Le profil des candidats à la migration irrégulière est diffus. Au début des années 2000, les originaires des zones côtières constituaient la majeure partie des migrants par voie maritime, fait remarquer Badara Ndiaye. Actuellement, des familles entières prennent le risque à faire le voyage. Il y a aussi des travailleurs du secteur informel, des étudiants inscrits dans les universités et même des élèves, indique Badara Ndiaye. La moyenne d’âge est, dit-il, de 25 à 36 ans.
De l’Avis d’Aly Tandian, cette complexité dans le profil des candidats à la migration irrégulière est liée au fait que, dans la société, la réussite qui passe par l’école n’est pas souvent l’exemple mis en avant. Cela laisse penser que l’école ne constitue pas l’élément fondamental pour justifier la réussite, mais c’est plutôt la chance. Et de préciser qu’on a vu se développer des stratégies individuelles et d’autres activités qui sont loin de celles qui sont produites à l’école. Aussi, il y a pression sociale qui demeure dans nos sociétés. Cela laisse penser, conclut-il, que les familles ont une responsabilité lourde sur la construction des routes de voyages irréguliers. A signaler que cette diversité a toujours existé.
L’Etude sur le profil national de la migration en 2018 a fait ressortir que le phénomène migratoire concerne particulièrement les jeunes des quartiers péri-urbains populaires et du milieu rural. Les ressortissants des zones traditionnelles de pêche artisanale sont aussi de plus en plus impliqués. Le secteur informel semble constituer un grand «réservoir» de potentiels candidats à l’émigration internationale. C’est dire qu’au Sénégal, le phénomène de l’émigration internationale s’est fortement généralisé et touche toutes les couches de la population active, en particulier les jeunes, en milieu rural comme en milieu urbain. Mieux, une tendance commence à s’établir, c’est une féminisation qui n’est pas encore très forte sur les terrains à la frontière à Rosso et à Mbour, mais qui se dessine petit à petit, relève Badara Ndiaye.
DAKAR, MBOUR ET ST-LOUIS EN SURSIS; MAURITANIE, LIEU DE TRAITE DES MIGRANTS !
A côté des candidats sénégalais, il y a des jeunes venus de la sous-région qui atterrissent dans les zones côtières. La crainte, selon Badara Ndiaye, c’est que «si finalement l’action des trafiquants réussit, il y aura une force d’attraction vers Dakar, St-Louis, Mbour et même Ziguinchor. En 2018 déjà, le profil national de l’Enquête sur la migration révélait qu’avec la complexité grandissante de la migration, le Sénégal apparaît comme un pays à la fois de départ, de transit et de destination.
Pendant que les côtes sénégalaises commencent à être prises d’assaut, la Mauritanie est devenue un point de coordination du trafic. «Depuis un mois, les trafiquants attirent les jeunes en Mauritanie. Au lieu de les amener par la route pour rejoindre le Maroc, les trafiquants organisent de faux voyages. Ils gardent les migrants pendant quelques jours, les jettent sur les côtes, auprès des gardes mauritaniens qui les rapatrient», signale Badara Ndiaye. «Nous avons décompté environ près de 200 personnes. Le coût varie entre 150 000 F CFA (et plus). On a l’information qu’il y a de petites pirogues qui les récupèrent et les amènent en haute mer. Du côté de Nouakchott, il y a des gens qui ont de petits canoés, qui assurent la transmission», ajoute-t-il.
POLITIQUE MIGRATOIRE DU SÉNÉGAL : un fourre-tout inefficace
Pour Badara Ndiaye, le président de Diadem, il n’y a pas une bonne information sur la migration irrégulière. «L’accent a été mis sur la sensibilisation, alors qu’il devrait être mis sur l’information. Il y a quelques choses qui ne marchent. La politique migratoire nécessite une révision totale. Le Sénégal n’a pas besoin d’une politique globale de migration, mais une politique de migration de travail». L’absence de formation des jeunes en est aussi pour quelque chose. «S’il y a une qualification de la ressource, elle est vendable. Ce qui n’est pas le cas pour le Sénégal», déplore-t-il, en préconisant, par ailleurs, «un cadre du service public de l’emploi qui fédère plusieurs entités de l’Etat pour donner à la jeunesse une lecture des potentialités qui existent dans le monde et les exigences en matière de travail dans les pays occidentaux». Pour Badara Ndiaye, les motifs du départ en Europe dépassent l’aspect économique. «Il faut donner la parole aux jeunes. Au lieu que les gens se mettent dans les bureaux et conçoivent les réponses, il faut donner la parole aux jeunes qui ont besoin d’électricité, de connexion qu’ils ne peuvent pas avoir chez eux. Il y a l’accès à la citoyenneté mondiale. Il y a des motifs non économiques».
MIGRATION IRREGULIERE: PLUS UN PROBLEME DEMAL GOUVERNANCE QU’UNE QUESTION SECURITAIRE
Pour Aly Tandian, «nos Etats, malheureusement, ont peu compris l’enjeu. Et, pour preuve, ce qui les intéresse, c’est d’engager un combat ou une gestion sécuritaire. Alors que le Frontex et bien d’autres agences mis en place qui ont voulu combattre l’immigration irrégulière par la gestion sécuritaire, ont montré leurs limites». Il explique dans ce sens que «ce n’est pas une question de gestion, mais de gouvernance qu’il faut engager. Et pour comprendre la question de la gouvernance de la migration, c’est tout un ensemble d’éléments qu’il faut prendre en compte», préconise-t-il. Pour lui, dans nos sociétés, on devrait plutôt pencher vers la formation, l’éducation et la communication. «On utilise des concepts pour comprendre l’immigration irrégulière et ceux-ci ne sont pas appropriés». Pour preuve, dit-il, pendant longtemps, «Tukki takhul tekki» (qui peut signifier «voyager ne permet pas forcément de réussir») a été prôné. A son avis, c’est un concept vide qui n’a pas su répondre aux attentes.
Après, il y a eu «Tekki fii» («réussir (en restant) ici»). «Je ne sais pas pour quelle raison on veut créer des concepts qui ne font qu’infantiliser les sociétés africaines» et tendent à faire que les gens restent ici ; alors que l’ère de la mondialisation est celle de la mobilité. «La migration devrait être pensée autrement et vue comme une opportunité et non comme un problème», analyse-t-il. Aly Tandian estime qu’il faudrait revoir cette gestion sécuritaire et s’engager dans une gouvernance des migrations, en prenant en compte tous les éléments qui font le quotidien des candidats à la migration. Pour lui, les sociétés africaines, et celle sénégalaise en particulier, devraient plutôt voir comment engager les populations vers la circulation migratoire. L’Afrique doit avoir une conception de la migration différente de celle européenne. «La migration ne doit pas être lue avec des lunettes occidentales», termine Aly Tandian.
Réalisé par Fatou NDIAYE