Toutes chapelles confondues, les leaders politiques nationaux n’ont pas été en reste dans la ruée vers la ville sainte de Touba lors de la célébration du Magal.
Toutes chapelles confondues, les leaders politiques nationaux n’ont pas été en reste dans la ruée vers la ville sainte de Touba lors de la célébration du Magal. Ce en dépit des fortes menaces liées à la propagation du coronavirus. Ainsi, plus que jamais, s’est révélée la dimension socio-politique de cette bousculade d’hommes politiques aux portes de la ville sainte, symbole d’un grenier électoral décisif lors des joutes. Analystes politiques et sociologue ont décrypté l’enjeu de cette ruée vers Touba.
De l’opposition comme du pouvoir, Touba a connu une ruée de leaders politiques à l’occasion de la célébration du Magal coïncidant cette année avec la pandémie de covid19, l’ennemi mortel favorisé par les rassemblements publics. Ce plus grand évènement religieux du pays — du moins de la communauté mouride — a été l’occasion pour les prétendants à la magistrature suprême ou aux hautes fonctions dans le pays, de s’afficher aux côtés du pouvoir mouride. Analyste politique, Assane Samb voit dans cette bousculade à Touba l’influence incontestable du pouvoir mouride sur la vie politique nationale.
A l’en croire, bien que la pandémie du coronavirus continue de faire ses ravages dans le pays, il est inconvenable, sous nos cieux, de voir un leader politique de grande envergure tourner le dos à un si grand évènement religieux. « L’enjeu est plus que religieux. Il est sociologique, culturel et surtout politique. Car, un si grand rassemblement constitue une aubaine pour l’homme politique qui cherche à gagner la sympathie de la haute hiérarchie maraboutique de cette ville sainte. Et, de façon plus générale, de la communauté mouride. C’est pourquoi, derrière les prétendues sollicitations de prières, on observe des signaux politiques posés par les uns et les autres au cours de cet évènement religieux », croit percevoir Assane Samb selon qui la haute hiérarchie mouride est incontournable dans la ‘real politik’ au Sénégal. Qu’en est- t-il de ces signaux politiques ? Le journaliste et observateur de la scène politique nationale analyse à ce niveau les derniers actes posés par le président Macky Sall dans la ville sainte. «Le chef de l’Etat y est allé en posant des actes forts qui ne peuvent pas laisser indifférente la communauté mouride qu’il cherche à convaincre par tous les moyens. D’abord, sa visite auprès du Khalife a été sanctionnée par une promesse de réaliser dans la ville sainte un hôpital moderne estimé à 30 milliards de francs. Puis, pour mettre les bouchées doubles, son gouvernement, par le biais du ministre de l’Intérieur, a brandi en public le document du titre foncier octroyé spécialement à Touba et remis au Khalife général des mourides » cite en exemple l’analyste politique qui voit par ailleurs, à travers ce geste, un brillant coup de com’ politique dans la conquête de l’électorat mouride.
Idy et Sonko, la course pour l’héritage politique de Wade à Touba
En ce qui concerne la posture des leaders de l’opposition au cours de ce grand rendez-vous populaire que constitue le Magal, M. Samb estime qu’ils sont en course pour essayer de profiter du grand vide engendré par le retrait de Wade de la scène politique. «Idrissa Seck, par exemple, est en train de bénéficier à Touba du retrait d’Abdoulaye Wade de l’action politique. C’est ailleurs ce qui lui avait permis de remporter une victoire éclatante lors de la dernière présidentielle dans cette ville, jadis fief électoral de Wade. Quant à Ousmane Sonko, il est en train de se conformer à la même logique. D’ailleurs, lui, sa stratégie est bien huilée. Surtout quand lui et sa délégation se rendent chez un influent guide de la communauté mouride, une audience dont les images donnent l’impression d’une sorte de cérémonie d’allégeance du leader de Pastef », explique Assane Samb.
Momar Thiam, expert en communication politique : « Le Magal de Touba est l’épicentre de la visibilité médiatique »
Selon Momar Thiam, docteur en communication et directeur de HEIC, une école de journalisme et de communication, les hommes politiques ont beaucoup à gagner et ri en à perdre à faire le déplacement vers la ville sainte de Touba. Cela s’explique en grande partie, selon lui, par le fait que Touba est l’épicentre de la visibilité médiatique en période de Magal. « C’est le carrefour des hommes politiques qui veulent jouer sur leur visibilité parce que le Magal est un évènement avec une valeur ajoutée médiatique sans commune mesure au Sénégal. Et c’est un coup de projecteur repris par l’ensemble de la presse nationale et quelques fois celle internationale. Or, les hommes politiques de tous bords ont besoin de s’affirmer et de se faire voir à côté du Khalife général des mourides pour se valoriser » décrypte le docteur Momar Thiam. L’ancien conseiller en communication du président Abdoulaye Wade évoque un besoin de communication populaire de la part des leaders politiques. L’expert en com’ invoque l’approche des échéances locales comme autre raison de cette ruée de la classe politique vers la ville sainte. Momar Thiam : « On s’achemine vers des élections locales et on sait qu’à Touba, une ville symbolique, la bataille sera âpre. Ce d’autant plus que le pouvoir en place n’y a jamais gagné une élection. D’ailleurs, le président Macky Sall, en tant que chef de la majorité présidentielle, a déjà posé des actes politiques lors de ce Magal. Avec la présentation des documents qui attestent du statut spécial de Touba en tant que titre foncier, c’est l’électorat mouride qui est charmé », décortique l’ancien consul du sénégal à bordeaux. Il n’oublie pas de mentionner la réapparition soudaine de Idy qui était en hibernation, tandis que sonko courtise de plus en belle l’oligarchie mouride.
Moustapha Wone, sociologue : « Les hommes politiques cherchent à tirer profil de l’aura du pouvoir maraboutique »
Sociologue, Moustapha Wone estime que les hommes politiques cherchent à tirer profit de l’aura du pouvoir maraboutique. d’où, selon lui, la principale raison de leur attachement à celui-ci. « Dans chaque société, il y a le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel qui se partagent les individus. Et dans le cas du Sénégal, contrairement aux politiques, les confréries qui constituent le pouvoir spirituel bénéficient d’une admiration et d’un respect sans conteste vis-à-vis des populations voire leurs disciples. C’est pourquoi, les hommes politiques cherchent à tirer profil de l’aura du pouvoir maraboutique par tous les moyens » explique le sociologue Moustapha Wone dans son analyse de l’affluence massive de la classe politique dans les évènements religieux du pays. de vrais sociologues, ironise-t-il, pour déceler la maitrise de la mentalité collective dont font preuve les leaders politiques prêts à tout pour s’afficher auprès des hommes religieux surtout dans les moments de grande ferveur. «Au-delà de l’aspect électoral et de la récupération politique, c’est aussi une question d’image et d’appartenance qui se pose. Et au Sénégal, quoi qu’on puisse dire, généralement les gens évoluent toujours en fonction d’un groupe. Et le corporatisme confrérique est plus puissant que celui ethnique. C’est pourquoi, l’ayant compris, les hommes politiques, pour conquérir chacun d’entre ces groupes où confréries, se parent des habits de chaque groupe en fonction des circonstances. Et s’il s’agit de charmer la communauté mouride, les leaders politiques s’adonnent le plus souvent à l’acte d’allégeance qui est très symbolique aux yeux des disciples de Bamba », ajoute le sociologue pour faire comprendre les véritables motivations de la classe politique dans la course effrénée au «Illa Touba ».