
Concernant l’inaction de la Crei, certaines indiscrétions la justifient par une volonté du chef de l’Etat, Macky Sall, de la réformer pour l’adapter à l’évolution du droit positif. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’une enveloppe de 966 millions vient d’être allouée à une Cour qui n’a quasiment pas siégé depuis 2015.
JEAN MICHEL DIATTA