Les vertus de la solitude

par pierre Dieme

«L’homme est un remède pour l’homme» -proverbe Wolof
«Je suis parce que tu es» -l’Ubuntu Sud-africain
Par Adama Gaye*

Un pourcentage très élevé de sénégalaises sont des célibataires, écrit, il y a quelques-jours, un site internet, osant même avancer un chiffre incroyable : 73 pour cent ! «La situation est très grave», alerte un de mes cadets basé en Allemagne. «Cela explique même l’afflux des femmes vers les manifestations religieuses ou…funéraires, où leur présence s’est sensiblement accrue, parce qu’elles sont en quête de maris». Est-ce vrai ? Ou est-ce l’une de ces statistiques, dont on ne sait jamais si elles relèvent d’une fabrication de l’esprit ou d’une science pure, qui affolent la blogosphère et les autres réseaux sociaux, plateformes d’une communication outrancièrement dominée désormais par le mouvement ultra-rapide de la techtonique des plaques numériques ? Sommes-nous tombés dans la société en rupture de solidarité, déliée des rapports humains, en route vers les sentiers de la solitude ?
Questions complexes au carrefour d’une vraie quadrature du cercle. Elles se conjuguent en une évidence exorbitante sous nos yeux. Nous sommes désormais, admettons-le, en face d’un enjeu sociétal décisif qui mérite un examen calme et lucide pour éviter que ses conséquences n’impactent (comme on dit maintenant) négativement la marche de notre pays, et, plus généralement, le monde dans lequel nous vivons. Nul ne doute en effet que la solitude, produit direct de cette vie de plus en plus individualisée, l’une des principales normes montantes dans nos sociétés contemporaines, comporte beaucoup de vices, de dangers, de menaces, tant elle charrie des dérives aux effets incalculables sur leur évolution.
Etre seul (e) signifie s’exposer à un ennui dévastateur sur quelque psyché qui en est confronté ; c’est nourrir des idées sombres, pour ne pas reprendre le terme consacré ; c’est perdre son humanisme dans un isolement splendide en se déconnectant, à l’heure de la connectivité, comme un fusible qui disjoncte du réseau qui s’est toujours adossé à la proximité et à la complémentarité des êtres humains au sein d’une toile, physique, qui a précédé celle, technologique, de l’internet, accélératrice des échanges virtuels en cassant, réduisant, ceux qui faisaient de l’homme, par le passé, le voisin de son prochain.
Etre seul, c’est, avec l’ennui qu’il amplifie, la mère des vices, résument des psychologues avertis…
On comprend aisément, dès lors, pourquoi depuis la nuit des temps, l’homme a cherché à briser le cercle vicieux de la solitude surtout qu’à l’aube des premières sociétés humaines le besoin d’unir les forces s’imposait naturellement pour affronter les rigueurs d’une nature que la technologie et la science n’avaient pas encore domptée.
La crainte née de la fulgurante augmentation de la population mondiale avait justifié le succès des thèses portées par Robert Thomas Malthus prédisant le risque d’une trappe, d’un spectre voire d’une catastrophe à mesure que l’abondance portait le croît démographique. On connaît la suite : la technologie, la révolution agraire, dans des pays comme l’Inde, la hausse de la productivité, les progrès de la médecine et tant d’autres facteurs nés de l’imagination humaine avaient fini par démentir le scénario Malthusien d’un monde se dirigeant vers son implosion.
Ce que l’ecclésiaste et économiste anglais n’avait pas vu dans son livre consacré au «principe de la population», paru en 1798, obnubilé qu’il était par le risque des famines, des maladies et des pénuries, c’était ce monde actuel où environ 8 milliards d’êtres humains vivent mais séparément.
Jamais sans doute ne pouvait-il imaginer que les vertus de la solidarité qui faisait la force des humains, sur les champs, dans les familles, dans les petites communautés humaines, céderaient la place à un culte de l’égoïsme froidement assumé.
Même l’unité familiale nucléaire, le couple, est assiégé. Les relations entre voisins et amis se ramènent à des clics et sms. Se parler devient fastidieux. Partager n’est plus la valeur du jour. Le chacun pour soi est célébré avec fierté, dans l’ignorance d’une intervention divine.
La question est alors de savoir si nous sommes capables de tirer le meilleur d’une mauvaise situation, inattendue dans notre condition humaine maintenant réduite à une addition d’individualités toutes tournées davantage vers l’autoréalisation que de participer à un projet collectif, à une vie faite de complémentarités.
C’est une dégénérescence de l’idéal communautaire qui s’est enclenchée avec le déclin des rêves collectivistes, des idéologies célébrant l’ensemble, au profit de celles centrées, au nom du néolibéralisme triomphant, sur le moi, l’individu, sa recherche effrénée d’une domination de l’autre, rarement portée par une logique du rapprochement humain, hier au cœur de nos sociétés.
