L’Ofnac face à la défiance du régime Macky

par Dakar Matin

La sortie regrettable de Mansour Faye n’est qu’une suite logique des rapports de mépris qu’entretiennent les responsables du pouvoir avec cet organe. Chaque rapport est ainsi suivi, le plus souvent, par des campagnes de dénigrement

En refusant de déférer à une potentielle convocation de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) qui a ouvert une enquête sur sa gestion des 69 milliards du programme d’aide alimentaire d’urgence, le ministre du Développement communautaire, de l’Equité sociale et territoriale, Mansour Faye, assène un énième coup de massue à l’Ofnac. En effet, créé en 2012 par le président Macky Sall pour «promouvoir l’intégrité et la probité dans la gouvernance publique », l’Ofnac en dépit de ses « exorbitants» pouvoirs sur le papier est constamment fragilisé par les proches du président de la République.

«Si l’Ofnac me convoque, je n’irais pas. L’Ofnac n’a pas vocation à convoquer un ministre. Ça ne fait pas partie de ses compétences. En tant que ministre, je ne répondrai pas », avait martelé le ministre Mansour Faye par ailleurs beau-frère du président de la République lors de son face-à-face avec notre confrère Babacar Fall dans l’émission Grand Jury de la Rfm du dimanche 27 septembre dernier. Il faut dire que ces propos du ministre du Développement communautaire, de l’Equité sociale et territoriale aux allures d’une défiance à l’encontre de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) remettent au goût de jour le débat sur la capacité de cet organe à exercer pleinement sa mission.

En effet, créé par la Loi 2012-30 du 28 décembre 2012, dans un contexte marqué par le lancement de la procédure de la traque des biens supposés mal acquis visant les dignitaires de l’ancien régime libéral, l’Ofnac avait été présenté par son initiateur, l’actuel chef de l’Etat Macky Sall, comme un organe qui vise à « promouvoir l’intégrité et la probité dans la gouvernance publique ». Seulement, dans les faits, l’Ofnac semble éprouver aujourd’hui toutes les difficultés du monde pour mener à bien sa mission comme en témoigne cet énième piétinement par un responsable du régime du président Macky Sall des prérogatives de cette institution de la République. Il faut simplement rappeler que l’Ofnac qui est pourtant doté sur le papier de plusieurs garanties au plan administratif mais aussi juridique pour mener en toute indépendance sa mission n’est pas à son premier coup de résistance.

HUIT ANNÉES DE REFUS DE DÉCLARATION DE PATRIMOINE

Outre sa mission de prévenir et de lutter contre la fraude, la corruption, les pratiques assimilées et les infractions connexes, l’Ofnac est également chargé, conformément aux dispositions de la Loi n°2014-17 du 02 avril 2014 relative à la déclaration de patrimoine, de recevoir les déclarations de patrimoine des personnes assujetties trois mois suivant leur nomination. Seulement dans les faits, cette disposition de la loi a été foulée au pied pendant plusieurs années sous le regard impuissant de la présidente de l’Ofnac. Pour preuve, le rapport-Ofnac 2016 renseigne qu’à la date du 31 décembre 2016, seuls 453 assujettis sur les 800 visés par cette loi dont entre autres, « le Président de l’Assemblée nationale, le Premier Ministre et tous les administrateurs de crédits ainsi que les ordonnateurs de recettes et de dépenses et les comptables publics effectuant des opérations portant sur un total annuel supérieur ou égal à un milliard de francs CFA» se sont acquittés de cette obligation. Pour les autres dont des membres du gouvernement, il a fallu attendre l’ultimatum fixé par le président de la République au 31 août dernier après le énième cri de détresse de la présidente de l’Ofnac pour les voir se conformer à la loi, après plusieurs années de violation en toute impunité.

