Les révélations de Idrissa Seck concernant ses discussions avec le président de la République au sujet du chef de l’opposition ont obscurci le flou qui entourait déjà cette question longuement débattue au sein du Dialogue politique. Nommé à la présidence du CESE, Idrissa Seck, aujourd’hui hors course pour ce poste, laisse la voie libre à Ousmane Sonko. Question : Macky Sall fera-t-il le choix ?
C’est une question qui plane sur l’espace politique depuis plusieurs mois. Le statut de l’opposition et de son chef cristallise les attentions et attise la tension entre les acteurs politiques. Alors qu’il semblait le mieux placé pour être désigné chef de l’opposition, Idrissa Seck a avoué avoir renoncé à ce statut que le chef de l’Etat lui avait gracieusement proposé, avant de lui demander de venir travailler à ses côtés. «Macky et moi discutions autour du titre du Chef de l’opposition. Au début, il était programmé que je reste dans l’opposition et que je fasse office de chef de l’opposition. Mais, il m’a proposé, au regard de la pandémie du Covid-19 qui a secoué le monde et de tout ce qui se passe dans notre continent, de mettre en veilleuse ce débat autour de ce titre de chef de l’opposition et d’aller dans le sens de travailler ensemble, de joindre nos forces pour développer le Sénégal», a-t-il déclaré lors d’une cérémonie de présentation de condoléances. Une révélation qui vient rajouter une couche à la polémique déjà vive sur ce statut tant convoité. Celui qui va incarner institutionnellement le leader de l’opposition aura en effet pas mal d’avantages, notamment l’accès facile au chef de l’Etat, des moyens, (dotations financières, véhicule…), en plus d’une certaine reconnaissance.
Pas de consensus au dialogue
Inscrite sur la liste des points à discuter au sein de la commission politique du dialogue national, la question du statut de l’opposition et de son chef reste encore un point d’achoppement. Jusque-là, un consensus n’a pas encore été trouvé, les acteurs du dialogue peinent à s’accorder sur les modalités de désignation du chef de l’opposition. Les critères de ‘’l’opposant en chef’’ divisent toujours les membres de la commission politique. Pour certains, comme le camp de la majorité présidentielle, le chef de l’opposition doit être celui qui est arrivé deuxième à l’élection présidentielle. Pour d’autres, comme le Pastef d’Ousmane Sonko, ce doit être le chef du parti d’opposition ayant le plus de sièges à l’Assemblée.
Dans le premier cas, Idrissa Seck, arrivé deuxième à la dernière présidentielle, avec 20,50% des suffrages, devrait être l’homme de la situation, et dans l’autre cas de figure, Abdoulaye Wade serait désigné chef de l’opposition. Mais pour cela, il faudrait que la loi soit rétroactive. «Dans les normes, on doit élaborer une loi qui indique le statut et les modalités de désignation du chef de l’opposition, explique Déthié Faye, coordonnateur du pôle des Non alignés dans la commission politique du dialogue. Et une fois que la loi est adoptée, ne pouvant être rétroactive, ce serait le second à la présidentielle de 2024 ou le second plus grand nombre de députés à l’Assemblée nationale à partir de 2022 après les législatives.»
Un avis corroboré par Cheikh Sarr, représentant de la majorité. «Nous avions proposé pour le statut de l’opposition, que l’on mette en place une commission constituée d’experts qui vont mettre le contenu, parce que la constitution parle de ça, mais il n’y a pas de contenu, et en ce qui concerne le chef de l’opposition, la position était que le deuxième arrivé à la présidentielle soit considéré comme tel, parce que nous avons un régime présidentiel. Mais on n’avait pas précisé si c’était le deuxième à la présidentielle de 2019 ou celui de la présidentielle de 2024.» Mais pour Dethié Faye, le débat a été biaisé.
«Définir d’abord le statut de l’opposition»
«Dans tous les cas, nous avions dit que ce que nous devions faire d’abord, c’est nous entendre sur le statut de l’opposition, informe le représentant des Non alignés, ensuite mettre en place une commission pour discuter des modalités de désignation du chef, en sachant que dans tous les cas, la désignation ne peut pas être immédiate, parce qu’une loi ne peut pas être rétroactive. Et nous avons attiré l’attention des membres de la commission pour leur dire que ceux qui se sont lancés dans une opération de désignation de prétendu chef de l’opposition ont gâché le débat qui est devenu un débat crypto-personnel. Ceux qui disaient que c’est Idrissa Seck ou Abdoulaye Wade, ont biaisé le débat. Pour le moment, on ne peut désigner de chef de l’opposition.» Selon lui, c’est la raison pour laquelle la commission politique a pris le soin de recommander que l’autorité mette en place une commission, composée d’experts et de représentants des partis politiques, pour proposer un projet de loi ou des textes sur la question, ce qui permettrait au gouvernement de faire adopter par l’Assemblée une loi régissant le statut de l’opposition et les modalités de désignation de son chef.
