Malgré une laïcité qui nous correspond, le politique au fil du temps, s’est livré au religieux en espérant gagner au change. C’est cela qu’il faut refonder pour restaurer le leadership politique dont le déficit cause d’énormes torts au pays
Demain mardi, jour du grand Magal de Touba, où ont commencé à déferler des milliers de pèlerins en provenance des différentes régions du pays et du monde. Et l‘idée de voir en cette période de pandémie de Covid-19 cet important rassemblement d’hommes, de femmes jeunes et moins jeunes, et d’enfants en grande communion religieuse, au risque de se retrouver dans une promiscuité infectiogène fait craindre le pire pour certains, là ou d’autres se la font tranquille, convoquant les mesures strictes qui sont prises ou invoquant la sacralité protectrice du lieu. Difficile pourtant d’être rassurés au moment où l’on prône et rappelle partout et très souvent les gestes barrières faits de distanciation physique, de lavage des mains, de masques à porter.
La psychose est d’autant plus grande que tout laxisme est susceptible de produire des répercussions qui pourront être catastrophiques, car loin de payer son erreur tout seul, on en fera payer le prix fort à la communauté nationale et internationale, vu que nous sommes dans un monde de la circulation. En tout état de cause, après qu’un groupe pluridisciplinaire de chercheurs ont produit un rapport sur l’organisation du prochain Magal, remis au Khalife général des Mourides, le 27 août dernier, il a été retenu qu’il aurait lieu demain, mardi 6 octobre 2020, en insistant sur une organisation qui va s’échiner à faire respecter l’observance de protection.
D’aucuns de poser la question de savoir pourquoi ne s’aligneraient-ils pas sur d’autres communautés religieuses qui se sont refusé à tout rassemblement, incitant plutôt les fidèles à se tourner vers une prière chez soi. C’est le cas notamment de l’annulation de leur Ziarra annuelle sur décision de la famille omarienne, rejoignant ainsi d’autres communautés qui ont suspendu toutes leurs cérémonies religieuses. Evitons toutefois de nous hasarder dans des comparaisons qui ne sont pas toujours raison.
Contrairement au clergé catholique, monolithique et structuré autour d’une hiérarchie unifiée, la communauté musulmane sénégalaise est plutôt polycentrée, autour d’une réalité confrérique éclatée, lieux d’expression et d’affirmation d’une appartenance assumée : « Je suis Tidiane, Mouride, Khadre, Layène, etc. ». Chaque fidèle s’identifiant à une famille confrérique. Aussi, ne se sent-on vraiment concerné que par tout ce qui se rapporte de près ou loin, à son guide religieux, sa tarikha. Cette identification éclatée est si prégnante qu’elle va imprimer sa marque jusque dans l’appellation de la maison de Dieu.
Ainsi va-t-on, comme le faisait remarquer si justement le Pr Souleymane Bachir Diagne, prier non pas à une mosquée drapée dans son unicité impersonnelle, mais à « la mosquée mouride », « tidiane », « omarienne », « ibadou », etc. Ce qui n’est pas sans conséquence comme d’aucuns l’ont fait remarquer, en s’émouvant, notamment lors de certains évènements à résonnance planétaire, comme dans l’affaire dite des caricatures du prophète que Charlie Hebdo vient de rééditer, pour constater que la mobilisation était beaucoup moindre sous nos latitudes. Ils finissaient ainsi par comprendre qu’elle allait être autrement plus importante s’il était question d’un guide religieux confrérique. Loin d’être anodin, cela montre on ne peut plus clairement que l’identification est beaucoup plus forte lorsque l’intercession de la puissance divine est incarnée par un visage local. Comme pour affirmer une inculturation de la croyance dans la mesure où, elle prend corps et s’enracine dans une figure de proximité qui incarne la personnification achevée du miracle divin.
Toutefois, et cela mérite d’être souligné, si le fidèle s’identifie majoritairement à son marabout, à sa tarikha, il se trouve qu’il arrive à opérer un distinguo entre ce qui, stricto sensu, relève du sacré, de la croyance, requérant par conséquent l’adhésion, et ce qui a trait au profane, lieu où s’exprime le libre-arbitre, la raison raisonnante qui se distance du réel, l’interroge pour asseoir un savoir qui porte l’inquiétude de son insatisfaction. La dynamique interne sénégalaise valse ainsi entre mouvement et permanence secrétant par ailleurs une complexité poussée par moment à un degré de sophistication qui amène le fidèle à faire le départ entre ce qui relève de la raison et de la foi. Il en va ainsi de la perte de vitesse du Ndigel (consigne de vote) « politique » qui pourrait se traduire par : « Je crois en mon marabout pour tout ce qui relève de son intercession à Dieu, pour tout le reste je me réfère à moi ». Il y a bien eu des religieux qui se sont essayés sans succès probants à la politique.
Et les Ndigels n’ont pas donné des résultats probants. Et paradoxalement la lucidité observable chez les fidèles ne se retrouve pas chez les politiques qui, tout à leur « volonté de puissance » ou plutôt aveuglés par leur désir de pouvoir, sont plutôt mus par la recherche de la victoire. Aussi, tout en ayant mis en place une laïcité qui nous correspond, le politique au fil du temps, s’est-il livré au religieux en espérant gagner au change. Et c’est tout cela qu’il faut refonder pour restaurer la démocratie et le leadership politique dont le déficit cause d’énormes torts au pays, oubliant leur devoir d’exemplarité. Car c’est là où réside la force de la démocratie. Mais ce n’est malheureusement pas le fort des autorités politiques, qui ne sont pas les seules concernées d’ailleurs. Il y a aussi toutes les forces vives, syndicats de travailleurs, d’étudiants, d’élèves, le citoyen tout court. Tout le monde s’en mêle pour se faire entendre au lieu de se mobiliser dans le cadre de la loi pour se faire justice. On met en place des délégations pour demander au pouvoir religieux d’interférer. Aujourd’hui la pandémie oblige à aborder les choses autrement en réajustant avec intelligence les rapports entre le religieux et le politique. Pour ne pas mettre en danger son prochain, ni soi-même, et par ricochet, la société dans son ensemble. Car il s’agit d’un virus qui circule masqué. En attendant que l’évaluation en soit faite, « bon Magal ».
PAR CALAME