Objection Moustapha Niasse : notre impératif droit d’interpellation face à l’inacceptable!

par pierre Dieme

Par Adama Gaye*
Pendant que la justice sénégalaise roupille malgré les bruits sanglants soulevés dans le pays après l’appel au recours aux machettes lancé par Aliou Dembourou Sow, incontestable apôtre d’un discours génocidaire, et qui n’est autre qu’un membre de l’auguste, devenue honteuse, déshonorante, Assemblée nationale, que vous présidez, vous osez, Moustapha Niasse, du haut du perchoir du Parlement, rabattre le caquet à tous vos mandants, sans lesquels vous ne seriez jamais là où vous êtes.
Vous nous dites : «Bouclez-là, laissez-nous faire selon notre rythme, nos règles, nos humeurs», bref, vous affirmez mieux savoir ce qu’il faut faire que ce bon peuple, cette plèbe, ces sénégalais angoissés de ne pas voir l’institution parlementaire prendre à bras le corps l’affaire qui secoue la nation.
Vous nous renvoyez, sans trembler, arrogant, méprisant, sans raison hélas, à nos chères études, par une formule lapidaire que vous n’utilisez pas mais que l’on sent dans votre sortie : «Taisez-vous, nous savons mieux que vous ce que nous devons faire».
Cher Moustapha, permettez-moi de vous dire non, non et non, vous vous trompez de monde et de peuple. Et vos oukases rappellent vos penchants univoques de votre jeunesse de bagarreur, quand le journal satirique, le Politicien, voici plus de quarante ans, vous affublait du surnom de Taphus, en vous présentant comme un champion bon pour les combats de boxe, dont vous étiez l’un des grands praticiens jusque dans l’enceinte du Conseil des ministres et davantage dans les bagarres que vous meniez à la tête des jeunesses socialistes aussi bien à l’alors parti unique que dans les milieux universitaires contre vos rivaux non-officiels.
Les temps ont changé, Moustapha. Maintenant, la démocratie offre à tous, même au dernier des citoyens un accès à cette fonction tribunitienne qui n’est plus réservée qu’aux seuls officiels.
Et nous avons le droit de vous demander, de vous imposer, de vous houspiller, pour que vous nous disiez ce que vous comptez faire face à la déclaration gravissime, lourde de conséquences potentielles, une rhétorique génocidaire, au coupe-coupe, d’un individu qui, sous l’Assemblée que vous dirigez, se fait appeler honorable quand il n’est, au vrai, qu’un dangereux être dont la prose met notre pays dans une logique de violences interethniques, qu’il assume, au nom d’une volonté de pérenniser, par les armes, le pouvoir d’un homme arrivé au terme des mandats que la Constitution lui permet d’assumer.
Je vous connais, Moustapha Niasse, depuis plus de trente-sept ans, et je peux même dire que nous avons pu nouer des relations amicales et fraternelles que je ne récuse pas. Au surplus, ce n’est pas faux de penser que vous êtes dans le strict droit de dire que le Conseil Constitutionnel ou la justice, voire le gouvernement, avec, à son sommet, le Chef de l’Etat (tout illégitimement élu qu’il soit), devraient être en première ligne.
Je n’aime pas ces querelles marquées au coin d’un juridisme tatillon. Je ne vous y rejoindrai donc pas. Seulement, la morale, l’éthique, la morale vous oblige à ne pas vous moquer de nous en essayant de nous réduire en simples péquenots n’ayant rien à vous demander.
L’Assemblée nationale, c’est nous le peuple, Monsieur Niasse. C’est par là qu’une démocratie normale respire, que s’expriment les diverses opinions qui traversent la nation, dans un souci de transparence contradictoire, cœur de tout processus démocratique digne de ce nom, et c’est notre droit, excusez-nous, de vous dire droit dans les yeux que nous ne vous permettons pas de nous faire une leçon sur ce que nous pouvons attendre ou exiger de vous.
Et puis, pensez-vous que vos règles soient immuables. Nous pouvons, par notre volonté, non seulement les changer mais vous blackbouler, vous chasser. Nous sommes souverains.
Alors, autant nous condamnons le lourd, l’incompréhensible silence du Procureur de la République, celui de Macky Sall, ou encore la somnolence du ministère «J’assume» d’une justice assassinée, sous le genou de l’irresponsable qui y trône, autant, face aux propos de Dembourou Sow, nous ne vous permettons pas, Monsieur Niasse, de nous parler impoliment. Vous êtes libre d’être bagarreur. Nous exigeons de vous une parole respectueuse en notre endroit. Apprenez à nous parler : en termes qui signifient clairement que nous sommes, nous le peuple, votre patron, ne confondez plus les rôles. Et nous revendiquons tous les droits souverains, y compris celui à l’erreur, sans que cela vous donne le droit de nous tenir un discours insolent, de nous donner des leçons.
L’essentiel, ce matin, que je veux vous dire, c’est que vous faites honte à votre institution en estimant qu’elle n’a pas son mot à dire sur les propos les plus graves, susceptibles d’entraîner notre pays dans un cercle de feu mortel, qui encouragent les démons de l’ethnicisme, c’est-à-dire cassent le tissu social.
Cher ami, grand frère, Moustapha Niasse, ressaisissez-vous : à votre âge si avancé, après tout ce que vous avez vécu, et sachant combien l’histoire observe vos actes et paroles, vous n’aviez pas le droit de parler comme vous l’avez fait avant-hier pendant que Macky Sall, honteusement, minablement, criminellement, se cache derrière un petit éthniciste merdique, militant d’une hégémonie que nous confronterons «by-all-necessary-means».
Moustapha, depuis le Caire, où je suis en exil après une arrestation illégale sans que vous leviez le petit doigt, je vous dis : faites un effort !
Vous n’êtes pas dans un royaume pour nous tenir un langage aussi insolent. Nous ne vous le permettons pas…
L’Assemblée nationale, comme toutes les institutions de ce pays, se doit de connaître, de se positionner, sans ambages sur la déclaration d’Aliou Dembourou Sow, qui invite, je le rappelle, son ethnie à sortir les machettes pour terroriser la nation vers ce qui n’est plus constitutionnellement légal.
Je regrette Moustapha Niasse de vous voir réagir de façon aussi épidermique quand le contexte appelle à une sobriété et à une analyse froide, ferme, de ce qui est en jeu.
Adama Gaye, Le Caire 16 Octobre 2020
Ps : Je vous rappelle qu’ici au Caire, ensemble, en 1993, en marge d’un Sommet de l’Oua, avec l’alors Ambassadeur du Ghana à Rome, Monsieur Mensah, alors que vous étiez Ministre des Affaires Etrangères, et moi Directeur à la Cedeao, en compagnie d’un groupe réduit de diplomates, nous avions mené ce qui allait être la campagne pour l’élection de Jacques Diouf à la tête de la FAO (ici en ma compagnie à Rome à son bureau).
Souvenez-vous, nous partageons des vécus et des amis communs dont un chef d’Etat décédé qui vous a parlé dans ses appartements privés d’une seule personne, en 1991, qui n’était autre que votre serviteur, alors que le Sénégal se préparait à avoir son premier gouvernement de majorité présidentielle élargie, différent de celui destiné à couvrir des crimes économiques qu’on chuchote ces temps-ci dans ce Sénégal dérangé où votre posture ajoute aux troubles, à l’incompréhension.

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