Représentant du pôle de l’opposition, Saliou Sarr va dans le même sens que Déthié Faye. «On ne peut pas définir le statut du chef de l’opposition sans définir le statut de l’opposition auparavant, nous avons dit qu’il fallait définir le contenu du statut de l’opposition, mais il n’y a pas eu de consensus jusqu’à présent», confie-t-il. De plus, précise-t-il, dans tous les pays où on détermine le statut du chef de l’opposition, on le fait avant d’aller aux élections, ce qui permet à ceux qui voudraient nouer des alliances de le faire en toute connaissance de cause. «L’opposition a donc dit que même si on devait définir le contenu, ce ne serait applicable qu’à partir de l’élection de 2024. Donc pour le moment, on ne peut pas encore parler de statut de chef de l’opposition», indique Saliou Sarr.
Face à l’absence de consensus de la Commission politique, la balle était dans le camp du chef de l’Etat qui devait prendre une décision. Seulement, à en croire Cheikh Sarr, le Président Sall ne peut pas trancher pour le moment. «Il ne peut pas trancher, tant qu’on aura pas fini l’audit du fichier électoral et l’évaluation du processus, fait savoir le représentant du pôle de la majorité. Il attend que les conclusions définitives des travaux soient déposées, ce qui n’est pas encore fait, nous n’avons déposé que des rapports partiels pour le moment.»
«Le statut revient de droit à Sonko»
Quid de l’entrisme d’Idrissa Seck qui le disqualifie d’office ? Cheikh Sarr relativise. «La question n’est pas liée à une personne, c’est une question de principe, nous disons que c’est le deuxième arrivé à la l’élection présidentielle. C’est une loi qu’il faut faire et une loi est toujours impersonnelle.» Mais suivant le constitutionnaliste et enseignant chercheur en Droit public, Ngouda Mboup, une chose est de poser le statut constitutionnel de l’opposition, une autre est d’en maîtriser les critères à mettre en avant pour la désignation de son chef. «Le statut de l’opposition est attaché à un chef de l’opposition intuitu-personae, c’est-à-dire en une personne dotée d’une légitimité populaire. C’est un statut dévolu et rattaché à une personne tel qu’il ressort de l’article 58 de la Constitution. Aujourd’hui, l’article 58 de la Constitution définit les entités composant l’opposition politique par une simple distinction du parti ou groupe de partis politiques constituant ou soutenant la politique du gouvernement. Pour prétendre porter le manteau du chef de l’opposition, il faut impérativement rester dans le giron des entités composant l’opposition politique.»
Le Pr Mboup signale que la suppression du poste de Premier ministre et l’adoption d’un régime présidentiel convergent toutes pour la désignation du second choix des Sénégalais à l’élection présidentielle comme chef de l’opposition. «L’élection présidentielle devient sans aucun doute le critère pertinent pour désigner le chef de l’opposition, même si les élections législatives restent un baromètre important à cet effet. Idrissa Seck ayant quitté l’opposition pour rejoindre le camp présidentiel, ce statut revient de droit au leader de Pastef Ousmane Sonko, arrivé en 3e position à l’élection présidentielle de 2019.»
Seulement, le Pr Moussa Diaw, enseignant chercheur en Science politique à l’Ugb, doute que le Président Macky Sall porte son choix sur le leader du Pastef. «Si on suit la logique du deuxième arrivé à l’élection présidentielle, c’est Ousmane Sonko qui doit être désigné puisque Idrissa Seck a rejoint la majorité, mais au regard de la situation actuelle, cela m’étonnerait que Macky Sall désigne quelqu’un comme Sonko comme chef de l’opposition, d’ailleurs c’est paradoxal que ce soit lui qui doive désigner celui qui doit être le chef de l’opposition», relève-t-il.
Selon Moussa Diaw, si le chef de l’Etat doit choisir, il va désigner quelqu’un avec qui il peut échanger. «Mais à mon avis, la question risque d’être renvoyée aux calendes grecques, vu la configuration actuelle. Et compte tenu des propos d’Idy, je pense que Macky va différer le choix du chef de l’opposition. Cela montre qu’il y a une dimension politique et des négociations en dessous, et je serais étonné que le président choisisse quelqu’un avec qui le courant ne passe pas.» Qu’il choisisse un leader et non un… dealer politique.