CAMPAGNE DE DÉNIGREMENT

Depuis 2012, année de sa création, la publication des rapports de l’Ofnac est souvent suivie, en lieu et place des sanctions contre les personnalités épinglées, par des campagnes de dénigrement menées le plus souvent par les mêmes présumés mauvais gestionnaires des ressources publiques en toute impunité. Il en est ainsi pour le rapport 2014-2015. Rendu public le 24 mai 2016, soit deux ans après la création de l’Ofnac, ce document avait épinglé la gestion de plusieurs personnalités publiques proches du président de la République. Il s’agit entre autres de l’actuel directeur général du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud), Cheikh Oumar Anne, responsable du parti au pouvoir dans le département de Podor et maire de la commune de Dioum; Siré Dia, directeur général de la Poste et responsable de l’Apr à Thiès pour ne citer que ces deux responsables très proches du chef de l’Etat. Pour ce qui concerne le directeur du Coud, il est accusé par le rapport 2014-2015 de l’Ofnac d’avoir procédé au fractionnement des commandes dans les marchés, octroyé des subventions irrégulières, mais aussi de détournement de deniers publics et de faux et usage de faux. En plus de ces charges, ce rapport de l’Ofnac a également recommandé que Cheikh Oumar Anne soit non seulement relevé de ses fonctions de directeur du Coud mais aussi que toutes les mesures soient prises pour qu’il ne soit plus nommé à la tête d’un organe public. S’agissant de la gestion du directeur général du groupe Sn la Poste, Pape Siré Dia, le même rapport 2014-2015 de l’Ofnac faisait état de pratiques de faux et usage de faux sur les marchés d’acquisition de fournitures de bureau portant sur d’importantes sommes d’argent encaissées sur la base de faux bons de commande confectionnés pour faire croire que des matières ont été distribuées à des agences et services de Postfinance. Toutefois, en dépit de ces graves accusations portées à leur encontre, ces deux proches du président de la République n’ont jamais fait l’objet d’une convocation par les services du procureur de la République. Au contraire, on a même assisté à une sorte de campagne de dénigrement orchestrée au plus haut niveau du régime en place contre l’Ofnac.

DÉNI D’OFNAC

S’exprimant sur ce document, l’ancien Premier ministre, Mahammed Boune Abdallah Dionne a ainsi qualifié ce rapport 2015 de l’Ofnac de «fromage hollandais ». Pour sa part, le procureur de la République qui s’était montré très diligent dans l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar instruite sur la base d’un rapport de l’Inspection générale d’Etat (Ige) contre l’ancien maire Khalifa Sall avait également indiqué au sujet de ce rapport 2015 de l’Ofnac qu’il était « comme un mauvais gruyère, y a plus de trous que de fromage ».

En 2017, s’exprimant sur une enquête effectuée par l’Ofnac sur les forces de défense et de sécurité, le ministre de l’Intérieur s’est dit « pas convaincu » par le résultat de cette enquête qui a révélé une forte présence de la corruption à la gendarmerie et à la police. En plus de cela, il faut également rappeler les dossiers transmis par l’Ofnac et qui dorment dans les tiroirs du procureur de la République depuis maintenant des années. Il s’agit entre autres de l’affaire des 94 milliards F CFA, l’affaire Petro-tim relative aux contrats de cession des blocs pétroliers et gaziers de Cayar offshore profond et Saint-Louis offshore profond impliquant Aliou Sall, jeune frère du président de la République, l’affaire du Coud, de la Poste pour ne citer que celles-là. Et le dénominateur commun de toutes ces affaires reste le lien de proximité que partagent les responsables épinglés avec le président de la République. Au regard de cette situation, certains observateurs estiment que cette sortie regrettable de Mansour Faye, beau-frère du président de la République, à l’encontre de cet organe chargé de la promotion de la gouvernance vertueuse dans la gestion des affaires publiques n’est qu’une suite logique des rapports de mépris qu’entretiennent les responsables du régime en place avec cet organe depuis sa création en décembre 2012.

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