Le nouveau ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Diome, apolitique, a été, en tant que maître des poursuites, le bourreau de Karim Wade et Khalifa Sall. Il fera face à l’opposition cette fois-ci en dehors des salles de tribunaux pour organiser des élections et assurer la sécurité du pays. Mais aussi superviser la préparation des milliers de Gamous, Magals et autres « Jang » qui foisonnent dans notre si particulier pays !
ntoine Félix Abdoulaye Diome ! Son nom reste intimement lié aux affaires Karim Wade et Khalifa Sall. En 2015, au procès de l’ex-ministre « du Ciel et de la terre », condamné un certain lundi 23 mars 2015 à six ans de prison ferme et 138 milliards de francs CFA d’amende pour enrichissement illicite, le Sénégal découvre un jeune procureur tenace. L’allure impeccable. La mise bien soignée dans des costumes sur mesure. Tout pour plaire à la première dame qu’il croise sur son chemin par le biais d’un homme d’affaires nommé Abdoulaye Sylla devenu richissime patron d’Ecotra. Le jeune proc a des airs d’ado.
L’allure d’un jeune premier. Mais rassurez-vous, il n’était pas venu pour jouer une scène. Il avait une mission. « Tuer ! ». Et l’avait réussie avec brio lors du procès de l’ancien ministre tout-puissant ministre d’Etat Karim Wade. Toujours avec ce sourire qui ne laisse échapper aucun sentiment, comme celui des tueurs de polars, M. Diome n’a raté aucun détail qui pouvait davantage « mouiller » le fils de Wade. Ses questions, incisives et mortelles, c’était pour mieux enfoncer le célèbre accusé. Mais, il faisait face à une forte tête qui a résisté. Quand il prenait la parole, on sentait chez l’ancien substitut du procureur, un redoutable enquêteur. Le plus petit détail était une brèche où il pouvait s’engouffrer. Son rôle, il l’assurait avec rigueur et sérieux comme si on lui avait remis une feuille de route.
En réalité, dans ce jugement du fils de l’ancien président de la République, il y avait un procès dans le procès. Tandis que les avocats faisaient des effets de manches et brassaient du vent, plaidant surtout pour les médias, Antoine Félix Diome et Karim Wade s’affrontaient à fleurets mouchetés. Il se dit qu’ils étaient les deux seuls acteurs de ce procès à avoir étudié sérieusement les quelque 6000 pages du dossier qu’ils connaissaient presque par cœur à force de l’avoir lu et relu. Cela, quand la plupart des avocats n’avaient fait qu’en survoler une partie !
Contesté pour n’avoir pas le grade requis pour occuper les fonctions de procureur de la Crei, Antoine Félix Diome avait néanmoins été promu plus tard agent judiciaire de l’Etat. Un poste prestigieux, une récompense à la mesure des services rendus lorsqu’il officiait à la Crei. Un poste, surtout, juteux puisque c’est son titulaire qui exécute tous les engagements financiers de l’Etat découlant de décisions judiciaires ou d’accords, de transactions etc. De procureur, donc maître des poursuites, Antoine se retrouve avocat teigneux attaché à défendre bec et ongles, contre vents et marées, les intérêts financiers de l’Etat. Mais aussi politiques de son chef ! Avec comme mission de « liquider » des adversaires politiques du chef de l’Etat Macky Sall.
Dans le procès de l’affaire de la caisse d’avance de la ville de Dakar, il se distingue encore par ses positions tranchées. Les accusés doivent rendre gorge. Et disons- le, il n’a pas fait de cadeaux à l’ancien maire de Dakar. Inflexible, il n’a cessé d’acculer Khalifa Sall et ses co-prévenus. Sa mission de défendre les intérêts de l’Etat, il en fait un sacerdoce. Durant tout ce retentissant procès que certains ont vite fait de ranger dans le registre des procès staliniens, le nouveau ministre de l’Intérieur, s’appuyant sur le Droit, s’était évertué à « prouver » l’implication de l’ex-maire de Dakar dans l’affaire de la caisse d’avance.
Affichant un sourire sarcastique, il n’avait pas son pareil pour désarçonner ses vis-à-vis ! L’argumentaire et la rhétorique d’ « Antoine » séduisent même ceux qui se présentent comme ses ennemis. Il a l’art de la parole et la distille avec parcimonie. Avec panache, il fait étalage de sa bonne maitrise de la science juridique. Normal, ce brillant procureur n’a-t-il pas été formé à la meilleure école du parquet qui soit, celle de Lamine Coulibaly, le défunt procureur de la République de Dakar ? Un maître ès-poursuites judiciaires !
