En voulant mouiller l’agent commercial Mamadou Moustapha Ndiaye, qu’ils ont chargé sur procès-verbal d’une kyrielle d’infractions, trois policiers qui l’ont malmené puis brisé ses deux côtes ont vu hier la situation se retourner contre eux. Ils ont été bien savonnés par le juge des flagrants délits de Dakar, hier, devant qui ils ont comparu en tant que partie civile dans cette affaire. Le procureur de la République, qui était mal à l’aise dans ce dossier, a signifié aux policiers qu’il avait honte d’être leur patron. Pour sa part, le prévenu Moustapha Ndiaye qui a été renvoyé devant cette juridiction pour outrage et rébellion a été purement et simplement relaxé.
Dans ce dossier d’outrage à agent et de rébellion opposant les trois agents de police, Adama Ndiaye, Latyr Faye et Soubeyrou Mbodj, à l’agent commercial Mamadou Moustapha Ndiaye, la montagne a accouché d’une souris. Le 2 novembre dernier, lors de sa comparution, le prévenu Mamadou Moustapha Ndiaye, muni d’un certificat médical à la barre, les accusait de l’avoir malmené et de lui avoir cassé ses deux côtes. Aussi, vu la gravité des faits et des accusations portées à l’encontre des policiers, l’affaire avait été renvoyée à l’audience d’hier, 9 novembre, pour la comparution de ces forces l’ordre qui se sont constituées parties civiles. Le tribunal avait raison de recourir à cette formalité, car l’agent commercial qui a été jeté en pâture est en réalité la victime dans cette histoire. Les débats d’audience devant le juge des flagrants délits de Dakar ont édifié, éclairé et donné raison au plaignant et du crédit à ses accusations. Car, tout le monde a réellement su ce qui s’est passé entre les protagonistes.
Les faits
Sur ces faits qui se sont déroulés le 27 octobre dernier, Moustapha Ndiaye soutient qu’il effectuait une livraison au garage Bignona, situé à la Zone de captage quand il a aperçu des individus qui fouillaient son sac qui se trouvait dans son véhicule. Devant ce fait, le prévenu leur a demandé les raisons pour lesquelles ils fouillaient dans ses affaires. L’un d’eux lui a révélé qu’ils sont des agents de police. Indigné, il leur a signifié qu’ils n’avaient pas le droit d’agir de la sorte à son égard. Mais avant même qu’il ne termine ses propos, l’agent qui détenait son sac l’a giflé. Pire, les trois agents de police se sont jetés sur lui, le bastonnant à coups de matraque.
Face au juge hier, Mamadou Moustapha Ndiaye est revenu sur sa mésaventure. «Quand ils ont voulu m’embarquer dans leur véhicule, un ami de mon père, témoin des faits, est venu intervenir. Ils m’ont relâché, mais je leur ai dit que je ne comptais pas m’en arrêter là. Ainsi, ils m’ont à nouveau embarqué», dit-il. Avant de poursuivre : «après avoir été entendu à la police, j’avais demandé à voir le commissaire pour me plaindre des agissements de ces agents. Quand il a su que j’ai été blessé, le commissaire a ordonné qu’on m’emmène à l’hôpital. Après il a promis de régler l’affaire à sa manière, tout en reconnaissant que ses éléments n’avaient pas le droit de brutaliser les gens», dit-il. Et alors qu’il croyait en avoir fini avec eux, il est rappelé par les limiers qui lui ont intimé l’ordre de signer le procès-verbal dans lequel les agents enquêteurs lui ont prêté des propos qu’il n’a pas tenus. Mais, face à son refus, ils lui ont collé les infractions de rébellion et outrage à agent, malgré sa douleur.
