Afrique de l’Ouest : la menace ethnique… Par Adama Gaye

par pierre Dieme

* L’Afrique de l’Ouest, Sénégal en tête, est en danger. Sur fond d’une très inflammable élection présidentielle en Guinée-Conakry, dans un duel aux couteaux, mettant aux prises le Malinké Alpha Condé au Peul Cellou Dallein Diallo, deux hommes prêts à tout, entraînant leurs communautés ethniques respectives dans la mêlée, au risque de provoquer une implosion générale, au nom de la quête d’un pouvoir d’Etat, la région Occidentale du continent, toute entière, retient son souffle. Parce que tous savent que si la Guinée, château d’eau de la région, l’un de ses pays les mieux dotés en ressources naturelles, bascule, aucun autre ne serait épargné. La question ethnique est, autant ici qu’au-delà, au cœur de ce qui devait simplement n’être qu’une compétition politique, départagée par des électeurs guidés par une rationalité. Il n’en sera rien aussi bien en Guinée qu’ailleurs dans cette partie du monde. Les scrutins y sont devenus, de Bissau à Dakar, d’Abidjan à Abuja, partout, un enjeu ethnocide, traversé par les pulsions et instincts les plus bas, froidement convoqués sur les tréteaux électoraux comme dans les bureaux de votes par des politiciens, de tout bord, ne reculant désormais devant rien pour arriver à leurs fins. Le cas Guinéen n’est donc pas isolé. Ecoutez ce ministre Gambien du Tourisme, Hamat Bâ, qui invite ses parents peuls à ne pas voter pour les…rats, c’est-à-dire les diolas et autres ethnies du pays, sauf à vouloir subir leurs foudres. Qui n’a pas noté les propos génocidaires d’Aliou Dembourou Sow, député de son état, exposant sa vulnérabilité d’honorable en appelant les peuls à sortir les machettes pour imposer l’un des leurs, qui s’en pourlèche les babines, à un troisième, inconstitutionnel, mandat à la tête du pauvre Sénégal. Macky Sall boit son petit lait sans doute servi des mamelles des vaches de l’une des régions du pays qu’il considère comme son «titre foncier». Du Cameroun au Nigéria, de la Côte d’Ivoire au Mali, le prisme ethnique est aussi de retour. Par tous les moyens, il faut décider les processus électoraux. A cette aune, certains en arrivent à rêver d’hégémonie peule. Ils pensent même que le moment est venu pour redessiner une vieille carte géographique du Macina quand elle était prégnante dans cette région du continent. C’est jusque dans la diplomatie que ce prurit ethnique se donne à voir. Qui n’a pas constaté la propension d’un Macky Sall, soudain retrouvant ses racines peuls au point d’oublier qu’il a été allaité par la terre industrieuse du Sine, chez les Sérères, et se mettant à parcourir les pays Ouest-africains, jouant au néo-Bismarck Sahélien, tantôt en compagnie d’Emballo Sissokho, le Bissau-Guinéen, qui ne cache pas son penchant fulani, tantôt agissant en parrain du Gambien Adama Barrow, au nom d’un axe ethnique qui se projette jusque sous les lambris d’Aso Rock, le siège de la présidence nigériane, où le projet à peine secret est d’enrôler le grand manitou, Muhammadou Buhari, peul des peul, de Katsina, en espérant, à travers le Nord nigérian, recruter chez mon vieil ami, le Sultan de Sokoto, ou encore à Kano, dans l’Adamawa et, au-delà, labourer chez les fulanis du Cameroun, entre Garoua et Maroua. A ce stade, équilibrons l’analyse. En commençant par la Guinée-Conakry où le rival du peul Cellou Dallein Diallo, qui n’est autre que le Malinké au pouvoir, Alpha Condé, joue outrancièrement de la carte ethnique et pourrait s’y appuyer pour justifier tout excès, notamment la violence, qui sait une guerre civile, qui pourraient dériver de l’élection de ce dimanche. Même en Côte d’Ivoire, la bête immonde revient en grâce. Nul n’oublie que c’est là, sur les bords de la lagune Ebrié, que l’arme identitaire a sorti sa tête depuis le milieu des années 1990. C’était l’une des conséquences directes de l’avènement au pouvoir d’Henri Konan Bédié. Tout le monde garde en mémoire comment il avait brandi le culte d’une Ivoirité, sentant la xénophobie, pour éliminer les citoyens du pays dont les origines ou les noms avaient une connotation douteuse, et qui se trouvaient être ceux du Nord à l’image de leur mentor, Alassane Ouattara. En l’occurrence, comme chez les Malinkés alliés à Condé, en Guinée, la Côte d’Ivoire voit aussi se réveiller le repli identitaire des ethnies autochtones, telles celles des Baoulés, des Bétés, des Agnis et autres populations forestières, qui s’agrègent comme pour refuser que ceux qu’ils considèrent comme des populations allogènes, les Dioulas, du Nord, dont Ouattara est le