Vu du côté de l’envers de la médaille, Iba Der Thiam est l’un des illustres fils du Sénégal, un brillant intellectuel du jouit d’un grand respect auprès de ses pairs. Côté face, il est un acteur politique qui présente un visage plutôt sombre.
Il a voulu sans doute laisser à la postérité un œuvre immense à l’image de sa stature scientifique. Le professeur Iba Der Thiam, éminent historien sénégalais, l’un des meilleurs de sa discipline en Afrique aurait aimé terminer, et surtout dans la gloire, le projet d’écriture de l’Histoire générale du Sénégal.
Mais le sort en a décidé autrement. L’homme est décédé ce samedi à l’hôpital Principal, à l’âge de 83 ans. Il n’a donc pas eu le temps de terminer ce travail encyclopédique dont il est le promoteur.
En plus, si noble soit l’initiative, elle a été entachée par cette polémique née après la publication des 5 premiers tomes de l’Histoire générale du Sénégal. Des religieux aux Ceddo, les contestations ont fusé de partout pour contredire les versions contenues dans les publications, au point de réduire l’Histoire générale à des histoires particulières.
Le malheur ne venant jamais seul, le projet s’est retrouvé dans des difficultés financières au point de ne pas pouvoir payer ses salaires. Il part donc, le professeur, laissant derrière lui une entreprise dans la tourmente, malgré un travail de mémoire capitale pour le futur du Sénégal.
Pourtant la vie de Der ressemble étrangement à ce projet. L’Historien est un grand monsieur, un des intellectuels africain de renom, mais dont la vie a été souvent réduite à son côté politique.
Né le 26 février 1937 à Kaffrine, l’enfant du Ndoukoumane est un Professeur agrégé d’histoire, docteur es lettres de l’Université Paris I (Sorbonne). Iba Der a été ministre de l’Education nationale de 1983 à 1988. Il a enseigné à l’université Cheikh Anta durant des décennies. Même après sa retraite en 2003, l’homme qui jeunait régulièrement a continué à donner des cours et à encadrer les étudiants. Il a formé plusieurs générations d’historien.
Ancien vice-président de l’Association sénégalaise des professeurs d’histoire et de géographie, il était aussi le secrétaire général de l’Association panafricaine des historiens. Il était également président de la Commission sénégalaise de réforme de l’enseignement de l’histoire et de la géographie.
Durant sa carrière, il a eu à représenter le Sénégal au Conseil exécutif de l’Unesco. Il a d’ailleurs reçu de nombreuses médailles au Sénégal et en France pour sa contribution dans la discipline. A son actif, une dizaine d’ouvrage, dont une partie relative à l’histoire du syndicalisme, un monde qu’il connait bien pour avoir été leader syndical durant 18 ans.
Mais ce parcours honorable a été occulté et même parfois terni par le côté politique de l’homme. Fondateur du Cdp-Garab Gui, le candidat à la présidentielle de 2000 n’a récolté que 1,2% au premier tour. Au second tour, il choisit de soutenir Abdou Diouf avec le mouvement Abdo niou doy (c’est Abdou qui a notre confiance).
Dans une déclaration, Der accuse Wade d’avoir choisi d’aller gagner de l’argent à l’étranger et de laisser le Sénégal à ses difficultés pour ensuite surgir un jour comme un diable de sa boîte et prendre avoir une solution miracle. Le patron du Cdp-Garab Gui accuse Wade d’avoir ‘’une pensée incohérente’’, ‘’quelqu’un qui n’a ni suite dans les idées, ni logique dans le raisonnement’’.
Et pourtant, à la perte du pouvoir par Diouf, il a décidé de rejoindre le président Abdoulaye Wade. Il deviendra d’ailleurs vice président de l’Assemblée nationale. Mais lorsque Wade a perdu le pouvoir, il lui tourne le dos à nouveau au profit de Macky Sall. Ce qui fait d’ailleurs que sa nomination comme coordonnateur de l’Histoire générale du Sénégal a été contestée.
«Nous réitérons que Iba Der Thiam n’est pas un exemple. La preuve, malgré tout ce que Me Wade a fait pour lui, il a été le premier à le quitter dès qu’il a perdu le pouvoir. (…) Nous pensons qu’une telle personne ne peut pas écrire l’Histoire du Sénégal. Nous demandons à l’Etat de lui retirer le projet dans lequel il est en train d’injecter beaucoup d’argent. Car, les livres n’auront aucune crédibilité», chargeait Ousmane Faye de la coalition Mankoo wattu Senegaal.
Cette réaction est d’ailleurs la preuve de la réduction de l’ouvre de Der à sa partie politique. Mais puisqu’on n’est jamais bon que quand on est mort, l’histoire, sa discipline, lui fera sans doute justice, en mettant davantage en avant sa face scientifique pour rendre hommage à un illustre intellectuel du Sénégal et d’Afrique.
Seneweb