Le quartier de Pikine à Saint-Louis a été endeuillé hier, dimanche 25 octobre, au lendemain de l’incendie en haute mer, aux larges de Mbour, d’une pirogue qui transportait des candidats à l’émigration clandestine. Un accident qui a emporté une vingtaine de jeunes, tous des habitants de ce quartier de Pikine. Au domicile de Abdoulaye Hanne, l’une des victimes, c’est la tristesse et la consternation chez les parents, amis et tout le voisinage.
Abdoulaye Hanne fait partie de la vingtaine de jeunes, habitant le quartier de Pikine Bas-Sénégal, dans la région de Saint-Louis, ayant péri dans l’incendie de la pirogue en partance vers l’Europe dont le moteur a explosé au large de Mbour. Un deuil qui a plongé toute sa famille et le voisinage dans l’émoi et la consternation. Une tristesse qui se lit sur tous les visages des personnes trouvées sur place, au domicile du défunt.
Assis sur une natte comme tous les autres, le père de famille, Moussa Mbaye, par ailleurs époux de la maman de la victime, de nous confier que le regretté Abdoulaye Hanne n’a informé personne de son voyage. “Il nous a caché son départ car il n’a rien dit à propos de ce voyage vers l’Europe. Il a quitté la maison, le jeudi passé, au moment du déjeuner et il n’a même pas mangé. Il nous a dit qu’il allait juste bosser sur une affaire et revenir. Mais, hélas, il nous a trompés pour partir. Et voilà qu’il ne reviendra plus jamais”, a-t-il soutenu. Ils seraient plus d’une vingtaine de jeunes de ce quartier de Pikine ayant perdu la vie dans cet accident de la pirogue.
Rien que dans le quartier où résidait le défunt Abdoulaye Hanne, l’on dénombre plusieurs autres décès. “Il y a le nommé Bécaye Dia qui habitait juste derrière notre maison. Il en fait partie. Il y a aussi les nommés El Hadj Sarr et Oumar Sow, et tant d’autres qui ont péri dans cet accident”, a-t-il ajouté. Le défunt Abdoulaye Hanne était âgé d’une trentaine d’années et est parti pour toujours, laissant derrière lui deux épouses et des enfants. C’était un jeune respectueux, déterminé, sage, pieux, qui œuvrait beaucoup pour sa famille et surtout sa maman, pour reprendre les propos du père de la famille. “Il n’avait aucun problème dans le quartier. C’est lui qui me préparait le thé à la maison. Il disait souvent à sa maman qu’il désirait réussir dans la vie pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille”, a-t-il poursuivi, tout en précisant que c’est le manque d’emploi qui pousse ces jeunes à pratiquer l’émigration clandestine.
Une occasion saisie par la maman de la victime, Coumba Fall, très attristée par cette perte, pour attirer l’attention des autorités, du gouvernement, sur la problématique de l’emploi des jeunes. “J’ai le cœur meurtri. Si nos enfants avaient un emploi, ils ne s’adonneraient pas à ce phénomène de l’émigration clandestine. C’est à cause du manque d’emploi que ces jeunes prennent les pirogues et tentent, par tous les moyens, de rallier l’Europe. Donc l’État devrait leur venir en aide”, a-t-elle dit, tout en formulant des prières à l’endroit de son défunt fils pour le repos de son âme.
SAINT-LOUIS- INCITATIONDES JEUNES À L’IMMIGRATIONCLANDESTINE : Le manque d’emplois et les difficultés de la vie, pointés du doigt
Le voyage incertain vers l’Eldorado européen est aujourd’hui très prisé par les jeunes Sénégalais. Malgré les difficultés souvent notées dans ces longs périples par la grande bleue et les multiples décès enregistrés en haute mer, les jeunes tentent toujours et par tous les moyens de rallier l’Europe, en d’autres termes : “Barça ou barsakh”. La question que nombre de personnes se posent présentement, c’est de savoir les raisons qui poussent réellement les jeunes à vouloir quitter ce pays pour d’autres horizons. Les réponses sont certes multiples mais tournent autour de la problématique du manque d’emplois.
Ces derniers temps, la problématique de l’immigration clandestine commence à prendre une tournure inquiétante. En effet, il ne se passe pas une semaine au Sénégal sans apprendre que des jeunes ont été arrêtés pour avoir tenté ou bravé la mer pour rallier l’Europe. Un phénomène qui inquiète de plus en plus les pouvoirs publics. Et la plupart des personnes interrogées, à Saint-Louis, en majorité des jeunes pêcheurs, de renseigner sur les multiples raisons qui les poussent aujourd’hui à vouloir tenter le voyage incertain vers l’Eldorado. “En réalité, les jeunes ne savent plus où donner de la tête dans leur propre pays. Mais s’ils étaient sûrs que tout ce qu’ils cherchaient en Espagne se trouve ici, dans leur pays, ils ne s’y rendraient pas. Moi, je pense que c’est le manque d’emplois et les difficultés de la vie qui les poussent à devenir des candidats pour l’immigration clandestine”, a soutenu Seydina Oumar Bène, un pêcheur résidant dans la Langue de Barbarie.
Abondant dans le même sens, Alioune Sène, un autre pêcheur habitant Guét-Ndar, d’évoquer les difficultés rencontrées ces derniers temps dans le secteur qui, dit-il, bât de l’aile. “Vous imaginez, nous sommes des pêcheurs et nous allons souvent pêcher en mer pendant plusieurs mois ; mais nous ne gagnons pas assez pour pouvoir survivre. Nous ne pouvons rien investir avec le peu que nous gagnons. C’est ce qui nous pousse à vouloir quitter le pays pour espérer des lendemains meilleurs”, a-t-il dit. Ces jeunes sont souvent attirés par leurs camarades basés à l’étranger qui leur parlent de leur réussite dans l’Eldorado. “Ils ont l’habitude de nous dire qu’il fait bon vivre là-bas, tout en nous invitant d’y aller lorsqu’il nous sera possible de le faire. Mais je pense qu’il vaut mieux être prudent là-dessus”, martèle Lamine Sène qui évoque le côté obscur de ce voyage incertain. En effet, plusieurs candidats à l’immigration clandestine ont été dernièrement interpellés et continuent d’être arrêtés par les Forces de l’ordre aux larges de Saint-Louis.
C’est le cas d’ailleurs pour les 18 jeunes et 3 convoyeurs arrêtés le jeudi 22 octobre par la Police de l’arrondissement de l’Ile. Il en est de même pour les 35 individus dont 16 Sénégalais, 14 Guinéens de Conakry et 05 Gambiens interpellés le dimanche 11 octobre dernier, par la Marine nationale et les éléments de la Brigade de Gendarmerie de Saint-Louis. Leur arrestation est survenue sur la façade océanique de la Langue de Barbarie, à hauteur du Parc de Mouït Gandiol.
Également, 31 autres personnes furent interpellées au mois de juillet dernier par les éléments du Commissariat de Police de l’arrondissement de l’Île Saint-Louis. Elles tentaient toutes de rallier l’Europe par la mer. Une manière de dire que l’État devrait trouver d’autres moyens plus adéquats de retenir ses jeunes dans le pays
Par Yves TENDENG