Silence, on décapite la souveraineté du Sénégal Par Adama Gaye*

par pierre Dieme

Silence, on décapite la souveraineté du Sénégal
Par Adama Gaye*

Ils se vantaient jusqu’à ces derniers jours de n’avoir pas bradé la société africaine de raffinerie (SAR) mais se flattent d’être sur le point de bazarder le principal bijou de famille des hydrocarbures du Sénégal, sa société nationale de pétrole (Petrosen).

Alors qu’ils avaient promis d’endiguer la malédiction qui frappe nombre de pays visités par la manne de l’or noir, pétrole et gaz, les dirigeants actuels du Sénégal, maintenus illégitimement en place au moyen de fraudes électorales industrielles, s’apprêtent à poser le dernier acte qui va sceller son installation, son étranglement, en son sein, sans aucune chance d’en échapper.

L’affaire est trop grave. Personne ne semble en mesurer les conséquences immédiates et pérennes. Une légèreté frisant la tentation suicidaire prépare le terrain, sur fond d’autosatisfactions dépassant les bornes de la folie.

De quoi s’agit-il ? On avait déjà connu le bradage des premières promesses, nées d’une forte «prospectivité» essentielle dans l’exploration des hydrocarbures, que les entrailles maritimes et terrestres de notre pays annonçaient avec les dernières prospections. Ce fut le méga-scandale Timis-Aliou. Du nom d’un aventurier apatride et de celui du frère de Macky Sall, le dealer à la tête du pays, embusqué en partenaire dormant, il fit perdre des milliers de milliards de francs CFA au Trésor public sénégalais.

La paupérisation nationale eut un effet inverse.

Elle résulta en l’enrichissement du triumvirat qui avait détourné les retombées de la manne. En plus d’avoir eu l’effet
additionnel de créer, sur notre dos, de nouveaux crésus, pendant que la jeunesse du pays se meurt au fond de l’Océan Atlantique, le marché mythique de Touba part en flammes sous l’œil impuissant des sapeur-pompiers, dépourvus de matériels pour combattre les flammes, et qu’hôpitaux et écoles, sécurité publique et services élémentaires de base font défaut sur l’étendue du territoire.

La corruption et les magouilles politiciennes ne sont pas les dernières pièces d’un puzzle qui a déjà refermé le cercueil d’une nation qui ne vivait plus que par un ultime soutien respiratoire.

Le fil est en passe d’être arraché pour la forcer à livrer son dernier râle.

Le comble, en effet, est donc le nouvel horizon qui s’offre à la vue face au pillage à la hache d’un secteur dont l’une des tendances lourdes dans les pays producteurs fut la montée en gammes, la fortification, des sociétés nationales d’hydrocarbures à travers le monde.

Pendant longtemps, depuis les premières mises à jour de réserves d’hydrocarbures dans les pays en développement (différentes des ressources dont une partie n’est souvent pas exploitables commercialement), cette industrie fut dominée, manipulée, par les grandes multinationales étrangères qui avaient très vite senti le filon. On connaît la saga des 7 Sœurs, désormais appelées les Majeures, qui régnèrent en maîtresses sur les gisements pétrogaziers des pays en développement, à travers des mécanismes oligopolistiques, tel que l’Accord d’Achnacarry de 1928, mais aussi celui de la ligne dite rouge, au moment du démantèlement de l’Empire Ottoman, fondement des crises actuelles en Syrie, en Irak, jusqu’à la Turquie, où elles s’arrogèrent les pleins pouvoirs pour décider des niveaux de production et des prix des hydrocarbures en s’emparant, bien évidemment, de la part essentielles des revenus pour n’en laisser que des miettes aux pays producteurs.

Le nationalisme économique consécutif au déclenchement des mouvements d’indépendance dans les pays en développement avait suscité la création d’un cartel autour des hydrocarbures avec la naissance en septembre 1960 de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), sur le modèle de celui de la Texas Railways Commission qui fut la première à réguler l’industrie pétrogazière.