La victoire du capitalisme, devenue une réalité prégnante depuis la dernière décennie du dernier siècle, a donc accéléré le démantèlement des sociétés humaines. L’explosion technologique a renforcé le mouvement. Le virtuel, y compris la distanciation sociale, au nom des barrières sanitaires pour juguler la pandémie présente, n’a rien fait pour amoindrir cette dynamique d’une déshumanisation, tendance lourde du 21èmesiècle dont on ne sait pas à quel point elle va détricoter les communautés humaines telles que nous les connaissons.
«Small is beautiful», chantaient naguère les communautés qui se sentaient mal à l’aise alors que les démographies prenaient l’ascenseur parallèlement à la victoire sur le malthusianisme. Désormais, on peut, sans risque d’être démenti, poser que «la solitude est belle» pour capturer l’air du temps.
C’est une évidence que confirment les relations humaines fugaces et fracturées, frêles, qui se tissent au sein des couples, des amitiés, des modes et envies vestimentaires, culinaires ou culturelles tandis que la politique ne se fait plus en grand mais dans le seul but de répondre à une question individuelle : qu’est-ce qu’il y a pour ses acteurs pris isolément?
Il y a évidemment une déconnection entre le besoin humain de vivre en collectivité, de s’immuniser, face aux défis et dangers, en troupeau, et celui qui, progressivement, rend cette forme de vie presque impossible. L’être humain y est rétif au point que le moindre prétexte le pousse à briser ce qui s’apparente désormais à des chaînes qui ne le rassurent plus mais lui donnent le sentiment diffus de ne pas être libre.
Comment alors avancer sur le sentier de la solitude, souvent le vrai, sans être en conflit avec une société évanescente, unie par des liens rarement authentiques ?
Autrement dit, doit-on écouter la voix de la foule, agrégat d’intérêts privés prétendant servir la collectivité, ou suivre celle intérieure que tout indique est appelée à peser dans les choix que nous ferons dans un monde éclaté, atomisé, malgré les milliards d’êtres humains qui le peuplent ?
Cette question, je me la pose. Et vous ? Qui ne se la pose pas à la lumière des mutations transgenres, de l’émergence de nouvelles normalités dans les rapports homme-femme, voire homme-homme, femme-femme, sans compter l’effondrement, et même le passage de mode, de l’unité centrale des rapports humains que fut longtemps le mariage?
Nous sommes toutes et tous donc pareillement sollicités par la complexité des questions…émergentes dans un contexte qui nous place à la croisée des chemins et où, comme Malthus le vécut, les vérités considérées comme paroles d’Evangile, dans une vie antérieure, pourraient ne plus être pertinentes dans le cycle qui s’est ouvert bien avant même l’avènement de la crise du Covid19 –mais n’a cessé de se fortifier.
Et si donc la solitude, lieu de sobriété, de réflexion pure, de recul, de vérité, de lucidité, était en passe d’être le préalable à la reconstruction de nos sociétés humaines. Plus que jamais, l’antienne des mouvements sociaux qui ont fait exploser les bouleversements sociaux du monde en mai 1968 semble retrouver des couleurs : il est interdit d’interdire !
Vouloir refaire notre monde sans déconstruire le mythe d’une multitude sécurisante, sans questionner les tares qui l’ont rendue si cynique, froide, c’est rater le pari de ce nouveau départ à partir du noyau originel, l’homme, qui devra forcément se réinventer, pour redonner du sens à la commune volonté de vie commune. Faute de cette remise en question, la solitude reste l’unique perche de salut de la communauté des individus que nous formons depuis qu’une sauvage compétition a tué les instincts qui nourrissaient l’humanisme fondateur de nos sociétés à leurs origines.
Le temps d’une destruction créatrice de nos sociétés pointe à l’horizon. Ouvrons les yeux !
La question, convenons-en, ne concerne pas seulement que les femmes célibataires mais les strates de toutes les sociétés…
*Adama Gaye est un Exilé politique Sénégalais au Caire, auteur d’Otage d’un Etat (Editions l’Harmattan, Paris).


Ps:
Le couple, en tant qu’entité de base de la famille et donc de la société, est assiégé aussi parce qu’il n’est plus un nid d’amour sans intérêts matériels mais le champ clos d’une course à l’intérêt personnel antinomique avec un projet collectif fut-il ramené à deux êtres. Le chacun pour soi en est devenu la filigrane. “C’est la plus grande hypocrisie”, en disent les Britanniques. Pas surprenant qu’il explose partout, d’abord chez nous. Le remettre sur pied est une gageure.

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