Il y a un peu plus d’un demi-siècle, la présidence américaine était une institution banale et l’un de ses plus célèbres occupants, Franklin Roosevelt, ne pouvait compter que sur une centaine d’aides pour diriger ce qui était déjà en passe de devenir l’incontestable plus grande puissance mondiale.
En votant ce jour pour élire son lointain successeur, soit en maintenant à son poste, le mutant Républicain, Donald Trump, actuel locataire du 1600 Pennsylvania Avenue, à Washington DC, où se trouve son siège, soit en le remplaçant par son challenger, le candidat du Parti Démocrate, Joe Biden, les électeurs américains ne vont pas seulement arbitrer en faveur de celui des deux qui va se retrouver à la tête d’une machinerie si énorme que les experts la décrivent comme une présidence impériale.
Des milliers de hauts fonctionnaires sont directement à son service tandis qu’une bureaucratie sans commune mesure, allant des agences de renseignements, comme la CIA, ou d’investigations policières, comme le FBI, ou encore les instances financières allant du Trésor aux structures de veille et de surveillance de l’économie, jusqu’à la diplomatie, à Foggy Bottom, le Département d’Etat, dépendent de celui qui bénéficiera du vote des américains. Le scrutin, d’enjeu planétaire, dépasse de loin les bordures de l’Amérique. C’est pourquoi, le monde entier, souffle coupé, reste à l’écoute.
Cette élection prend un tour particulièrement important en cette année 2020. On est même surpris de constater qu’elle a encore plus de relief, pèsera davantage, que celle qui a porté voici 4 ans l’inattendu Trump au pouvoir.
Déjà en 2016, incarnée par la décision, à la surprise générale, des Britanniques de forcer la sortie de leur pays de l’Union européenne, et l’arrivée du grand blond, aux tendances racistes, promoteur d’un discours de repli, au nom de l’Amérique d’abord, et en celui d’une Amérique à nouveau grande, la montée des populismes signalait l’avènement d’un monde fracturé. L’autoritarisme du Russe Poutine, soucieux de redevenir un Tsar, l’émergence de l’empereur Xi Jinping, froid et décidé à assumer le manteau du leader du siècle qu’il considère comme celui de la renaissance chinoise, les éclats sanglants du fondamentalisme islamique en Syrie et dans les confettis africains du Maghreb au Sahel, l’effondrement du multilatéralisme Onusien, du commerce à la diplomatie, marquaient aussi d’autres repères dans un monde en brutale mutation. Qui n’a pas aussi constaté le déclin des valeurs démocratiques ?
Puis, depuis quelques mois, cette main invisible, divine, et qui sait ? , ce virus lâché par le ciel, qui nous met devant notre impuissance collective.
La pauvreté des leaderships ajoute à la confusion générale. On les voit, comme en Afrique de l’Ouest, s’appliquer à la politique de la canonnière, dans une logique d’imposition d’autocraties politiques sur les ruines des rêves de libertés. On s’en rend compte avec les discours maladroits, insultants, tel un Emmanuel Macron commettant la bourde de sa vie en s’en prenant au prophète de milliards d’êtres humains, quitte à mettre en péril la posture géopolitique de son pays et ses avantages économiques dans maintes régions du monde où le label France s’est aussitôt déprécié. Juste le désir de jouer la carte du nationalisme excessif pour attirer les voix de l’extrême droite afin de contenir la montée de Marine Le Pen en valait-il la peine ?
