Le philosophe par ailleurs ministre conseiller du chef de l’Etat était l’invité du Grand Oral. Sur les ondes de la 97.5 Rewmi Fm, El Hadji Hamidou Kassé est longuement revenu sur le décès d’ATT et la situation au Mali, la situation politique du Sénégal, entre autres. Morceaux choisis.
Une triste note pour démarrer cet entretien avec la disparition de l’ancien président malien, ATT, avec qui vous aviez des relations particulières. Pouvez-vous nous parler aussi de ses relations avec le pays où il a vécu pendant un bon bout de temps?
D’abord je voudrai réitérer mes condoléances à sa famille, au peuple malien, à ses amis mais aussi au président de la République, Macky Sall qui l’a accueilli ici alors qu’il traversait des épreuves sérieuses dans son pays. Personnellement c’est un ami, un grand frère car il m’appelait petit frère. Nous avions des relations tout à fait amicales et fraternelles. Je connaissais sa famille et ses meilleurs amis (…). Il a eu la courtoisie en 2002 me rendre visite dans les locaux du Soleil. Ce qui était un honneur pour moi parce que le nom ATT sonnait comme une référence, comme un repère. On l’appelait le soldat de la démocratie mais en plus de la démocratie c’était le bâtisseur du Mali moderne. Parce que de 2002 à 2012 il a entrepris une oeuvre colossale de modernisation de son pays mais également d’atténuation des souffrances de son peuple. Il est venu au Sénégal en 2012 comme exilé parce qu’en venant au Sénégal il venait chez lui. ATT aimait le Sénégal d’un amour tyrannique. Il aimait aussi profondément les sénégalais dont il admirait la tradition d’hospitalité, dont il admirait la générosité, dont il admirait l’intelligence. L’un dans l’autre le président ATT est séné-malien dans le sens où il était entre les deux et il était les deux à la fois. C’est pourquoi nous avons perdu un ami. C’est pourquoi nous avons perdu un frère. Nous avons perdu un compagnon (…).
ATT a disparu dans un contexte où le Mali traverse encore une crise institutionnelle grave. Avec ATT on s’est rendu compte que ce n’est pas la ressource humaine qui manque. Selon vous quel est le problème dans ce pays?
Ce serait très risqué de ma part de pouvoir dire pourquoi il y’a cette situation au Mali. Je pense des sociologues, des politistes, des psychologues seraient plus à l’aise pour identifier les causes et la carte des contraintes qui font que le Mali depuis 1968 et que depuis le renversement du président Modibo Keita jusqu’en 2012 avec l’invasion du Nord des groupes extrémistes pourquoi le Mali a traversé autant d’épreuves (…). Quelle est l’énigme de ces preuves-là ? Je ne suis pas fan du mystère de l’explication par le secret. Mais je dirais simplement que le Mali est un territoire de plus d’un million de m2. Donc très diversifié au plan démographique, au plan culturel et même temporel parce qu’entre Tombouctou, Gao et Bamako il y’a une heure de décalage. Le pays a une frontière avec des pays où le terrorisme a sévi pendant des années et des années. Le Mali même compte tenu de sa superficie, de sa démographie et de son énorme retard a traversé beaucoup de difficultés au plan économique. Et l’un dans l’autre le pays traverse beaucoup de fragilité surtout que ce n’est pas un Etat robuste comme l’État sénégalais par exemple qui a une très longue tradition. Et donc ces vulnérabilités, ces fragilités-là prédisposent le Mali évidemment à des séries de crise. Il faut aussi dire que l’armée Mali elle-même n’a pas cette puissance et cette longue culture républicaine qui lui permet d’être soudée surtout d’être plus défenseur de leurs institutions plutôt que d’être déstabilisatrices de ces institutions-là.
Dans la sous-région on constate que le 3e mandat a coûté la vie à plusieurs personnes. Avec ce qui s’est passé aux Usa pensez que l’attitude de Trump réhabilite Ouattara et Condé?
