Alors qu’on n’a pas encore fini d’épiloguer sur l’affaire de la pharmacienne Aicha Goundiam Mbodj dépossédée de son site au profit de Mme Aminata Gassama, épouse du maire de Ziguinchor, Abdoulaye Baldé à la Place de l’Indépendance, voilà qu’une autre affaire relative à une autorisation d’ouverture d’officine de pharmacie dont l’arrêté signé par le ministre de la Santé et de l’Action Sociale suscite l’indignation. Cette fois, elle profite à l’épouse du ministre de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, Dame Diop, Dr Ndèye Dome Fall, au détriment de la pharmacienne Dr Colette Guèye. Pourtant, la Cour suprême avait ordonné l’annulation de la décision du Directeur de la Pharmacie et du Médicament portant rejet de la demande d’autorisation d’ouverture d’officine de pharmacie sise à la cité Keur Gorgui au profit du Dr Colette Guèye.
Un scandale lié à l’autorisation d’ouverture d’une officine de pharmacie à la cité Keur Gorgui suscite l’indignation du Collectif de veille des pharmaciens. Pour cause, une des leurs du nom de Dr Colette Guèye serait dépossédée de son site de création de pharmacie mis en compétition pour l’année 2016 au profit du Dr Ndèye Dome Fall, épouse de l’actuel ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, Dame Diop, qui a déjà ouvert une pharmacie dénommée El Hadj Yaré sur le même site et s’est même adonnée à la vente de médicaments depuis… 2019.
L’arrêté en question qui autorise Dr Ndèye Dome Fall à ouvrir une officine de pharmacie à la cité Keur Gorgui porte la signature du ministre de la Santé et de l’Action Sociale alors que la Cour suprême avait rendu son arrêt «annulant la décision du 8 février 2017 du Directeur de la Pharmacie et du Médicament portant rejet de la demande d’autorisation d’ouverture d’officine de pharmacie à la Cité Keur Gorgui à Dakar du Docteur Colette Guèye». Cette dernière déclare être illégalement écartée de la compétition pour les sites de pharmacie pour l’année 2016 par le Directeur de la Pharmacie et du Médicament (DPM), avec sa collaboratrice d’alors, le Docteur Ndèye Dome Fall, chef de la Division Législation à la DPM, qui était chargée de traiter les dossiers d’ouverture d’officine de Pharmacie des différents candidats. En juillet 2018, une réévaluation des dossiers de compétition se fait sur le site de la cité Keur Gorgui. Là également, Dr Colette Guéye dit avoir gagné mais jusqu’au moment où ces lignes sont écrites, elle n’est pas encore rentrée dans ses droits.
«UNE INSCRIPTION SOUS-RESERVE FAITE A DR NDEYE DOME FALL LE 9 SEPTEMBRE 2020»
Dans le cadre de cette affaire, Dr Colette Guèye déplore l’agissement de la section B de l’Ordre national des pharmaciens. «Le 9 septembre 2020, ses souteneurs tapis dans l’ombre au sein de l’Ordre national des pharmaciens du Sénégal, en l’occurrence la section B, au lieu de sanctionner une faussaire, viennent de lui faire une inscription sous-réserve. Ce qui n’existe nulle part dans les annales de la Pharmacie, alors qu’elle vient d’être déchue par la Cour suprême du recours qu’elle a intenté contre l’Ordre National des Pharmaciens pour refus d’inscription», a fait savoir Dr Colette Guèye.
Pour rappel, deux jours après la signature de l’autorisation d’une officine de pharmacie, plus précisément le 15 février 2018, le Conseil national de l’Ordre des Pharmaciens du Sénégal avait reçu la demande d’inscription du Dr Ndèye Dome Fall à l’Ordre des pharmaciens du Sénégal. «Il nous est parvenu l’arrêté du 28 décembre 2017 de la Cour suprême qui a annulé, pour rupture de l’égalité entre les candidats, la décision du 8 février 2017 du Directeur de la Pharmacie et du Médicament, portant rejet de la demande d’autorisation d’ouverture d’officine de pharmacie à la cité Keur Gorgui de Dakar, du Docteur Colette Guèye. Nous avons jugé nécessaire de suspendre la demande d’inscription du Dr Ndéye Dome Fall en attendant de porter l’information à votre connaissance», indique l’Ordre des pharmaciens du Sénégal dans un document dont nous avons reçu copie.
