Le temps de l’Afrique a peut-être sonné avec l’éviction de la Maison Blanche de Donald Trump. L’élection d’un nouveau président américain, en la personne du candidat du parti démocrate, Joe Biden, recrée en effet les conditions d’un recentrage de la politique étrangère du plus grand pays au monde. Même si son statut est menacé par son rival, la Chine, qui restera son point focal, son pivot, on peut parier qu’une éclaircie pourrait venir du pays de l’Oncle Sam pour redonner un nouvel élan à l’autre relation transatlantique longtemps marginalisée au profit de celle qui le liait aux pays Européens.
“Maintenir la domination américaine au sein de l’Europe, amoindrir l’Allemagne et tenir à l’écart l’ex-Union Soviétique » furent le trépied du dialogue de Washington dans son lien transatlantique Nord ayant dominé sa politique étrangère tout au long de la guerre froide, de 1948 à 1991. C’est la période où, autour du Traité de l’Atlantique Nord ayant créé l’organisation militaire éponyme, l’OTAN, en Avril 1949, elle entreprit de contenir l’expansion du communisme.
On en avait oublié que l’Afrique, à l’autre versant, comme l’Europe, partageait aussi une frontière commune avec l’Amérique.
Un moment, l’espoir sembla naître qu’elle lui donnerait un égal intérêt après la chute du camp communiste. Dans les jardins de la présidence américaine, alors qu’il reçoit, en 1989, le défunt Président congolais, Mobutu Sese-Seko, en ma présence, le Président américain de l’époque, George Bush-père, par ailleurs ancien patron de la Cia, l’agence américaine des renseignements, et donc au cœur de la stratégie de présence de son pays dans les Etats africains «clients», annonce l’aube d’une ère nouvelle dans le lien des Etats-Unis d’Amérique (Usa) envers le continent africain.
La promesse fut vaine. Depuis, en dehors des voyages officiels, plus safaris que de substance, effectués de part et d’autre de l’Océan, et le déploiement de quelques politiques destinées à plaire à l’électorat noir-américain représentant 12 pour cent du total, ou à servir de relations publiques pour masquer ses méfaits dans des territoires éloignés, notamment en Afghanistan ou en Irak, rien de profond n’a été envisagé pour bâtir une vraie relation USA-Afrique.
Tout observateur attentif sait que d’abord la militarisation de la diplomatie américaine après les attaques terroristes du 11 Septembre 2001 s’est traduite par une volonté de créer sur le continent une base militaire US, représentée par le projet Africa Command Center. Lequel n’a jamais pu décoller. L’envoi de forces spéciales et de drones viendront confirmer l’inclusion de l’Afrique dans la lutte contre le terrorisme devenu l’une des pierres angulaires de sa politique planétaire.
N’eussent-été les initiatives lancées pour promouvoir le commerce entre les USA et l’Afrique, selon l’Evangile du Commerce à la place de l’Aide, l’une des stratégies déployées par l’un des anciens présidents américains, Bill Clinton, l’un des plus actifs militants de la coopération Amérique-Afrique, et articulée autour de la loi sur la croissance africaine (Agoa en anglais), et le Pepfar, l’autre grande signature politique africaine de Washington, pour lutter contre les grandes pandémies, particulièrement le Sida, lancée par son successeur, George Bush-fils, on aurait continué de parler des rapports des Usa en direction de l’Afrique comme relevant de ce que les exégètes Outre Atlantique qualifient de «benign-neglect» (une négligence bénigne).
Tout au plus dans sa loi de finances, pour se donner bonne conscience, Washington consentait-elle à prévoir une maigre aide annuelle, militaire et humanitaire comprise, d’environ 900 millions de dollars.
Ceux qui avaient cru que l’avènement en 2008 du premier Président métis, de père africain, en Barack Obama, ferait pencher la balance se trompèrent lourdement.
Il n’en fut rien. Plus marqué par des gestes et une rhétorique incitant à la construction d’institutions fortes axées sur la bonne gouvernance et la démocratie en minorant le syndrome des messies, omnipotents, à la tête des Etats africains, le passage à la Maison Blanche du descendant d’une famille de l’ethnie Luo du Kenya n’eut aucune incidence dans le renforcement de la relation africaine.
Bien au contraire, l’histoire retiendra qu’il fut plutôt l’architecte de ce qu’il avait défini comme le pivot de son pays vers l’Asie, perçue, à la différence de l’Afrique, comme la région géographique où se jouerait le 21ème siècle.
Puis ce fut l’Ouragan. Donald Trump, puisqu’il s’agit de lui, réussit, en quatre ans, à tout défaire de ce que son prédécesseur avait entrepris, y compris le Trans-Pacific Partnership (TPP), l’Accord sur le nucléaire iranien, celui sur le climat, sans compter son saccage du multilatéralisme avec le retrait des USA de l’Organisation des nations-unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) et l’Organisation mondiale de la santé (Oms) ou encore le gel de leurs contributions budgétaires au sein même de l’Organisation des nations-unies (Onu).
C’est dire que le moment est venu d’un reset, d’un redémarrage, reprenant un concept cher à Obama, afin de remettre à l’endroit ce qui a été démoli par Trump, le bulldozer de l’unilatéralisme.
