MON GENERAL, JE VOUS L’AVAIS DIT.
« Chez les militaires, plutôt mourir que d’etre déshonoré, alors que chez les politiciens le déshonneur est préférable à la mort. »
Mon Général, depuis le mois de mars de l’année en cours, l’humanité toute en entière est soumise au diktat d’airain d’un virus impitoyable, insaisissable, incontrôlable et pratiquement indomptable ; et qui a totalement bouleversé nos modes de vie avec une remise en cause inattendue de nos différents projets de société. Pour y faire face, les Etats, en fonction de leur niveau de développement, ont adopté des mesures de tous ordres. Au Sénégal, l’état d’urgence, assorti d’un couvre-feu, a été l’une des mesures prises par les autorités pour lutter contre la propagation de la pathologie devenue une véritable pandémie. Qui plus, et dans un exceptionnel élan de solidarité et de manifestation patriotique, une loi d’habilitation a été votée par l’Assemblée nationale, agissant au nom de tout le peuple. Ainsi les pleins pouvoirs avaient-ils été donnés à son Excellence Macky Sall, Président de la République qui, en son temps, pour certainement montrer la gravité de la situation et galvaniser l’ardeur de ses compatriotes, avait déclaré solennellement que nous étions en guerre. Aussi avait-il été promu Général par la presse ; moi-même lui avais conféré le grade de Maréchal.
Mon Général, comme vous le savez mieux que moi, une guerre ne se mène ni ne se conduit sans moyens conséquents à la mesure des défis et des enjeux ; comme on le dit communément, le nerf de la guerre c’est l’argent. C’est dans ce sens que le Président Macky Sall avait sollicité un effort de guerre général pour la constitution d’un fonds dénommé Force-covid 19 qui, il faut le dire et s’en féliciter, a bénéficié d’une large participation de tous les segments de la population. Les besoins étaient estimés à mille milliards de francs CFA (1000 000 000 000 frs CFA), un montant colossal représentant le quart du budget national.
Pour s’assurer de l’adhésion nécessaire et indispensable de tous les Sénégalais, la tâche s’avérant trop ardue, le Président de la République avait initié une série de rencontres et d’audiences avec les représentants des différentes strates de la société, notamment les élites religieuses, coutumières et surtout politiques. Son appel reçut un écho favorable, même auprès de ses plus irréductibles opposants qui ont vite et tôt compris la nécessité de faire bloc autour du Présent de la République. A ses différents hôtes et à l’ensemble du peuple, son Excellence Macky Sall avait déclaré et promis la mise en place d’un comité de pilotage qui aurait en charge la gestion globale du fonds de la Force covid-19. Un tel engagement a du contribuer à emporter l’adhésion de plusieurs de ses interlocuteurs ; et certains opposants, à leur sortie d’audience, par pudeur peut-être, n’ont pas voulu émettre la moindre réserve encore moins le plus petit soupçon de réticence, à l’exception d’Ousmane Sonko qui s’est exprimé sans ambages.
Mon Général, à la surprise générale, sauf pour ceux qui n’ont jamais ajouté une foi quelconque aux propos de celui que je nomme l’homme aux promesses évaporées et aux engagements évanouis, les Sénégalais ont constaté qu’en lieu et place d’un comité de pilotage, avait été mis en place un comité de suivi. La différence est notoire entre un comité de pilotage qui aurait dû prendre en charge tout le processus du début à la fin, avec comme principale mission la définition de la stratégie, le choix des prestataires de services, le suivi et l’évaluation, et un comité de suivi qui n’aura qu’à constater les dégâts sans aucune possibilité d’initier les redressements et rectificatifs nécessaires.
Votre nomination à la tête du comité de suivi avait suscité en son temps, auprès d’une importante frange de la population, beaucoup d’espoir et d’enthousiasme. Parce que vous êtes un Général, appartenant à cette noble, glorieuse et prestigieuse institution qu’est notre armée nationale, vos compatriotes, dans leur grande majorité, vous avaient investi de leur confiance et accordé une très forte présomption de bonne foi, espérant que vous saurez mener à termes et dans les meilleures conditions d’objectivité et de transparence votre délicate mission malgré votre marge de manœuvre étriquée.
Mon Général, contrairement à cet optimisme populaire légitime, j’avais publiquement exprimé mes doutes quant à vos réelles marges de manœuvres qui, à mon avis, me paraissaient très limitées, quasi inexistantes. Vos excellentes qualités humaines, professionnelles et vos compétences ne sont guère en cause et ne sauraient l’etre. Au contraire, vous incarnez le véritable parangon de l’officier général que toutes les armées du monde voudraient avoir dans leurs rangs. Vous avez montré vos grands talents et fait vos magnifiques preuves partout où le devoir vous a appelé, réussissant des exploits qui ont fait la fierté de l’armée sénégalaise et qu’un jour, il faudra porter à la connaissance de la postérité pour servir d’exemple. Seulement, comme j’ai eu à le dire, il y a deux facteurs dirimants majeurs qui pourraient réduire vos capacités d’action.