Les policiers se lavent à grande eau
À sa suite, les policiers Adama Ndiaye, Latyr Faye et Soubeyrou Mbodj, ont balayé d’un revers de main les accusations que leur impute Mamadou Moustapha Ndiaye. Dans leurs dépositions, ils ont confié au tribunal avoir agi en respect des normes édictées par la loi. Poursuivant, ils ont expliqué que c’est lors d’une patrouille qu’ils ont vu deux individus suspects à bord d’un véhicule. C’est là qu’ils ont décidé de procéder à leur fouille après avoir décliné leur identité. Mais, précisent-ils, Mamadou Moustapha Ndiaye n’était pas présent lors de la fouille de son véhicule. Ils ont à l’unanimité souligné que celui-ci, une fois sur les lieux, a commencé à les invectiver en s’opposant à la fouille de sac. C’est ainsi qu’ils l’ont arrêté.
La présidente du tribunal : «Vos actes doivent cesser. Vous devez assurer l’ordre, pas opprimer les citoyens»
Mouillé par le mis en cause et l’un des témoins, qui l’ont indexé comme étant celui qui lui a flanqué une gifle, le policier Adama Ndiaye s’est lancé dans des dénégations systématiques sans pour autant convaincre le tribunal. La présidente de l’audience qui s’est emportée sur eux les a rappelés à l’ordre. «Un simple citoyen n’oserait jamais insulter un policier sans raison. Vos actes doivent cesser. Vous devez assurer l’ordre. Vous ne devez pas opprimer les citoyens. Vous êtes trois contre lui. Même s’il y avait rébellion, vous pourriez le maîtriser. Vous avez des menottes n’est-ce pas ?» L’un des assesseur de rétorquer : «en tant qu’agents, avez-vous le droit d’interpeller les gens sans l’aval de vos supérieurs ?»
Toujours est-il que lorsque le tribunal a demandé à l’un deux de lui montrer sa carte professionnelle, le policier a dit qu’il ne l’avait pas. Ce faisant, le tribunal lui a demandé comment il est entré dans le palais de justice, vu que toute personne qui y accède est identifiée avant son entrée. Ainsi, le tribunal lui a notifié qu’il n’avait pas montré sa carte professionnelle au prévenu lorsqu’il procédait à son interpellation et c’est ce qui prouve qu’il n’en n’avait point.
Le procureur aux polciiers : «J’ai honte d’être votre patron»
Au regard de ces observations, le représentant de la société ne s’est pas empêché de montrer son indignation. Pire, le procureur de la République a dit aux policiers qu’il avait honte d’être leur patron. «Face à ce genre d’actes, on est mal à l’aise», a pesté le maître des poursuites, qui a requis l’application de la loi contre «ses hommes». Les avocats de Mamadou Moustapha Ndiaye ont profité de l’occasion pour plaider à l’unanimité qu’il soit purement et simplement relaxé. Me Famara Mbengue d’ajouter : «en tant qu’agents assermentés, ils sont tenus de dire la vérité. Mais ils ne l’ont pas fait. Ils n’avaient pas le droit de fouiller son sac en se basant sur des suspicions. Certains agents ont des comportements déplorables et il est nécessaire que la police assainisse son secteur», a suggéré la robe noire, qui s’est offusquée du comportement des limiers. Se substituant à son confrère El Hadji Malick Basse, Me Abou Abdoul Daff a conforté son prédécesseur dans sa plaidoirie. «Mon client est un citoyen modèle et extrêmement correct. Il a le droit de circuler librement, car sa sécurité incombe à ces personnes. Ils sont descendus sur le terrain en violant la loi. Ils n’étaient pas accompagnés d’officiers de police judiciaire. Le peuple sénégalais doit savoir que ces trois personnes ont agi dans l’illégalité. Ils se sont substitués à leur supérieur et ont agi en chef», a tonné Me Daff. Le conseil a clairement indiqué qu’ils ne comptent pas s’en arrêter là. À l’en croire, il est temps que de tels agissements de la part des forces de l’ordre cessent. Le tribunal a suivi les sollicitations des avocats du prévenu avant de relaxer celui-ci purement et simplement.
Fatou D. DIONE
LES ECHOS