Les risques liés à un cyber-espace, devenu la place des conversations les plus inflammables, portées par une remarquable techtonique des plaques numériques, sont venus rendre encore plus floues les lignes de démarcation des enjeux planétaires. Cette zone, assimiliable à ce que le très idéologue mais brillant ancien Secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, qualifiait d’inconnue inconnue, rend obsolètes nombre de leaders dépassés par la rapidité des transformations en cours. Surtout qu’elles sont aussi le signe de l’arrivée de nouvelles menaces incontrôlées, asymétriques, utilisées autant par les cyber-criminels, qui dérèglent des ordres que l’on croyait établis dans la gestion quotidienne des vécus humains, que par leur utilisation pour mener les nouvelles guerres économiques et technologiques, comme Israel l’a prouvé en détruisant la centrale de Nattanz où l’enrichissement de l’uranium Iranien se faisait vers un projet nucléaire plus militaire que civil. Qui n’est pas davantage inquiété par le fait que les nouveaux moyens de technologies virtuelles sont aussi à la manœuvre quand il s’agit de décider de perturber les processus démocratiques, de les frauder, de formater les esprits au moyen de vicieuses campagnes de communication ?
L’élection présidentielle américaine, qui n’a jamais été une affaire ordinaire, apparaît, dans ces conditions, comme un moment de basculement dont les conséquences seront incalculables. On ne peut en douter en voyant les effets ravageurs causés par l’Ouragan Trump depuis qu’il a été élu : remontée des tensions raciales et des dérapages policiers, comme l’illustre l’assassinat de l’africain-américain, George Floyd, sous le genou du policier blanc, Derek Chauvin ; relâchement du contrôle américain sur la corruption de ses compagnies multinationales ; banalisation de ses critiques contre les violations des droits de l’homme ; étouffement financier de l’Organisation des nations-unies (ONU) et de ses agences d’exécution, comme l’Unesco ; retrait de l’engagement de Washington dans la résolution des grands conflits et de sa participation au sein de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) dont elle ne veut plus être le principal bailleur de fonds ; jusqu’à son véto qui pèse sur l’élection du Directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), sans compter ses mesures protectionnistes contre les migrants et les importations, frappées de hausses tarifaires, d’autres pays estampillés ennemis….
Dans le contexte de la pandémie du Covid19, qui a exposé ses propres vulnérabilités, notamment ses déficiences en infrastructures sanitaires, en plus de propulser la précarité de sa population, touchée de plein fouet par le virus et le chômage, la question ne se pose pas de savoir si cette élection est vitale ou non.
Aucun observateur digne de ce nom ne peut douter en effet que du résultat de ce scrutin dépend le début d’une réponse aux problématiques qui ont culbuté notre planète et hypothèquent jusqu’à sa survie.
Quand l’Amérique éternue, le monde s’enrhume, disait-on naguère. Aujourd’hui, on ne parle plus que d’un pays passé du statut d’hyper-puissance, voici trente ans, à celui de géant aux pieds d’argile, qui contemple, sous ses pas l’immensité des périls qui risquent d’accélérer sa déconfiture, ses Etats étant en butte avec le pouvoir fédéral, lequel est plongé dans une zone de turbulences susceptible d’engloutir le monde entier.
Les américains ont intérêt, le monde avec, à voter pour un sursaut salvateur. L’homme, qui n’est plus, pour longtemps, face à l’Empereur Xi et au Tsar Vladimir, .le plus puissant du monde, peut au moins profiter de ce moment électoral pour sauver l’honneur, la place, d’une nation qui, autrement, accélèrerait sa déchéance. Entre être une force d’attraction ou un repoussoir, l’alternative est sans appel. L’Amérique, aurait dit Roosevelt, a un rendez-vous aujourd’hui, avec le destin.
Son avenir, celui du monde avec, est tranchant.
Il sera tributaire du leader généreux, concerné par le sort de l’humanité, en internationaliste, qui l’engage au coeur du monde, ou de celui, réfractaire, qui la replie, en repoussoir, encore plus dans les rivages de l’isolationnisme.
Qui de Trump ou Biden a les faveurs des pronostics? Le reste du monde a déja choisi. La décision finale revient cependant à l’électeur américain, dans le secret de l’urne…
Adama Gaye*, Diplômé de US Foreign-Policy Making, School Of Public Policy, University Maryland, College Park, USA, est un exile au Caire où, opposant au régime liberticide de Macky Sall, il a choisi de vivre après sa capture par les forces illégales de sécurité et de justice du Sénégal.