Il faudrait toujours garder à l’esprit et ne jamais perdre de vue que vous êtes un Général encore sous les drapeaux, c’est dire en activité. A ce titre, vous êtes sous la double tutelle institutionnelle et militaire de son Excellence Macky Sall, Président de la République. Comme vous le savez et comme vous y avez été formaté, la discipline est la force principale des armées ; aussi êtes –vous astreint à l’obéissance hiérarchique. Ce qui veut dire en clair et simplement que vous ne pouvez qu’exécuter les ordres de votre chef, en l’occurrence le Président Macky Sall. Le problème n’est pas tant cette obligation de devoir vous soumettre à l’autorité du Président. Le problème se situe d’une part, dans la nature des ordres qui vous seront donnés et d’autre part, dans les valeurs et principes de commandement du donneur d’ordre. Concernant le premier point, il est fait obligation à tout fonctionnaire, militaire ou civil, de ne point exécuter un ordre manifestement illégal ; vous avez une liberté d’appréciation qui relève de votre responsabilité personnelle. Quant au deuxième point, il faut tout simplement souligner que le Président Macky Sall est un politicien dans l’âme et qu’à ce titre tous les actes qu’il pose et toutes les actions qu’il mène ont toujours un soubassement politicien, n’épousant forcément pas l’intérêt général ; nous pouvons faire confiance à votre capacité de discernement. C’est triste, pénible et malheureux de le dire, mais notre très cher et bien aimé Président de la République a la réputation d’avoir une parole instable.
Mon Général, le deuxième facteur dirimant que j’avais évoqué concernait le milieu ou vous aviez été plongé. C’est très différent de votre milieu naturel d’évolution, l’armée ou les pratiques sont saines, les propos exprimés et les actions menées sur la base de valeurs morales et éthiques immuables partagées par tous les militaires, du Maréchal au moins gradé des hommes du rang. C’est le partage de ce patrimoine commun qui forge l’esprit de corps et qui fonde leur fraternité ; ce n’est point par fantaisie qu’ils s’appellent « frères d’armes ». Et, c’est cela que le Général Mansour Seck a voulu faire comprendre aux populations, notamment aux politiciens, et que c’est peine perdue de vouloir couper le cordon ombilical qui réunit et lie la hiérarchie et la troupe. On a plongé votre lisse personnage dans une mare boueuse infestée de politiciens sans foi ni loi, pas tous, mais un bon nombre d’entre eux. Il y a dans votre comité de suivi des personnages qui ne sont là pour servir d’yeux et d’oreilles pour le grand chef ; ils n’ont été choisis qu’à cette fin. Je vous avais dit que vous rencontreriez toutes les difficultés et auriez toutes les peines du monde à vous acquitter correctement de votre mission. Les faits semblent m’avoir donné raison.
Mon Général, ne voilà –t-il pas que le ministre Mansour Faye, beau-frère du Président de la République, est en train de confirmer mes appréhensions du début ? IL s’est fendu d’une déclaration indécente et insultante pour dire avec assurance que jamais il ne répondra à une convocation de l’OFNAC ou de tout autre organe de contrôle. Devant l’indignation des Sénégalais, il a fait marche arrière pour édulcorer ses propos. N’a-t-il pas refusé de mettre à la disposition du comité de suivi tous les documents comptables réclamés pour une vérification exhaustive de toutes les dépenses effectuées par son ministère ? Vous est-t-il possible de vérifier dans quelles conditions ont été choisis les différents prestataires et octroyés les différents marchés ? Vous avez du rencontrer les mêmes contraintes dans d’autres structures de l’Etat. Le cas du ministre Mansour cas est très illustratif de la manière dont nos ressources financières sont gérer par la ploutocratie au pouvoir sous la présidence de Macky Sall. Mansour Faye n’a aucun autre mérite et rien d’autre à faire valoir et se prévaloir, sinon qu’il est le grand frère de la dame Marième Faye, épouse de son Excellence Macky Sall, Président de la République ; c’est tout. Affichant toujours une mine dédaigneuse à l’endroit de son interlocuteur, il est d’une arrogance répulsive et d’une condescendance répugnante envers ses compatriotes qu’il semble narguer.
Mon Général, il faudra élever votre niveau de vigilance par rapport aux manœuvres actuelles des autorités politiques au pouvoir. Comme je n’ai jamais eu de cesse de le dire et de le dénoncer, nos dirigeants actuels, avec à leur tête le Président Macky Sall, ne sont très à l’aise que dans les combines, les manigances, les stratagèmes, les expédients, la fourberie, la tricherie et la cachotterie. Leur esprit retors les conduit le plus souvent à imaginer les moyens, les procédés et les procédures les moins recommandables, souvent à la lisière de l’illégalité, pour atteindre leurs objectifs. L’implication de l’Assemblée nationale n’est pas fortuite ; la création d’une commission d’information participe d’une stratégie. C’est tout juste pour faire doublon au comité de suivi que vous dirigez. La représentation nationale étant un pouvoir indépendant, nous chante-t-on à longueur de journée, le rapport de la commission d’information supplantera et aura la primauté sur votre rapport dont on cherchera à dévaloriser les conclusions.