Je n’aime pas trop personnalisé compte tenu des réalités que vous savez. En tant que conseiller du président je n’entrerai pas dans ce débat. Je dirais également que certains pays africains comme le Sénégal en 2000 le président Diouf qui a gouverné 20 ans ce pays après le gouvernement Senghor qui a gouverné 40 ans de socialisme mais quand il a été battu en 2000 il a appelé son challenger le président Wade et il l’a félicité. Il n’y a pas eu des contestations de ces élections-là du côté des socialistes. Ça s’est passé et le pouvoir a été remis Wade. En 2007, le président Wade a été réélu et sans contestation majeure il a poursuivi. En 2011, il a dit qu’il veut être candidat et une partie du peuple a dit vous ne pouvez pas être candidat parce que vous avez fait deux mandats. Il y’a eu des manifestations et les gens ont prôné le boycott. D’ailleurs nous avec le président Macky Sall on avait dit si le conseil constitutionnel validait la candidature du président Wade on fera tout pour le battre dans les urnes. Mais c’est ça qui s’est passé et Wade a félicité son challenger et ça s’est passé correctement etc. Tout ça dans la paix et la stabilité. Au Sénégal on n’a jamais vu un président s’accrocher au pouvoir. Les gens se sont battus pour que le Sénégal en arrive là. Donc la démocratie sénégalaise est une démocratie bâtie. On a renforcé progressivement les socles, les fondements jusqu’à aujourd’hui avoir des institutions qui malgré les insuffisances, parce qu’il faut toujours améliorer, ont encadré notre démocratie et faisant que les élections depuis quand même 1988 sont devenues normales, libres et démocratiques. L’autre facteur c’est la qualité de l’élite et enfin les ressorts internes à notre société. Les sénégalais n’aiment pas les extrémistes. Le Sénégal c’est un pays du centre et nous sommes très sensibles aux valeurs de principe, de consensus, de concertation, de dialogue et qui fait que quand ça veut aller dans le sens du précipice il y’a toujours des forces qui viennent faire de la médiation souterrainement pour que le pays ne sombre pas dans le chaos.
Dans ce sillage approuvez-vous la démarche d’Idrissa Seck et beaucoup sénégalais semblent être surpris et parlent de deal ?
J’ai pris au sérieux ce que disent les uns et les autres parce que ça c’est important dans un pays. Chacun d’entre nous doit savoir qu’il ne détient pas le monopole de la démocratie encore moins du nationalisme. Nous sommes un même peuple. Un même pays. Les militants qui sont dans l’Apr sont passés certainement par le Pds. D’autres qui sont dans Pastef sont passés certainement dans le PS etc. L’élite politique sénégalaise se caractérise par la mobilité entre guillemets par les transhumances. Ce que j’appelle analyse concrète de la situation concrète m’a amené à me dire que je trouve à l’Apr tel qu’on l’avait porté un cadre propice pour réfléchir sur les problèmes des sénégalais.
Est-ce que cela traduit la mort des idéologies ?
Je ne parle pas de la mort des idéologies. Je parle du dépérissement des catégories qui fusent les gens dans des dogmes. Vous savez dans les années 30 du siècle dernier, les communistes chinois qui combattaient les nationalistes mais finalement se sont alliés contre l’impérialisme japonais. En Afrique, des parties d’obédience différente qui se vouaient aux hégémonies se sont alliés pour la lutte pour l’indépendance. (…) Quand je parle d’analyse concret de la situation concrète c’est au-delà de la morale. Parce qu’on confond souvent l’éthique et la morale. C’est-à-dire que certaines catégories ne sont pas opératoires. La vie n’est pas figée. La vie elle est dynamique et en fonction de la situation on peut parfaitement changer de discours, changer de tactique. Il y’a la stratégie, il y’a la tactique.
Qui est-ce qui explique cette ouverture à la mouvance présidentielle ?
Il y’a trois choses. Premièrement, le président a clairement dit qu’il allait tirer les conséquences du dialogue politique national qui a réuni toutes les forces vives de la nation. Tout le monde a participé sans exception. Encore une fois, on ne peut pas réduire cette démocratie à cette confrontation permanente. Alors ça c’est un aspect.
Le président a dit je vais en tirer les conséquences. Si nous sommes capables de nous asseoir pour discuter du problème du pays, on s’accorde sur un certain nombre de choses. Mais ça veut dire qu’on peut gouverner ensemble malgré nos divergences. Et demain s’il faut aller vers une compétition on va le faire et que le meilleur gagne. Le deuxième aspect, c’est la Covid. Au début de la Covid tout le monde s’est engagé autour du président dans le combat contre le coronavirus. Cela veut dire qu’il y’a des sujets clés autour desquels nous sommes tous d’accord. Et troisième aspect, mais cette crise-là elle a eu des conséquences tragiques pour ne pas dire dramatique sur l’économie nationale comme sur l’économie mondiale. Or, le président peut parfaitement estimer que face à cette situation-là, à trois occurrences, je pense que nous pouvons aller ensemble, régler des problèmes majeurs et que chacun garde son indépendance. L’essentiel c’est que nous discutons sans qu’on dise que quelqu’un est un traite. Nous devons liquider les préjugés parce que c’est cela qui nous permet d’être dans une discussion utile et productive pour le peuple sénégalais.
Cheikh Moussa Sarr