Suite au refus de son inscription au Tableau à la section B, Dr Ndèye Dome Fall porte l’affaire devant la justice le 11 mars 2019 pour l’annulation de la décision du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens du Sénégal. Cependant, «la Cour suprême déclare Ndèye Dome Fall déchue de son recours» le 11 juin 2020.
LE COLLECTIF DE VEILLE DES PHARMACIENS EN ORDRE DE BATAILLE
Dans une lettre adressée au Conseil national de l’Ordre des pharmaciens du Sénégal le 2 octobre 2020 que nous avons parcourue, le Collectif de veille des pharmaciens déclarait : «Nous avons appris avec stupéfaction, l’inscription de Dr Ndèye Dome Fall au Tableau B le 9 septembre 2020, par le conseil de section B, en vue de l’ouverture d’une officine de pharmacie à la Cité Keur Gorgui. Nous faisons appel, auprès du conseil national, pour l’annulation purement et simplement de cette décision inqualifiable».
Selon le Collectif, Dr Ndèye Dome Fall n’a pas gagné le site mis en compétition pour l’année 2016. «Le nombre de points qu’elle a obtenus lors de la réévaluation tenue le 20 juillet 2018 en présence, entre autres, des représentants de l’Ordre des pharmaciens trouve aisément qu’elle avait usé de faux administratif et intellectuel pour se donner des points indus, elle qui était en poste à la Direction de la Pharmacie et du Médicament et qu’elle se devait même d’être sanctionnée sévèrement par l’Ordre pour ses agissements contraires à l’éthique et à la morale», lit-on dans le document.
En effet, avant cette lettre du 2 octobre, le Collectif de veille des pharmaciens toujours déterminé à gagner la bataille, avait écrit le 14 septembre 2020 une lettre au président du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens du Sénégal pour dénoncer ce qu’il considère comme un «mépris de la décision de l’autorité judiciaire et une absence de considération de l’autorité de l’Ordre et des règles de leur profession».
Le Collectif avait ainsi invité le Conseil national à remédier à cette «situation inédite». «Il est impératif pour notre Ordre d’agir avec fermeté, pour nous rassurer et tous les membres de notre corporation, qu’une telle forfaiture perpétrée, qui risque de créer un précédent dangereux dans la profession, ne saurait être tolérée, quelle que soit la personne concernée qui en est l’auteur. Mieux, il est question pour notre Ordre de rassurer sur le fait qu’il n’y a pas et ne saurait y avoir de rupture d’égalité entre candidats, quels qu’ils soient, mis en compétition pour un site», a fait savoir le Collectif. Il poursuit : «le comportement de la Dame Fall qui allie défiance aux règles fondamentales régissant la profession pharmaceutique au Sénégal, concurrence déloyale, faux, usage de faux et vente illicite de médicaments, lui cause un préjudice incommensurable en même temps qu’il nuit également aux intérêts de toute la profession».