Mon Général, comme il est aisé de s’en rendre sans beaucoup d’efforts de réflexion, nous sommes en face d’une véritable opération, insidieusement et subtilement menée par l’Assemblée nationale pour blanchir, innocenter et déculpabiliser les acteurs majeurs impliqués dans la gestion de la force covid-19, dont, évidemment et notamment le plus illustre d’ entre eux, le ministre Mansour Faye. La commission d’information ne se contentera que d’enregistrer les déclarations fallacieuses des uns et des autres, pour ensuite en faire une compilation qui tiendra lieu de rapport ; et ce soit disant rapport sera soumis à l’appréciation du Président de la République, au lieu d’etre mis à la disposition des populations dont ils sont les représentants. Avec à sa tête un vieillard sénile, maladif et grabataire qui n’a d’ambitions que servir docilement et servilement le Président de la République dont il est redevable beaucoup de choses, il n’y a absolument rien à attendre de la présente Assemblée nationale considérée comme la plus nulle, la plus médiocre et la plus inutile de l’histoire du Sénégal. Son Président me pitié quand, malgré le poids de l’âge, je le vois se démener, s’échiner et s’essouffler pour défendre un régime qui se nourrit du sang et s’abreuve de la sueur d’un peuple fatigué, parce que exploité dans les limites de l’humainement possible.
Que voulez-vous ? Quand un clan de « badolos », de petites gens, s’empare, accidentellement, des rênes du pays, on ne peut s’attendre qu’à des frasques et à des comportements farfelus et grotesques, qui démontrent à merveille leur origine roturière. Et, s’il faut y ajouter la présence d’un griot bedonnant, ignare, inculte et analphabète qui oriente, quelquefois, les choix du Président et qui pèse, très souvent sur ses décisions, on ne peut s’attendre à pire que ce que nous sommes en train de vivre au Sénégal. Qui oserait créer le plus petit problème à Mansour Faye, frère de Marième Faye, épouse du Président Macky Sall ? Personne, même pas vous mon Général, malgré vos étoiles dignement acquises de haute lutte et très largement méritées. Ainsi marche le pays ; il faut analyser les situations à partir d’une grille de lecture prenant en compte les relations familiales et claniques, et non en termes de devoirs républicains, d’obligations institutionnelles, de considérations civiques ou de convictions citoyennes.
Mon Général, m’adressant à un militaire de très haut rang, je ne puis m’empêcher d’évoquer la triste, pénible et douloureuse affaire des anciens militaires de Terme Sud à qui j’exprime toute ma solidarité et apporte mon grand soutien ; ces militaires dont certains, au nom de la défense de leur chère patrie, ont eu à payer un lourd tribut, soit par l’amputation d’un membre ou d’un organe vital soit par le plus noble et plus extrême des sacrifices, la mort. Il ne s’agit point pour moi d’intervenir sur le fond du dossier que je ne maitrise guère ; toutefois, je pense que la hiérarchie n’aurait pas dû accepter d’offrir un tel spectacle aux populations civiles. Il n’y a de pouvoir que dans le mythe, et aujourd’hui, si l’on ne peut pas dire que le mythe militaire est tombé, il faut, néanmoins et objectivement accepter qu’il a été largement entaillé. Je rappelle qu’en 1989, une situation similaire s’était présentée à la cité police de la corniche ou avaient été déployés des éléments du Groupement d’intervention de la police pour déloger des policiers radiés. C’est l’intervention du Général Mamadou Niang, à l’époque colonel en charge des renseignements militaires qui avait permis d’arrêter l’opération sur ordre du Président Abdou Diouf, évitant ainsi, à d’anciens serviteurs de la nation, de la république et de l’Etat le supplice de la honte et du déshonneur.. Je profite de l’occasion pour lui transmettre mes salutations et le remercier pour son inlassable dévouement à la cause nationale.
Mon Général, je termine en vous renouvelant toute mon admiration pour votre excellent et très élogieux parcours au sein des forces armées sénégalaises. Quant à la présente mission qui vous a été confiée par le Président de la République, je souhaite, malgré mon pessimisme, qu’elle soit une réussite mais surtout qu’elle n’entame en rien la très bonne réputation et l’excellente image que les Sénégalais ont de votre personne et, au-delà de celle-ci, de notre vaillante armée nationale dont le rayonnement international fait la fierté de tout un peuple.
Dakar le 17 Octobre 2020. Boubacar SADIO.
Commissaire divisionnaire de police de classe
exceptionnelle à la retraite.