La traque d’un Etat délinquant Par Adama Gaye*

par pierre Dieme

L’histoire est imprévisible. Jamais l’Etat sénégalais ne se serait imaginé, voici plus d’un an, quand il prenait le pari, du haut de ses certitudes souveraines détournées de leurs missions premières, de mettre toutes ses forces, son génie, sa malfaisance, dans le projet de me capturer, tel un malfrat, et, imbu de son arrogance, de me jeter au fond d’un cachot, qu’il vivrait pour regretter amèrement son acte.

Le retour de bâton est là, brutal. Finie l’heure de gloire de son minable ministre de la Justice, Malick Sall, qui paradait, deux jours après ma prise en otage, devant caméras et micros, pour déclamer, d’une voix de stentor, que l’Etat «dont j’ai la garde des institutions» ne laissera plus «quiconque» s’en prendre au…Chef de l’Etat.

“Dans l’Affaire Adama Gaye”, ajoutait-il, sûr de son invincibilité, «j’assume totalement son arrestation», se permettant même de vouloir me réduire en banal «individu», qu’il pensait pouvoir écraser sous le poids des moyens d’une violence publique dévoyée.

Rappeler cette histoire est fondamental parce qu’elle ne doit jamais être oubliée, ni classée sans suite.

Parce que ce qui s’est passé, ce matin du 29 juillet 2019, à l’heure du laitier, dans la tradition des pires autocraties totalitaires, c’était un banditisme d’Etat, à son maximum, agissant contre un citoyen innocent, qui n’a sur lui aucune casserole, mais qu’il fallait priver de ses droits constitutionnels à exprimer ses opinions, informer sa société, en plus de lui dénier jusqu’à ses prérogatives de se mouvoir en l’enfermant au milieu de criminels afin de le déshumaniser.

Le plan avait donc été mûrement conçu, et il a fallu que je publie ce matin-là un article invitant l’Etat sénégalais à ne pas brader encore nos hydrocarbures pour qu’il soit mis en œuvre.

Mafieux, pour ne pas dire mackyeux, l’Etat, par ses démembrements sécuritaires et judiciaires, détournés de leurs objectifs centraux, choisit d’aller le plus loin dans sa volonté de m’éliminer. Il inventa une histoire, avec des mots qui n’étaient pas les miens, jouant avec cynisme, pour me coller un motif de «violeur» du discours sur les bonnes mœurs.

L’ambition était d’une part de faire passer comme indécents mes écrits qui révélaient les frasques sexuelles, extra-conjugales, de Macky Sall, et d’autre part de mettre l’impasse sur ma dénonciation des braquages que je dénonçais relativement aux fraudes électorales de l’Etat, dont une présidentielle volée, l’an dernier, à ses marchés surfacturés, aux ressources naturelles et financières que ses principaux responsables pillaient sans sourciller. On m’avait donc accusé de déstabiliser l’Etat par mes écrits. Rien moins que ça. En clair, j’étais l’homme à abattre.

Qu’aujourd’hui encore, des sénégalais osent me dire de revenir dans un pays capable d’une telle forfaiture afin d’y mener mon combat contre le régime qui le torture, au propre comme au figuré, qui pensent légitime d’enterrer son crime à mon égard, s’ils ne se mettent à alimenter ses assauts diffamatoires qu’il avait crû susceptibles de me finir aux yeux de l’opinion publique, il faut être un maudit pour les suivre.

Tout porte à croire que ces militants d’un culte de la solution à l’amiable sont des myopes. Qui ne se rendent pas compte que les vents ont tourné. Désormais, l’Etat sénégalais ne mesure pas seulement la gravité de sa bourde. Il se sait traqué, poursuivi, et le sera jusque dans ses derniers retranchements.

Le peuple sénégalais qui avait largement pris pour argent comptant les fadaises justificatives du coup de torchon, du crime, de l’Etat, gagneraient donc à ouvrir les yeux pour participer au délibéré final de ce qui sera la plus grande punition d’un citoyen envers l’Etat du Sénégal.

Les signes de son abdication, de sa défaite, de sa peur, de sa soudaine prise de conscience de sa bêtise, me parviennent maintenant encore plus fortement que ceux qui l’avaient forcé, ayant réalisé qu’il avait enfourché un tigre, de me relâcher le 20 Septembre 2020.

Autant il était venu me capturer sans respecter les normes, autant en me libérant, sans oser ouvrir un procès, il s’était à chaque fois montrer lâche.