Un brillant magistrat respecté par ses pairs pour sa maitrise de la science juridique
Magistrat surdoué, Antoine Félix Diome a effectué un parcours sans faute. Il a accédé aux échelons sans brûler les étapes dans le milieu judiciaire. Il fut substitut du procureur au tribunal d’instance de Diourbel. Diourbel qui lui a permis de se rapprocher géographiquement mais aussi spirituellement de Touba dont il est un talibé les plus fervents. Un mouride « sadikh » disciple de feu Serigne Saliou Mbacké, Khalife général, d’abord, puis de Serigne Bara, lui aussi khalife général, tous deux le considérant comme leur fils biologique. Plus tard, Antoine est promu avocat général près de la Cour d’appel de Dakar après avoir été délégué du procureur de la République du Tribunal d’instance de Guédiawaye. Né à Khombole, grandi à Grand-Dakar musulman — comme son nom ne l’indique pas ! — et fervent talibé mouride, M. Diome a obtenu son Bfem au lycée Malick Sy de Thiès avant de réussir son baccalauréat au lycée Blaise Diagne de Dakar. Un établissement que quelques centaines de mètres seulement séparent de la Faculté de Droit de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Après sa Maitrise (actuel Master II), il est reçu à la prestigieuse Ecole nationale de l’administration et de magistrature (Enam). Il en sort jeune magistrat brillant et craint pour ses plaidoiries. Dans l’affaire Karim Wade, il assurait le second rôle auprès de l’ancien procureur Alioune Ndao au niveau de la Crei mais avait incontestablement volé la vedette à son patron d’alors, Alioune Ndao.
« Il lui sera aussi difficile de gagner la confiance des acteurs politiques qui le soupçonnent déjà d’être un premier flic pion d’un président qu’il a «servi» à la Crei et à l’agence judiciaire de l’État pour «freiner» des opposants », selon Mame Gor Ngom
L’homme est décrit comme imperturbable. En atteste son comportement lors du procès de Khalifa Sall où, malgré les chahuts, cris et autres provocations pour le faire sortir de ses gonds, il était resté stoïque. Zen. Discipliné, il ne prend la parole que lorsqu’il en reçoit le « Ndigel ». Pardon, lorsque le président du tribunal ou de la cour la lui donne ! A la tête du ministère de l’Intérieur, M. Diome ne sera pas crédible aux yeux de l’opposition, du moins d’après l’analyste politique Mame Gor Ngom. « En choisissant Antoine Félix Diome au ministère de l’Intérieur, le président a voulu trouver un remplaçant à Aly Ngouille Ndiaye, un des ténors de l’APR défenestré sans raison officielle même si certains parlent de «délits d’ambition».
M. Ndiaye a été à la hauteur de sa station de premier flic du pays. Il a le plus souvent agi avec sérénité et a entretenu surtout de bonnes relations avec toutes les familles religieuses. Ce qui n’est pas rien. Responsable de premier plan du parti présidentiel, il a été aussi critiqué par une opposition qui réclamait un homme moins coloré. M. Diome, qui n’est d’aucune formation politique, pourrait être l’homme attendu pour notamment organiser les élections à venir, sans pour autant être soupçonné de parti- pris. Mais le hic est que ce magistrat traîne une réputation «d’obligé» de Macky pour le compte de qui il aurait joué un grand rôle pour emprisonner Karim Wade dans le cadre l’enquête sur les supposés biens mal acquis avec la Crei.
Sa posture pour «hâter» la descente aux enfers de Khalifa Sall, est souvent soulignée. Une telle perception brouille complètement son «statut» d’homme neutre et de magistrat aux compétences avérées reconnues par ses pairs », explique le journaliste d’Afrika Check M. Ngom. Il estime donc que la balle est dans le camp du nouveau ministre de l’Intérieur tenu de rassurer l’opposition qu’il peut être un homme au-dessus de tout soupçon de manipulation électorale ! « Maintenant, il sera difficile de contester une telle personnalité nommée à la tête du ministère de l’Intérieur. Il lui sera aussi difficile de gagner la confiance des acteurs politiques qui le soupçonnent déjà d’être un premier flic pion d’un président qu’il a «servi» à la Crei et à l’Agence judiciaire de l’État pour «freiner» des opposants. Il devrait pouvoir utiliser ses talents à bon escient pour effacer une telle perception. Surtout aux yeux d’une opinion qui observe ses premiers actes dans un contexte politique très chargé. Un vaste programme !», indique M. Ngom. Akassa, cheikh Antoine ! serait-on tenté d’acquiescer…
Le Témoin