Puis, les ressentiments issus de la guerre Israélo-arabe d’octobre 1973 dite du Kippour, quand l’Occident prit part pour l’Etat Hébreu, provoqua un regain de cette souveraineté militante dont la traduction fut l’augmentation, en particulier par les Etats arabes producteurs, des prix des hydrocarbures afin de punir les pays consommateurs alliés de leur ennemi. Six ans plus tard, la révolution iranienne et ses incertitudes, y compris un an plus tard la guerre entre les héritiers de l’Empire Perse et l’Irak, autour d’une rivalité ethno-religieuse entre Chiites et Sunnis, ajouta aux désordres haussiers des hydrocarbures.

Ce qui demeura cependant une réalité, malgré les yoyos et les efforts de reconquête des multinationales étrangères supportées par leurs Etats d’origine, fut le contrôle ferme des pays en développement sur les ressources en hydrocarbures. Ils inversèrent la tendance antérieure pour en détenir près de 90 pour cent.

C’est dans cette dynamique que s’inscrit la montée en puissance, au détriment des sociétés internationales d’hydrocarbures (IOC, selon le sigle anglais), des sociétés nationales d’hydrocarbures (NOC). On en connaît les plus célèbres, telles que la Saudi Aramco, la Vénézuelienne Pdvesa, la Mexicaine Pemex, l’Indonésienne Pertamina, l’Emiratie Adnoc ou encore l’Iranienne Nioc, sans oublier plus tard la naissance des africaines, comme la Nigériane Nnpc, l’Angolaise Sonangol, la Ghanéenne Gnpc, et, donc, la Sénégalaise Pétrosen.

Or, en pleine guerre du Covid, tandis que l’économie mondiale, souffle coupé, tente de débusquer les voies pour son avenir, le Sénégal, dans un accès de folie destructrice et prédatrice, veut vendre ses parts dans l’actionnariat de Petrosen à un groupe d’heureux bénéficiaires, plus prête-noms qu’acteurs honnêtes, et ainsi priver les sénégalais de ce qui devrait être leur principal instrument de reconquête de leurs parts de marché dans un capitalisme devenu plus proactif, futuriste et assis sur l’intangible.

Imaginez qu’en faisant entrer dans la bergerie de Petrosen, le représentant d’un capitalisme néocolonialiste français qu’est Eiffage avec quelques sénégalais triés sur le volet, au mépris de toute transparence et de respect d’équité entre les citoyens, le gouvernement du Sénégal va définitivement fermer les portes de nos hydrocarbures à notre population.

Ce qu’il faut savoir, c’est que les mises de fonds, dérisoires, que les «actionnaires», soutenus avec l’argent du contribuable et les marchés publics, vont mettre sur la table pour s’asseoir autour du banquet Petrosen ne sont rien face à la possibilité qui leur est donnée de lever des fonds incalculables sur le marché des capitaux en excipant de leur influence sur une société qui fait partie de celles que chérit un capitalisme plus tourné vers la capitalisation des revenus futurs que sur la tangibilité des gains présents.

Le temps où le capitalisme se nourrissait des gains de production, d’une rivalité entre capital et travail, dans l’optique marxiste, ou de la pertinence équilibrisatrice des prix, sur l’école classique, sur le fonctionnement des marchés est révolu. Son avenir, c’est demain…

Or, quoi de plus viable, dans ce contexte, qu’une vache laitière? On le sait, dans la comptabilité des industries extractives, notamment pétrogazières, il est permis de mettre sur le bilan les réserves contrôlées par les sociétés qui y sont actives. Brader Petrosen à un quarteron de dealers au service des magouilles de Macky, c’est jeter au vent la marque, le goodwill, l’attractivité intangible qu’elle représente.

Autant dire que, si ce que dit Habib Ndao, l’un des frimeurs qui prétendent parler au nom de l’Etat du Sénégal, est vrai, alors il y a fort à parier que nous sommes bien partis sur le sentier d’une irréversible malédiction.

On ne s’étonne pas que sa légèreté l’ait poussé à banaliser les morts des flux migratoires, jonchant les rivages du Sénégal, avec une formule qui en dit long : «même les pays développés avec des taux de croissance à deux chiffres ne peuvent pas créer un plein-emploi pour endiguer de telles menées suicidaires dans l’Océan», affirme-t-il, avant de glisser, irresponsable, que le Sénégal allait se désengager de Pétrosen.

