L’envers de l’orpaillage traditionnel

par pierre Dieme

Dans ce deuxième jet du dossier, Sud Quotidien revient sur le boom des gisements et le développement de nouvelles technologies d’extraction qui expliquent l’intensification de l’orpaillage traditionnel à Kédougou.

L’orpaillage traditionnel n’est plus l’apanage des Kédovins et des Sénégalais. Dans ce deuxième jet du dossier, Sud Quotidien revient sur le boom des gisements et le développement de nouvelles technologies d’extraction qui expliquent l’intensification de l’orpaillage traditionnel à Kédougou. Avec, en plus l’accroissement démographique résultant de l’arrivée massive de ressortissants de la sous-région et en corollaire, la prostitution et l’alcool qui sont les principales distractions des orpailleurs, l’apparition de nouvelles maladies rares comme l’hépatite B et un fort taux de prévalence du VIH.

UTILISATION DU MERCURE ET DU CYANURE DANS LES DIOURA : Dilemme autour du recours à des produits à la fois toxiques et «prolifiques»

Dans le processus de transformation du minerai d’or extrait des mines, deux principales méthodes de traitement du sable aurifère sont utilisées dans les «dioura» : la gravimétrie et l’amalgamation. La première consiste à utiliser des moquettes et des bassins pour laver le minerai d’or. La moquette retient donc l’or qui est plus dense et le reste est récupéré dans des bassines. Pour ce qui est de l’amalgamation, elle se fait en pulvérisant du mercure sur l’or récupéré par gravimétrie. Un tissu fin est utilisé pour récupérer l’or par percolation, puis ce dernier est chauffé dans un bol, afin d’avoir de l’or brut. Il existe un autre traitement qui se fait par cyanuration, consistant à ajouter au reste de minerai de la gravimétrie de l’acide sulfurique, de l’eau et du cyanure. L’or fondu à partir de ce mélange est récupéré sur des feuilles de zinc par électrolyse.

CONTAMINATION DES COURS D’EAU, DES SEDIMENTS VEGETAUX ET DU SOL… 

De l’avis du directeur régional de l’Environnement et des Etablissements classés de Kédougou, M. Pathé Dièye, «le mercure a des impacts sur l’environnement  ; c’est un métal lourd qui se concentre dans les végétaux et les tissus végétaux et chez l’être humain et qui finit par se bio-accumuler. A titre d’exemple, quand on mange des aliments issus de ces sites d’orpaillage, on court le risque de tomber facilement malade du cancer, parce que ce sont des facteurs cancérigènes. En réalité, le mercure permet de créer un amalgame et c’est cet amalgame qui, une fois chauffé, sépare l’or du minerai. Mais c’est cette vapeur mercurielle respirée par les gens qui travaillent sur ce site ou ceux qui les fréquentent, qui créent les différentes formes de cancer à l’intérieur de l’organisme. Et tous les symptômes qui sont associés à cette contamination au mercure sont constatés». D’ailleurs, des études réalisées par des cabinets comme Black Mines Instituts ou la Direction de l’environnement et des établissements classés (DEEC), confirment cette contamination au mercure. Le mercure contamine les sols, les eaux, les sédiments, les végétaux et les autres formes d’organismes vivants. Le cyanure aussi entre en jeu dans la récupération de l’or surtout quand les activités industrielles se sont intensifiées. Ce produit hautement toxique était juste utilisé, par le passé, au niveau des industries extractives ; mais avec le temps, quand l’orpaillage a évolué le mercure a occupé une place de choix. S’il est vrai que le mercure permet d’extraire jusqu’à 40% de l’or qui se trouve dans le minerai, avec le cyanure, si le processus d’élaboration est bien réussi, l’on peut en extraire jusqu’à 90%. Donc, c’est ce qui fait que les orpailleurs, en maîtrisant fortement cette substance, ont commencé à l’utiliser intensément. Pour rappel, le cyanure est rendu tristement célèbre par les campagnes d’extermination des juifs. Ce sont les gaz d’hydrogène du cyanure qui ont été utilisés lors de la seconde guerre mondiale. C’est une substance extrêmement dangereuse qui, lorsqu’elle est déversée dans les cours d’eau, tue toutes les formes d’organismes vivants.

