L’Etat snobe les victimes de l’émigration irrégulière

par pierre Dieme

La réaction du gouvernement n’est pas trop ressentie, après la série de drames qui continue de frapper beaucoup de familles ayant perdu un ou plusieurs des leurs en mer. Avec la résurgence de l’émigration clandestine par voie maritime, des centaines de jeunes à la recherche d’un «avenir meilleur» sont engloutis par l’océan atlantique. A part un tweet du président Macky Sall, un communiqué du gouvernement, quelques déplacements d’autorités locales, rien n’a été constaté. Les familles, dont certaines peinent encore à faire le deuil de proches (filles ou filles) disparus parque n’ayant aucune certitude/confirmation sur leur mort, sont laissées à elles-mêmes.

Des Sénégalais ont décidé de faire des réseaux sociaux un moyen de mobilisation pour rendre hommage aux victimes de l’émigration irrégulière. Ils se donnent rendez-vous, ce vendredi 13 novembre 2020, pour une Journée de commémoration et de prières en la mémoire des centaines de jeunes à la quête d’une «vie meilleure» dans l’Eldorado européen, mais qui sont malheureusement morts noyés dans l’océan atlantique. La démarche de ces citoyens semble combler un vide laissé par les autorités étatiques qui tendent à ne pas accorder au phénomène trop d’importance et à ne pas reconnaître l’ampleur qu’on lui «donne».

A part un communiqué du gouvernement qui revient sur les départs et l’interception de 5 pirogues entre le 7 et le 25 octobre, ou encore l’annonce que les opérations de surveillance en mer sont en train d’être menées avec des moyens aériens et navals renforcés ; une coordination est assurée en permanence pour prévenir les risques. Dans le même communiqué, il est dit que le président de la République, dans le cadre de la coordination gouvernementale, a donné des instructions pour «mutualiser les efforts» et a lancé un appel aux populations à plus de vigilance et à la collaboration avec les Forces de défense et de sécurité pour préserver la vie des jeunes, tentés par l’émigration clandestine.

Par la même occasion, le président Macky Sall avait exprimé sa compassion et sa solidarité aux familles des personnes disparues. Un soutien qu’il avait exprimé plutôt à travers un tweet, après l’explosion d’une pirogue en mer qui a fait au moins 140 morts selon l’Organisation internationale pour les migration (OIM), information démentie par le Secrétariat général du ministère de l’Intérieur sans donner à ce jour le nombre réelle de victimes, et en Conseil des ministres.

PLUTÔT QUE DE DONER DES GAGE ET ASSURANCE… AUX JEUNES, L’ETAT EST DANS LE DÉNI…

La réaction du gouvernement face au drame de l’émigration clandestine qui est en train de décimer plusieurs ménages, surtout des pêcheurs, c’est aussi la visite du tout nouveau ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et de Désenclavement, par ailleurs maire de Saint-Louis, aux familles de ses administrés ayant péri en mer. Mansour Faye était à Pikine, un quartier de St-Louis où l’on a dénombré une vingtaine de décès dans l’explosion de leur pirogue, en partance pour l’Espagne, au large de Mbour, la nuit du jeudi 22 au vendredi 23 octobre 2020. A part ces quelques actes, rien de plus. Si ce n’est un démenti des 480 morts en mer (estimations de l’Ong Alam Phone) et des responsables du gouvernement qui tentent de récuser la morosité économique évoquée comme étant un des facteurs qui pousse les jeunes à choisir l’émigration irrégulière.

Pourtant, à des occasions pareilles, c’est le président de la République, Macky Sall, qui se déplace pour présenter ses condoléances aux proches des compatriotes victime. Des ministres sont aussi envoyés auprès des familles des victimes pour les réconforter ou même un deuil national est décrété ; c’est selon. Mais, de toute façon, l’on sent la présence de l’Etat pour réconforter les familles et indiquer la meilleure attitude/voie. Ce qui ne semble pas être le cas. En ce moment où le pays, qui continue de perdre des bras valides, par centaines, et les jeunes tentés par l’aventure ont besoin de gages et d’assurance… les autorités excellent dans le déni de l’ampleur du phénomène et du nombre de victimes.

DEUIL NATIONAL APRÈS L’INCENDIE DU DAAKA, LA BOUSCULADE DE MOUNA, LE DRAME DE BOFFA BAYOTTE…

Des évènements tragiques, certes, mais avec moins de victimes que les décès de jeunes migrants notés ces dernières semaines, avaient poussé les autorités à décréter un deuil national. En janvier 2018, le président de la République avait décrété un deuil national de deux jours suite au drame de Boffa-Bayotte. «Le président de la République a décrété un deuil national de deux jours, à compter du lundi 8 janvier, pour honorer la mémoire des victimes de l’attaque armée survenue le 6 janvier 2018 dans l’arrondissement de Niaguis, département de Ziguinchor.

Pendant cette période, le drapeau national est en berne et des minutes de silence sont observées durant toutes les cérémonies officielles. Les rassemblements et autres cérémonies de réjouissance sont interdits sur l’étendue du territoire national», lisait-on dans un communiqué publié le 7 janvier 2018. Aussi, après l’incendie survenu au Daaka de Médina Gounass, en 2016, le chef de l’Etat avait décrété un deuil national d’une durée de trois jours. Il a démarré le mardi 18 avril. L’incendie du Daaka avait occasionné une trentaine de morts et une centaine de blessés. En octobre 2015, des Sénégalais en pèlerinage à la Mecque avaient succombé, après la bousculade de Mouna.

De retour d’un voyage au Etats-Unis, le président Macky Sall avait aussitôt pris la décision de décréter un deuil national de 3 jours, avec comme conséquence, le drapeau national mis en berne pendant tous les 3 jours. Le bilan officiel de la bousculade de Mouna est de 54 victimes sénégalaises. En avril 2017, après le drame de Bettenty, le président Macky Sall s’y est rendu pour présenter ses condoléances aux familles éplorées. Le chavirement d’une pirogue dans cette localité avait coûté la vie à une vingtaine de femmes. Sur place, il avait annoncé de mesures fortes pour lutter contre les accidents à la nature du drame dans les zones côtières.

Bref, à plusieurs occasions également, le chef de l’Etat s’est déplacé pour des condoléances ou porter son soutien à des Sénégalais en détresse. Et pourtant ce sont des familles qui sont décimées par la perte d’un être cher, parti brutalement parfois même sans avertir. Et la posture des autorités semble épouser leurs réactions par rapports à ceux qui indexent l’échec des nombreuses politiques surtout de jeunesse comme étant la cause de l’amplification du phénomène.

Fatou NDIAYE

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