Résumons : après le crime que fut la perte de nos premières découvertes d’hydrocarbures et le semblant malhonnête d’enquête judiciaire pour couvrir les fautifs, en particulier Aliou Sall et son frère, Macky, la cession de Petrosen privera le Sénégal de son plus important levier d’action pour aborder un monde post-covid où tous les signes annonciateurs indiquent un retour de la puissance d’Etat.

Le Sénégal, lui, sera nu. Dans le domaine des hydrocarbures, sa dépossession s’accélère d’autant plus rapidement qu’une ronde d’attribution de licences d’exploration pétrogazières a été lancée depuis plus d’un an, presque en catimini, entre Johannesbourg,Londres et Houston, avec treize sociétés étrangères, qui pourraient se voir décerner, virtuellement, des blocs alors que partout ailleurs dans le monde, face aux incertitudes, la gestion des hydrocarbures est à la retenue et à la prudence.

Si on compte les importants mouvements, en termes de transfert, d’acquisition et d’abandon, mais aussi de procédures d’arbitrage, marqués par ce que le jargon pétrogazier appelle le farm-in et farm-out et l’application du droit des investissements favorable aux sociétés étrangères, y compris les criminelles comme celle de Frank Timis, la boucle est bouclée. Le Sénégal a perdu sa souveraineté économique –ou n’est plus qu’à un doigt de n’en plus parler qu’au passé.

La gouvernance sobre et vertueuse est douce. Elle est la mère de la malédiction qui étrangle le peuple sénégalais. Chut, ne le dites pas alentour, c’est l’ultime étape dans la décapitation, l’assassinat, de la souveraineté de notre pays qui est à l’œuvre. Cyniquement…Qui intervient au moment précis où de vrais ajustements s’opèrent dans ce secteur névralgique s’il en est. Cas, notamment, en Arabie Saoudite où la société Aramco a mis en bourse 5 pour cents de ses actions pour engager sa mue vers une diversification post-pétrole, au Nigéria qui se dote d’une loi majeure sur l’industrie des hydrocarbures afin d’augmenter ses parts et retombées fiscales, au Ghana qui renforce sa société nationale, la GNPC, désormais capable d’intervenir dans la haute technicité de l’amont petrogazier, comme le fit, en modèle, la Norvégienne Statoil, et même en Angola qui se met à traquer les 24 milliards de dollars détournés par une nomenclature politique affairiste.

Le Sénégal lui s’enfonce dans les ténèbres. Il se maintient résolument en queue de peloton, au point d’être devenu le symbole achevé de la malédiction des ressources naturelles.

Qui s’étonne de l’explosion des migrations suicidaires qui déciment notre jeunesse. Nous n’en sommes qu’à leurs débuts. Le pire est imminent.

Adama Gaye*, Expert en hydrocarbures, est un exilé sénégalais qui vit au Caire, il est un opposant au régime de Macky Sall. Son dernier livre est : Otage d’un Etat, qui détaille la saga autour de son illégale arrestation en Juillet 2019, sa capture pendant 53 jours par l’Etat-voyou du Sénégal.

Ps: Ici avec Eldar Saetre, le patron d’Equinor, la société nationale de pétrole de la Norvège qui a remplacé Statoil; avec Bob Dudley, PDG de British Petroleum, qui a dû démissionner de ses fonctions après les révélations sur la corruption dans les hydrocarbures du Sénégal où sa société exploite le gaz unitisé entre le Sénégal et la Mauritanie (Champ Ameyhin Grande Tortue); deux parlementaires Ghanéens, président et vice-président de la commission des hydrocarbures, représentatifs des deux partis politiques adverses, en mission au nom d’une transparence partagée; enfin, au siège de l’Opep, avec feu Rilwanu Lukman, alors président e l’Organisation, qui est le père de la loi sur l’industrie des hydrocarbures de son pays, le Nigéria, récemment adoptée

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