CANCERS EN SUSPENS, ENFANTS ET FEMMES ENCEINTES EN DANGER PERMANENT 

Alors que le mercure est cancérigène et se bio-accumule dans les tissus, le cyanure quant à lui est extrêmement dangereux ; donc deux dangers constituant des menaces pour la santé publique. Le cyanure, lorsqu’il est mélangé à une eau, quelle que soit la résistance de l’organisme, s’il absorbe cette eau, il meurt automatiquement. Donc, c’est pour cette raison, aujourd’hui, que l’orpaillage a pris une autre dimension avec l’utilisation de ces produits chimiques dangereux. L’argument qui est utilisé par les orpailleurs est que c’est une activité qui soutient fortement les développements économique et social de leur localité. Mais à quel prix ? Est-ce qu’il faut accepter de détruire l’environnement en abattant tous les arbres qui sont pratiquement sur un site pour pouvoir accéder au minerai aurifère  ? Parce que, l’un des premiers impacts de cette recherche effrénée de l’or, c’est de détruire le couvert végétal, tous les arbres.

Selon Kassa Keita, un conseiller municipal de la commune de Tomboronkoto, un des nombreux sites d’orpaillage que compte la région, confortant les affirmations du directeur régional de l’environnement et des établissements classés, par rapport aux dégâts du mercure et du cyanure : «nous avons pu constater qu’avec l’utilisation des produits chimiques (le mercure et le cyanure, ndlr) ça n’allait pas. Les médecins nous ont renseignés sur leurs méfaits, car une fois déversés dans le fleuve Gambie qui longe le village et ingurgités par les poissons, ils deviennent nocifs non seulement pour les enfants, les femmes enceintes mais aussi ont des répercussions sur la santé. Ce qui est d’ailleurs vrai parce que nous remarquons que la vue de certaines personnes commence à s’affaiblir».

ÉBOULEMENT OU AFFAISSEMENT DE PUITS SUR DES ORPAILLEURS : L’or, au prix de vies humaines

Dans le nouveau Code minier sénégalais datant de 2016, c’est au Titre VII, à la section Exploitation minière semi-mécanisée que l’on peut classer l’orpaillage traditionnel. Dans partie, à la page 20, article 50, la loi stipule que «l’autorisation d’exploitation minière semi-mécanisée confère au bénéficiaire, dans les limites du périmètre attribuée et jusqu’à une profondeur maximale de quinze (15) mètres, le droit exclusif d’exploiter, selon des méthodes et procédés semi-mécanisés, les substances minérales pour lesquelles elle est délivrée.» Mais des diouratigui font fi de cette disposition de la loi en atteignant des profondeurs dépassant le double de ce qui est autorisé. En attestent les dires de Alassane, cet orpailleur sénégalais venu de la Casamance et établi au dioura de Bantaco qui affirme que la profondeur de son puits sis juste derrière un amoncellement de détritus de pierres, «avoisinait les 30 voire 40 m». Et Mamadou Dramé, le président de l’Association des orpailleurs de Kédougou de déplorer cela. «Le Code minier demande au exploitants de ne pas dépasser 15 m de profondeur lorsqu’ils creusent. Mais certains ignorent ces règles».

10 ORPAILLEURS ENSEVELIS DANS LES DAMAN EN 2019 

Ignorance ou avidité d’argent de la part des orpailleurs, les « daman » atteignent parfois des profondeurs qui imposent au mineur de se munir d’un mini-ventilateur pour ne pas suffoquer et tomber en asphyxie. Tandis que d’autres mineurs à l’intérieur des fosses communiquent avec les tireurs de cordes situés en surface (sur terre), aux abords du puits à l’aide d’un mégaphone. Au cours de l’année 2019, une dizaine (10) de morts a été dénombrée, liés à l’effondrement des puits sur les orpailleurs clandestins. En cas d’éboulement, les gendarmes mettent la main sur le chef du «dioura», le chef du «daman» qui s’est affaissé et le «tombouleman» chargé de la sécurisation des trous.

En effet, force est de souligner que, même s’ils ont la lourde tâche de veiller à la bonne marche des «dioura» sous leur juridiction, ce trio (chef de dioura, chef de daman et tomboloman) ne peut pas, à lui-seul, gérer plus d’un millier d’orpailleurs dont la plupart se faufile et plonge clandestinement dans les anciens trous abandonnés, dont les parois sont fragiles, à leurs risques et périls. Or, les seules personnes à interpeller, en cas de tragédie, devraient être le chef de daman qui s’occupe de son puits, le propriétaire du «daman» et le «balandou» qui lui, s’occupe de la sécurisation c’està-dire du soutènement du «daman», moyennant argent, confie-t-on. C’est un travail très délicat qui impose au «balandou», à la fin de chaque journée, de s’introduire à l’intérieur des puits munis de gros piquets dont il dispose de part et d’autre des parois du puits pour le stabiliser et éviter son effondrement. Le seul hic est qu’aujourd’hui, ce métier est banalisé et ouvert à tout le monde. Quant au chef de dioura, il était choisi parmi les personnes expérimentées, en référence à la culture africaine. Comme c’est le cas avec l’actuel chef de dioura de Bantaco, désigné en remplacement de son père. Sous son magistère, le dioura rapportait, parce que, dit-on, il avait une bonne étoile. Le cas contraire, le chef de dioura est culturellement destitué et remplacé par un autre