symbole physique, continuent de tenir le gouvernail du pays. D’ici à ce que la chasse au faciès ne soit relancée, il n’y a qu’un pas, que l’élection présidentielle, incertaine, du 31 Octobre, pourrait remettre au goût du jour, accentuer. Dans les régions connexes liant les frontières du Mali, du Niger et du Burkina Faso, on ne compte pas non plus les tueries inter-ethniques, et ici aussi la violence déstabilise les Etats, rend impossible leur gouvernance inclusive. Le fossé se creuse aux alentours des charniers ethniques que le terrorisme, religieux ou séparatiste, ne peut seul expliquer. On peut penser que, reprenant les méthodes tristement rendues célèbres par les génocides du Rwanda de 1994 ou ceux des Balkans lors de cette décennie, le temps de l’épuration ethnique est en passe de devenir la grande menace, planant comme un albatros, sur l’ensemble des pays Ouest-africains. En vérité si nous vivons cette ère de polarisation aussi dangereuse, c’est parce que les flammes qui l’alimentent sont de sources multiples. L’ethnie n’en est qu’une facette. Qui n’a pas constaté les dissensions religieuses, entre confréries islamiques, dans la plupart de nos pays ? Chacun, même des dames, n’est-ce pas Aïda Diallo, cherche à avoir sa chapelle, tout en maintenant parfois des milices sous les regards irresponsables des pouvoirs d’Etat alignés avec les religieux dans une logique de protection autant que de dissuasion mutuelle au nom desquelles l’intérêt général, l’Etat profond, n’est plus qu’une variable aléatoire ? On peut même ajouter que la politique ajoute à la mêlée. Elle n’est plus ce ring où les idées et projets les plus performants, et l’aura des protagonistes, faisaient la différence naguère, au terme d’un arbitrage électoral plus ou moins transparent. Désormais, c’est le lieu des combinazziones, les combines, menées dans des cercles différenciés selon le niveau de séniorité ou de connectivité ethnique, masquant mal le départ entre les discours généreux proclamés à l’intention des citoyens ordinaires, roulés dans une farine, et réduits par la suite à constater que le déroulement des pratiques des élus qu’ils ont choisis répondent à des critères, des agendas, noués loin des yeux, in-petto. C’est dire que l’Afrique de l’Ouest est dans l’œil de…l’ethnicisme. Le danger est lourd. Plus que par une démocratisation qui opposait les uns les autres à travers des joutes verbales, fussent-elles les plus violentes, c’est maintenant par la division religieuse, au nom d’une volonté de se servir sur les dépouilles des Etats en décomposition, mais davantage via la montée de l’ethnicisme, ses violences et ses normes d’exclusion, son assassinat du projet sociétal qui avait fait naître les Etats contemporains, qu’il y a le risque de l’installation d’un brasier général sur cette Afrique de l’Ouest qui semble en être la plus contaminée. Pendant que la pieuvre ethnique déploie ses tentacules, le silence est total, des chefs religieux aux politiques, des intellectuels aux dirigeants, voire aux populations…Un Aliou Dembourou Sow ne peut donc que se sentir à l’aise, en interhamwe Sahélien, pour déclamer sa théorie des machettes émergentes, sous le regard approbateur de son inspirateur, Macky Sall, qui, d’un clin d’œil, lui dit : «ça m’arrange, même si des milliers voire des millions de personnes doivent en périr !». Ouest-africains, plus que la Guinée, c’est partout que le feu risque de vous consumer. Il est minuit, la peur plane sur les peuples et pays qui ne savent plus à quelle voix de sagesse se fier. L’implosion est-elle irrémédiable ? Ce n’est pas être catastrophiste, mais lucide, que de le penser. *Adama Gaye est un exilé politique au Caire, il est l’auteur d’Otage d’un Etat, détaillant les termes de son arrestation illégale par l’Etat-voyou du Sénégal sous Macky Sall.PS: Je le répète. Je ne suis contre aucune ethnie, au contraire, je trouve même que la carte ethnique est utilisée, au détriment des populations, par des politiciens sans foi ni loi ne craignant pas de séparer des populations qui vivent en harmonie depuis des siècles. Qu’on ne me reproche pas de poser un débat aussi décisif. Je ne serai pas des militants de la politique de l’autruche. L’ethnie est à l’Afrique de l’Ouest ce que les nations furent, le siècle dernier, pour l’Europe: une source de polarisation et de destruction des valeurs de solidarité trans-ethniques, l’anti-thèse de la nation, entendue, selon Senghor, comme une commune volonté de vie commune.Que le meilleur gagne dans tous les scrutins

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