La Falémé est polluée par les activités minières. Alors que l’exploitation du fer, confiée à une société turque, n’a pas encore démarré. Dans la commune de Bembou, arrosée par ce fleuve et située à 113 km de Kédougou, la vie est devenue très rude avec la disparition des différentes activités génératrices de revenus à cause des ravages des produits chimiques sur l’environnement. Ce fleuve est un trait d’union entre Kolia, Moussala et Mahinamine, le premier village malien situé de l’autre côté de la rive. Des deux côtés de ce cours d’eau jadis très poissonneux, le cœur des villageois saigne, les initiatives citoyennes sous-régionales fleurissent et les autorités essaient de trouver la bonne formule pour arrêter le massacre.
A Kédougou, la vie est suspendue aux richesses de la Falémé. Sur la rive gauche de ce fleuve qui sert de frontière entre le Sénégal et le Mali se dresse le village de Kolia, plongé dans une ambiance indescriptible. A perte de vue, il y a une pléthore d’unités de traitement de l’or. Dans un vronbissement infernal, des orpailleurs, debout, s’activent au lavage des roches réduites en poudre par des engins appelés «cracheurs». Du fait de l’inclinaison des planches, une bonne partie de l’eau boueuse et rougeâtre finit sa course dans la Falémé. Placées à un mètre du fleuve, des pompes fonctionnant à plein régime laissent couler de temps à autre de l’essence et de l’huile qui finissent dans les profondeurs de la Falémé, qui est devenue très polluée. Un décor inimaginable qui ne dérange personne dans ce milieu où seul l’argent compte. Guide de la presse locale, Khalifa Dansokho, bras droit du chef de village de Kolia, fait visiter les endroits pollués par les intenses activités. «Vous voyez, cette rivière boueuse a été créée par une société minière. Autrefois, c’est ici que nous puisions de l’eau à boire comme le fleuve se salissait en hivernage. Depuis 5 ans, avec l’installation de la société minière, l’eau de cette rivière n’est plus utilisable. La société a installé une station de pompage au bord du fleuve. Cette eau est conduite vers l’usine pour le lavage de l’or. De l’autre côté, elle utilise un chemin inverse à travers cette rivière pour évacuer l’eau déjà utilisée. C’est cette eau remplie de boue que vous voyez ici. Le niveau de la boue peut atteindre 2 m. Personne, ni aucun animal, n’ose s’aventurer aux alentours de cette rivière. Il arrive que certains animaux sauvages ou domestiques restent prisonniers, enfoncés dans cette rivière boueuse en essayant de la traverser. Il a fallu que la jeunesse du village de Kolia se soulève pour qu’elle réalise ce pont. Autrefois, nous faisions un grand détour pour se rendre à Faranding», a-t-il dit. L’amertume ronge tous les habitants qui dépendaient des richesses de la Falémé pour mener une vie moins anxiogène.
D’après des statistiques de la Direction régionale de l’environnement et des établissements classés (Dreec) de Kédougou, la région compte plus 90 sites d’orpaillage traditionnels et semi mécanisés. «Seuls les 13 sont autorisés par le ministère des Mines», précise la gouvernance de Kédougou. Bien sûr, ils doivent continuer à supporter ces désagréments. En février dernier, l’installation d’une société semi-mécanisée au niveau du village de Saenssoutou est venue encore enfoncer les villageois dans l’incompréhension. Sur place les dégâts sont terribles. «Oui on s’est déplacé et on s’est rendu compte effectivement que ces dégâts sur la Falémé, qui est un écosystème fondamental important dans l’environnement de cette zone, sont importants. Nous avons relevé toutes les non conformités et on a envoyé un compte rendu à l’autorité avec toutes les ampliations requises», précise Mamadou Bèye, chef de service de la Direction de l’environnement et des établissements classés de Kédougou (Dreec). Au cœur du système de contrôle, M. Bèye essaie de trouver la bonne formule. «A la suite de ça, on a eu à faire un déplacement dans le cadre de la validation des termes de référence d’un site de Soya gold à Médina Baffé. On a profité de l’occasion pour visiter la Falémé. On a constaté des agressions sur la Falémé et nous avons informé l’autorité. Ce sont les deux activités majeures que nous avons faites sur la Falémé. Maintenant, sur papier ce que nous avons eu à faire, il y a eu une rencontre présidée par le gouverneur à l’occasion de laquelle cette question a été agitée parce que justement c’est dans le cadre de l’Omvg (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie). On était en train de partager le mécanisme de gestion des plaintes. A cet effet, on a abordé la question de la Falémé, échangé et posé sur table les préoccupations qui étaient partagées avec l’ensemble des acteurs», rajoute le chef du Service régional de Kédougou.
Ecosystème ravagé
Aujourd’hui, la dégradation de l’écosystème est terrible. La destruction continue et accélérée de l’environnement et des équilibres naturels du fleuve, du fait de l’exploitation inconsidérée des ressources naturelles, de la baisse de la pluviométrie et de la disparition de certaines espèces de la faune et de la flore et des actions anthropiques, a de terribles conséquences. En plus, il faut y ajouter la perte progressive des moyens d’existence des populations riveraines du fleuve Falémé engendrée par une agression massive des ressources naturelles qui a un impact réel sur la qualité de l’eau, les végétaux, les animaux et la santé des hommes, car la pollution des eaux de la Falémé rend sa consommation risquée. «Les pertes en vies animales et végétales sont nombreuses. L’insécurité est grandissante dans le bassin de la Falémé du fait de la surpopulation liée aux activités d’exploitation minière (industrielle et artisanale), forestière et les transhumances transfrontalières.
L’impossibilité pour les populations riveraines du fleuve Falémé et de ses bassins versants de vivre dignement de leurs activités habituelles que sont l’agriculture, l’élevage et la pêche est un vrai problème», explique un haut dignitaire, désabusé par la tournure des évènements.
En tout cas, la dépollution devient très urgente. «L’Omvg a eu en 2019 à poser sur la table cette préoccupation relative à la Falémé et il y a eu des correspondances pour montrer que c’est véritablement un écosystème qui est hyper-pollué du fait des activités de l’orpaillage et de celles menées par les sociétés minières. C’est pourquoi, dans les perspectives au niveau national voire sous-régional, c’est d’aller vers une brigade mixte sénégalo-malienne. Pour qu’ensemble on puisse agir parce que dans le cadre de l’Omvg il est possible d’amener ces deux pays à asseoir des brigades mixtes pour intervenir et voir également comment régler cette question», suggère M. Bèye. Prises de court, les autorités multiplient les initiatives pour réduire ces activités qui propagent énormément de déchets très préjudiciables à l’environnement et la santé des populations. «Au-delà de cette brigade, il y a des initiatives qui sont faites dans le cadre de la convention du projet qu’on appelle Map/Exploitation minière de l’orpaillage à petite échelle dont le Sénégal en fait partie. En mars dernier, un atelier a été organisé à Dakar et a réuni l’ensemble des acteurs et qui en perspective devrait s’étendre au Mali pour régler la question de l’orpaillage traditionnel sur la Falémé. A ce niveau il a été préconisé, entre autres, des techniques beaucoup plus adaptées qui prennent en compte la dimension environnementale avec moins de cyanure et de mercure et moyen d’agressions. Et au niveau sous-régional, la problématique a été posée et quelques pistes de réflexion sont également agitées», poursuit le chef de service de la direction de l’Environnement et des établissements classés de Kédougou.
SOURCEPAR IBRAHIMA DIABAKHETA