Les détails d’une affaire aux allures de «forfaiture»
L’affaire de l’autorisation d’ouverture d’une officine de pharmacie à la cité Keur Gorgui remonte à 2016 lors de la compétition pour les sites de pharmacie à laquelle avait postulé Dr Colette Guèye. « Votre demande d’autorisation d’ouverture d’une officine de pharmacie à la Cité Keur Gorgui, région de Dakar, a été bien reçue. Cependant, vous avez été présélectionnée pour la commune de Biscuiterie et dans votre dossier, les critères de distance n’étaient pas respectés. Vous avez été informée de cette situation et nous attendons que vous nous proposiez un site respectant les critères de distance fixés. Ainsi, ce dossier n’étant pas clos, nous ne vous avons pas intégré dans la compétition pour les sites de 2016». Il s’agit là de la réponse du Directeur de la Pharmacie et du Médicament de l’époque, Pr Amadou Moctar Diéye datant du 8 février 2017 contenue dans un document qui nous est parvenu. Toutefois, Dr Colette ne l’entendit pas de cette oreille. Elle décida alors de saisir la Justice par recours pour «excès de pouvoir». Rendant son arrêt le 28 décembre 2017, la Cour suprême tranche à sa faveur. Elle annule ainsi la «décision du 8 février 2017 du Directeur de la Pharmacie et du Médicament portant rejet de la demande d’autorisation d’ouverture d’officine de pharmacie à la Cité Keur Gorgui à Dakar du Docteur Colette Guèye». En effet, selon nos informations, le ministre de la Santé et de l’Action Sociale de l’époque, Dr Eva Marie Coll Seck, «informée du recours, avait stoppé le processus administratif d’autorisation d’ouverture décidé illégalement au profit de Ndèye Dome Fall par le directeur de la Pharmacie et du Médicament». Dr Colette Guèye n’étant pas rentrée dans ses droits après la décision de la Cour suprême, son avocat adresse une lettre au ministre de la Santé et de l’Action Sociale, Abdoulaye Diouf Sarr le 9 février 2018. «Malgré la décision connue de Ndèye Dome Fall, par ailleurs en service à la DPM, cette dernière fait croire le contraire pour obtenir en toute mauvaise foi un arrêté de création. En tout état de cause, elle clame urbi et orbi avoir des assurances pour disposer dudit arrêté. J’attire votre attention sur cette attitude qui me parait contraire au respect des principes directeurs d’un Etat de droit », lit-on dans le document dont nous avons reçu copie. Sauf que l’alerte va tomber dans l’oreille d’un sourd. Abdoulaye Diouf Sarr signe un «arrêté portant autorisation d’une officine de pharmacie» le 13 février 2018, en faisant fi de la décision de la Cour suprême.
NON RESPECT DE LA DISTANCE DE 300 METRES ENTRE LES OFFICINES DE PHARMACIE : Dr Ndèye Dome Fall au banc des accusés
Ce qui choque encore le Collectif de veille des pharmaciens dans le cadre de l’ouverture de la pharmacie El Hadj Yaré, c’est le non-respect de la distance de 300 mètres entre les officines. Pourtant, dans sa réponse à Dr Colette Guèye pour lui signifier son revers, le DPM disait que «les critères de distance n’étaient pas respectés». L’officine El Hadj Yaré se situe à moins de 300 m plus exactement à 250 mètres de la pharmacie Saint Pierre du Dr Raymond Pierre Diémé située en face du collège Sacré-Cœur. C’est ce dernier qui le dénonce dans une lettre adressée au ministre de la Santé et de l’Action Sociale le 17 décembre 2019. «L’article 2 de l’arrêté portant répartition des officines de pharmacie précise bien que la distance minimale à vol d’oiseau entre les officines est de 300 m. Toute nouvelle création ou transfert d’officine de pharmacie doit respecter une distance minimale de 300 m avec les hôpitaux et les centres de santé. Par ailleurs, avec le projet du BRT, mon officine sera impactée par les travaux. Ma possibilité de transfert se trouve dans le rayon prévu par la loi et dans une distance conforme aux autres pharmacies environnantes officiellement reconnues. Ce transfert de mon officine se trouvera, dès lors, sur une distance de moins de 100 m du projet de notre consœur», a fait savoir Dr Raymond Pierre Diémé. En guise de réponse le 5 janvier 2020, le ministre de la Santé et de l’Action Sociale déclare : «J’ai instruit le DPM à effectuer un règlement diligent de cette situation. Soyez assuré que la question sera traitée dans l’intérêt réciproque des pharmaciens concernées et des populations de la zone». Le Conseil de section B de l’Ordre national des pharmaciens du Sénégal, suite à une lettre du Dr Raymond Pierre Diémé datée du 17 décembre 2019 avait aussi reconnu le non-respect de la distance réglementaire entre les officines de pharmacie en question. Selon le conseil, «après vérification, le Cadastre a confirmé que la distance entre les pharmacies est inférieure à 300 m et a reconnu l’erreur commise par leurs services en fournissant des plans sur lesquels les distances n’étaient pas bonnes», lit-on dans le document en date du 23 novembre 2020. La même source d’ajouter que «le Conseil vous donne raison et reconnait que le plan de masse que vous nous avez fourni est donc le bon. Par conséquent, cet état de fait, indépendant de notre volonté, sera signalé auprès des autorités compétentes».