PROSTITUTION, TRAITE DE PERSONNES, DETOURNEMENT DE FILLES ET D’EPOUSES D’AUTOCHTONES… L’autre réalité hideuse des dioura

Lorsqu’un site est découvert, des étrangers viennent s’ajouter à la population autochtone déjà sur place. Cet accroissement exponentiel se traduit par une plus grande utilisation de surface d’exploitation. Malheureusement, après le départ de ces derniers, se pose alors le problème de la réhabilitation des tranchées creusées. Car le dioura n’étant pas durable, il arrive que des villages «meurent» après la fermeture des sites d’orpaillage. En témoigne le village de Kharakhéna qui, avant la découverte de l’or, ne faisait même pas 500 habitants. Mais, avec la découverte de l’or, plus de 10000 personnes ont envahi ses sites. Maintenant que l’or a commencé à se raréfier, très peu de gens vivent désormais sur les lieux.

 L’ORPAILLAGE, UN FACTEUR DE BRASSAGE CULTUREL 

Sur un échantillonnage de 100 individus pris de cette marée humaine établie sur les lieux, seuls 4 individus sur 10 sont de nationalité sénégalaise. Les Maliens sont fortement représentés, soit 39,6% des orpailleurs. Ensuite viennent les Guinéens et les Burkinabés avec respectivement 10,3% et 5,2%. Les Bissau-Guinéens, les Ghanéens et les Mauritaniens sont faiblement représentés, soit respectivement 0,2%, 0,1% et 0,1%. Les Gambiens, Nigériens et Ivoiriens, etc. sont les moins nombreux. Kassa Keita, Bantako, conseiller municipal de Tomboronkoto, renseigne que «même si le village existait depuis près de 80 ans, l’orpaillage y a commencé en 2005, avec l’arrivée des Maliens, des Burkinabés, des Guinéens. Et depuis lors, nous sommes dans l’orpaillage. Avant, le village de Bantako comptait 245 personnes, essentiellement des notables, et maintenant nous sommes au nombre de 8240 habitants. Nous n’avons pas de problèmes avec les gens qui viennent de la sous-région, je dirai même que nous vivons en parfaite entente. Lorsqu’ils viennent s’installer, ils s’imprègnent alors des règles édictées et les respectent du mieux qu’ils peuvent».

 LA PROSTITUTION ET LA TRAITE D’ETRES HUMAINS TOUJOURS D’ACTUALITE DANS LES DIOURA 

Selon la loi n°2005-06 du 10 mai 2005 relatif à la lutte contre la Traite des personnes et pratiques assimilées et la protection des victimes, «  La détention criminelle de 10 à 30 ans est encourue lorsque l’infraction est commise en recourant à des actes de torture ou de barbarie ou en vue de prélèvements d’organes humains ou qu’elle expose la victime à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une infirmité permanente». Malgré cette loi dissuasive, dans les dioura, la prostitution sur fond de traite de personnes est banalisée, à la limite même normalisée. Et les femmes qui s’adonnent à cette perversion, majoritairement des Ivoiriennes, des Guinéennes, et même des Sénégalaises, le font clandestinement. Contrairement aux Nigérianes qui, elles, ne s’en cachent pas, au grand dam de la population autochtone.

Dans les dioura où se côtoient le triptyque or-argent-sexe, deux types de prostitution existent. D’une part, il y a celle pratiquée de plein gré par les Nigérianes pour la plupart, et celle qui est l’œuvre des réseaux de proxénétisme et de traite de personnes. Dans les dioura, tout le monde se connaît et les moindres gestes des étrangers sont épiés. Après avoir été dévisagé par une ressortissante nigériane du nom de Ashley, la vingtaine environ, elle a daigné nous conter sa mésaventure, en échange du prix de la passe (2000 F CFA), sous prétexte que «le temps c’est de l’argent». Elle confie : «je suis venue ici (Kharakhéna, ndlr) délibérément par l’entremise d’une de mes amies du même quartier où nous avons passé le plus clair de notre temps. Elle nous a quittés pour une aventure dans les mines d’or de Kédougou. A chacun de ses retours, sa fortune ne faisait qu’accroître et elle a gagné non seulement le respect de tout le monde, quand on sait le pouvoir de l’argent, mais aussi l’estime de sa famille. En effet, elle a commencé la réfection de leur maison qui était en état de délabrement avancé. Mon amie m’a même confié qu’elle arrêterait bientôt ce métier dégradant car elle aurait amassé suffisamment d’argent pour débuter son propre commerce. Alors j’ai décidé de suivre ses pas ; d’où ma présence ici.»