Qu’on ne s’y trompe cependant pas : dans un pays né avec une culture du lobbying, seules les régions du monde capables de vendre leur image au nouveau leadership américain seront en première ligne dans le reclassement géostratégique qui va débuter avec l’installation, le 20 janvier, du nouveau chef de l’Exécutif américain.
On peut s’attendre à une relance de la coopération avec l’Europe, dans le bassin Occidental de la civilisation judéo-chrétienne, parce que l’Amérique, selon les enseignements du stratège Zbigniew Brezinski, sait que l’eurasie, cet hinterland qui s’entend de l’Atlantique juqu’à l’Oural, pour reprendre le mot de De Gaulle, restera dans un proche avenir aussi important que la domination des mers et oceans pour la puissance américaine.
Joe Biden n’y pourra rien. L’Amérique n’est pas un pays où le président est le deus-ex-machina. Il lui faut compter sur les termes de l’intérêt national qui sont définis parfois en des cercles où il n’a qu’une faible prise. Réactiver les liens malmenés avec les partenaires Européens, revivifier l’Otan, contenir le réveil nationaliste et prosélytiste Russe, et son avatar Turc, seront au cœur de son action. L’enjeu est de pousser à une logique de reformulation de la stratégie du containment, d’endiguement, de la nouvelle rivale chinoise, en s’appuyant sur une doctrine lancée en 1949 par George Kennan, quand il s’agissait de contenir l’idéologie communiste. Les temps ont, depuis changé, et cette fois ci, le projet qui sera mis en œuvre vise à empêcher la Chine, dans un duel géo-économique, de prendre le leadership mondial.
Parce qu’elle a perdu son attrait géopolitique avec les comportements anti-démocratiques de ses dirigeants, leur corruption, l’affaissement de ses économies, l’Afrique est donc mal partie pour occuper une place prioritaire dans l’agenda du nouveau patron de l’Amérique. Certes, comme avec la guerre contre le terrorisme et le fondamentalisme religieux extrême, elle pourrait être bénéficiaire de certains axes de la diplomatie new-look des USA. Les plages de sa projection peuvent consister soit à promouvoir la coopération sanitaire, lutte contre le Covid19 oblige, le déploiement de la culture au moyen des nouvelles technologies dans une course stratégique avec Pékin, ou encore la gestion des données de masse. Continent où le dividende démographique est avantageux, dernier réduit où se concentrent les terres encore arables, gorgé de ressources naturelles qui se révèlent au fur et à mesure que les explorations s’y développent, et espace à convaincre pour l’enrôler dans la guerre géoéconomique mondiale en gestation, l’Afrique pourrait retenir l’attention des conseillers africains qui piaffent d’impatience pour combler le désintérêt de Trump envers ce qu’il appelait avec romantisme des pays de m…..
Le grand obstacle que Biden devra franchir est d’éviter de tomber dans le panneau des dealers, c’est-à-dire des «hands», ces mains spécialisées sur l’Afrique, qui n’attendaient que ce moment pour jouer de leur influence dans une Maison Blanche amicale.
La question est de savoir comment ces «africanistes» de tous poils pourront-ils être crédibles à la lumière des marchés de lobbying qu’ils ont décrochés auprès de gouvernements africains scélérats et toxiques, pressés de pervertir la relation qualitative nouvelle sans laquelle toute relation transatlantique entre l’Amérique et l’Afrique ne sera qu’un fleuve de magouilles sans fin.
On observera attentivement qui il nommera pour diriger son conseil national de sécurité, instance fondamentale par excellence, ce qu’il fera d’un Département d’Etat, siège traditionnel de la diplomatie américaine mais mis à l’article d’un sommeil profond par les Tweets de Trump, ou la place qu’il accordera entre la CIA et les Départements du Commerce, de l’Energie et du Trésor dans le rapport à l’Afrique.
Il est encore matinal pour savoir si l’heure de l’Afrique sera une réalité ou non sur les bords du Potomac avec l’avènement de Biden.
Un danger guette : les activistes, mis à l’écart par Trump, vont soudain surgir pour revendiquer une amitié inexistante avec lui et se poser ainsi en obstacles sur la voie d’une définition transparente d’une relation mutuellement bénéfique entre les deux rives de l’Atlantique.
Une nécessité s’impose : à la lumière des 70 millions d’électeurs conservateurs, attachés à l’unilatéralisme Trumpien autant qu’à un repli de l’Amérique derrière ses frontières Océaniques, le Pacifique et l’Atlantique, dans un superbe isolement, tout excès de zèle, toute générosité injustifiée en direction de pays qui ne donnent pas l’exemple, pourrait faire basculer la balance de l’arithmétique électorale américaine en faveur des forces hostiles aux pays les moins vertueux, et l’Afrique est dans leur ligne de mire.
Joe Biden ne doit donc se hâter que lentement en redéfinissant la relation de son pays avec le continent africain, le chemin de l’enfer étant pavé de bonnes intentions, comme on le sait. Tout effort de relance devra être complété par une action provenant de l’Afrique elle-même. Or, dans un contexte où ses dirigeants sont perdus par leurs reniements, bien malin est celui qui peut predire un sursaut de leur part…
Adama Gaye*, opposant au régime de Macky Sall, vit en exil au Caire.