DR NDEYE DOME FALL, PROPRIETAIRE DE LA PHARMACIE EL HADJ YARE : «J’ai ouvert mon officine en toute légalité»
«C’est une compétition qui devait se faire. S’il y a des possibilités de création des officines de pharmacie dans une commune, le ministère de la Santé et de l’Action Sociale sort un arrêté pour la compétition. On était 8 à être en compétition. Cette personne-là (Dr Colette Guéye, Ndlr), le directeur de la Pharmacie et du Médicament à l’époque avait dit qu’elle ne peut pas compétir parce qu’elle avait un dossier en cours. Elle avait une demande d’ouverture qui était en cours et qui n’était pas clôturée. C’était deux ans avant. J’imagine qu’elle a pensé que ce dossier était clos alors que directeur a dit que le dossier n’était pas clos. Sa demande a été sortie de la compétition. Et cette année, elle n’était pas la seule à qui on a fait ça. Je travaille là-bas. Elle était hors de la compétition. Alors, on a compéti et je suis sortie en tête. On a commencé à traiter. Quand elle a été mise au courant, elle est venue dire qu’on a l’écartée de la compétition à mon profit parce que je travaillais au ministère de la Santé. Elle a fait un recours contre l’Etat du Sénégal. D’abord, il y a eu un premier référé pour annuler la décision du directeur et le référé n’a pas abouti. Le référé dit «qu’il n’y a pas lieu de suspendre l’étude des dossiers». L’étude des dossiers a donc suivi son cours. J’ai eu un avis favorable. J’ai cherché un local. J’ai commencé à payer. Mon arrêté est sorti. La procédure qui devait suivre, c’est d’aller s’inscrire à l’Ordre national des pharmaciens du Sénégal. Quand j’ai eu mon arrêté avec l’ensemble des décisions qu’il fallait, j’ai déposé une demande d’inscription à l’Ordre. Et à ce stade, elle (Dr Colette Guéye, Ndlr) a été informée à mon avis et est allée déposer le recours qu’elle avait fait contre l’Etat du Sénégal qui avait dit qu’il y a annulation de la décision du directeur. Mais entretemps, mon arrêté est sorti. Est-ce qu’on va revenir en arrière ? Il n’y a pas d’antériorité dans la loi. Elle s’applique le jour où elle a été prise.
L’Ordre national des pharmaciens du Sénégal a dit : « il faut qu’on fasse attention. Il y’a l’arrêt de la Cour suprême. Je ne peux pas donner votre inscription toute de suite ». Les choses ont suivi leur cours. A un moment donné, j’ai fait une autre requête et ils ont dit niet. Je me suis approchée d’un conseiller pour voir ce qu’il y a lieu de faire parce que je ne peux pas déposer un dossier complet pour une inscription et on me refuse cette inscription. Chemin faisant, on m’a conseillé de faire un recours contre l’Ordre parce que là aussi, il y a abus de pouvoir me concernant. J’ai fait ce recours contre l’Ordre. Ça a pris son cours. On a pris presque un an. A un moment donné, on m’a demandé de retirer le recours que j’avais fait parce que j’ai insisté pour mon inscription. On m’a dit : «vous ne pouvez pas porter plainte contre nous et ensuite nous demander de vous inscrire. Si aujourd’hui, vous retirez ce recours, on réétudie votre dossier ». J’ai donc retiré le recours. Mon dossier a été étudié et j’ai mon inscription à l’Ordre. J’ai donc aujourd’hui tous les papiers qui me permettent d’exercer la pharmacie légalement parce que le seul papier qui bloquait, c’est l’inscription parce que les textes disent que «nul ne peut exercer s’il n’est inscrit régulièrement à l’Ordre». Aujourd’hui, j’ai mon inscription, mon arrêté d’ouverture, ma lettre d’approvisionnement et je travaille correctement. La Cour suprême m’avait déclarée déchue à propos de mon recours contre l’Ordre juste parce que le recours n’a pas été déposé dans les délais. Il y a eu tellement d’amalgames dans cette affaire. Je suis dans toute la légalité d’ouvrir mon officine de pharmacie. C’est juste de l’acharnement. Ily a eu plusieurs lettres antérieures», a déclaré Mme Diop.
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