Dans l’un et l’autre cas, il avait été incapable de me soumettre quelque raison pouvant justifier ce qu’il avait appelé une liberté qu’il me dérobait d’abord, suivie, plus de 53 jours plus tard, d’une provisoire dont je devinais aussitôt qu’elle relevait d’un prétexte pour pouvoir, si je restais à sa portée, de me ramener sous son joug.

Voilà qui explique mon choix de l’exil. Par refus de l’arbitraire, de l’abus de droit, de la délinquance d’un Etat déliquescent.

L’un des signes de l’Etat qui recule, c’est cette demande d’amitié Linkedin envoyée par le Ministère de la Justice que j’ai snobée. Quelle méprisable indignité de cet être Malick Sall que les Sénégalais ont découvert tant dans son incompétence notoire, sa nullité proverbiale, son larbinisme de faussaire prêt à réveiller ses parents de leurs tombes pour les vendre contre quelque titre pompeux…

Tenez, il y a quelques jours, un journaliste sénégalais, que j’aime bien, m’appelle, pour me dire, comme si c’était un narratif véridique qu’il avait croisé ce type avec un de ses soutiers, un avocat du nom de Maitre Ndiéguène. «Tout ça, dit ce dernier, c’est la faute à Souleymane Nasser Niane, le Directeur de cabinet de Malick Sall, qui l’a entraîné dedans».

Je connais Nasser. Un salaud frimeur. Opportuniste. Dans un passé récent, il me courait pour obtenir un poste auprès de Macky Sall. Et en l’an 2000, il s’était présenté chez Abdoulaye Wade, pour tenter d’y décrocher un autre, en se revendiquant de mon nom, dans une logique de transhumance qui en dit long sur lui.

Revenons à la rencontre «surprise» lors des funérailles. «Malick Sall est abattu», me rapporte mon interlocuteur, avant d’entrer dans des sénégalaiseries classiques. Du genre : «Imaginez, compte tenu de vos liens antérieurs, qu’au lieu de cette personne qu’on vient d’enterrer que ce soit l’un de vous deux, comment feriez-vous pour témoigner ?».

Après avoir intérieurement rigolé du discours quasi-larmoyant, ma réponse, sèche, fut lapidaire : «écartez-vous de cette affaire».

La vérité, c’est que les sénégalais ont une propension à verser dans le masslaa quand il ne s’agit que de dire les faits, de trancher en faveur de la vérité.

Dans cette violence d’Etat qui m’a été illégitimement appliquée, seule une réponse à la hauteur, ou au-delà de sa puissance, est de mise.

J’ai encore plus rigolé quand, pas plus tard qu’il y a deux jours, un très proche contact, sans doute de bonne foi, si elle n’est pas missionnée, de Macky Sall, a pensé pouvoir me convaincre de m’asseoir avec lui, de lui pardonner, de me montrer moins dur à son égard.

Dans ce Sénégal où prospèrent les entrepreneurs de l’aiguille, selon la parabole définissant ceux qui pratiquent la couture des liens sociaux, qu’on ne me compte pas parmi les potentielles cibles à recruter dans cette logique du pardon.

Je précise, sous cet éclairage, que tous ceux qui ont été impliqués dans ma capture illégale répondront de leurs actes devant la justice, y compris les mercenaires de la plume et du verbe. Que, dès mon départ de l’Egypte, je me ferai bientôt le devoir, sur toutes les plateformes disponibles, surtout crédibles, légitimes, de montrer le vrai visage de l’Etat totalitaire qu’est devenu le Sénégal. Télévisons, radios, colonnes de journaux, sites, organisations internationales, États de droit, organisations de droit de l’homme, parlements, panels d’influence, bref partout, je prêcherai parole et action avec une détermination qui ne s’éteindra qu’avec une conclusion victorieuse de ce combat de ma vie. Le débat ne fait que commencer. Il ira dans les enceintes les plus inimaginables.

«Ils ont touché à celui qu’il ne fallait pas toucher», telle fut la réaction de l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, dès que je mis les pieds à la prison de Rebeuss, deux jours après ma capture. Il y purgeait une peine privative de liberté. Il n’avait pas perdu, en effet, le sens d’une réalité qui venait de débuter…Plus dure sera la suite. Macky Sall, tiens-le pour dit, tu paieras totalement la facture de la forfaiture contre ma personne. Afin que plus jamais, les droits constitutionnels ne soient plus un gadget pour quelque apprenti autocrate rêvant de faire de notre pays son terrain de jeu. A bon entendeur !

Qu’il pleuve, vente ou neige, justice sera.
Adama GAYE* est un exilé politique sénégalais au Caire où il vit depuis son élargissement après sa détention illégale par l’Etat mafieux, immoral, corrompu, antidémocratique, du Sénégal.

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