A l’opposé de Ashley qui a sciemment décidé de s’embarquer dans le travail du sexe, d’autres le font malgré elles. Pis, par peur de subir le courroux de leur bourreau, elles sont obligées de s’y adonner. En effet, le 04 janvier 2020, les éléments du Commissariat de Kédougou ont démantelé un vaste réseau de trafic et de traite de personnes à Mouran, une localité située dans le département de Saraya, à 30 Km de la commune de Missirah Sirimana. Les mis en cause, un couple concubin, le burkinabè Y.C et la nigériane P.O détenaient de force 9 filles dont 2 mineurs. Les malchanceuses qui croyaient s’embarquer dans une aventure qui leur promettait l’eldorado, se retrouvèrent prises au piège dans le travail du sexe. Pis, une fois qu’elles ont foulé le sol sénégalais, via le Mali, leurs pièces ont été confisquées par les passeurs qui sont en réalité des proxénètes. Pour sortir de ce cercle vicieux, 3 solutions étaient possibles : soit payer sa rançon qui s’élevait à 1,5 million et gagner sa liberté ; soit accepter de travailler comme prostituée moyennant le prix de la passe ; soit vivre en concubinage avec un orpailleur et percevoir un «salaire» allant jusqu’à 120.000 F CFA/mois. Si elles refusaient d’obtempérer, ces femmes subissaient mille supplices, allant de la séquestration à la torture en passant par d’atroces bastonnades. Et ce n’est pas J. Ado, l’une d’entre elles ayant succombé à la brutalité du couple, qui dira le contraire. A l’annonce du verdict de leur procès, à l’issue duquel leurs «bourreaux» ont écopé de 10 ans d’emprisonnement et la somme de 21,5 millions d’amende, les 9 miraculées sautillaient de joie. Hélas, nonobstant le travail remarquable opéré par les limiers de Kédougou, la traite de personnes continue de prospérer, avec la découverte de nouveaux sites d’orpaillage. Tout comme la prostitution et l’alcool qui sont les principales distractions des diouratigui. Avec comme corollaire l’apparition de nouvelles maladies rares notamment l’hépatite B et un fort taux de prévalence du VIH.

RAVIR LA FEMME D’AUTRUI, UN VICE QUE L’OR PEUT OFFRIR 

L’arrivée des orpailleurs qui n’ont de dieu que l’argent, entraine un lot de désagréments : le dérèglement des habitudes de vie, des traditions, le non-respect des interdits et désacralisation ; donc un bouleversement radical de la vie sociale. A. Ba, chef du village de Thiabédji, une localité aurifère située à 30 km de Kédougou et au Nord de l’actuelle commune de Bandafassi, passant en revue les maux de l’orpaillage artisanal déclare : «nous avons constaté que nos enfants se désintéressaient petit à petit de l’école. Même si le dioura n’est pas à proprement parler la cause de cet abandon, néanmoins il y est pour beaucoup». Et de poursuivre : «il s’y ajoute le fait que quelques femmes d’ici ont quitté leurs maris pour partir avec ces chercheurs d’or qui ont touché le pactole. Les jeunes filles du village à la quête d’aventures et d’une vie plus radieuse leur emboîtent le pas. Car ces chercheurs d’or, qui sont des étrangers en majorité, parviennent souvent, après de durs labeurs, à gagner une quantité conséquente de ce précieux minerai qui leur assurera un temps de vacances bien arrosées. On a même deux filles qui s’étaient enfuies avec des diouramen et leurs parents sont partis à leur trousse. Par la grâce de Dieu, on les a retrouvées. Dans pareille situation, nous convoquons la fille concernée et le garçon avec qui elle s’était enfuie pour savoir s’ils s’aiment. Si tel est le cas, alors nous scellons leur union sans plus attendre. Aussi, comme cela se passe dans la majeure partie des dioura, Thiabédji n’est pas exempt des déviations qui gangrènent le milieu de l’orpaillage. On nous rapporte souvent des cas de prostitution déguisée et de l’utilisation de l’alcool, deux actes prohibés par la religion musulmane à laquelle nous appartenons. Ainsi, en compagnie des gendarmes, nous vérifions l’information et si elle est avère, alors nous chassons les fautifs hors de ce village.»

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