Assane Diouf : Au nom des libertés…

par pierre Dieme

Il est détenu dans une geôle depuis des mois mais c’est davantage le silence fracassant autour de son sort alors qu’il est innocent qui doit lui peser le plus.
Prononcer son nom devient même une hérésie. Tout le monde fait comme si. Comme s’il n’existe pas. Comme si son maintien en prison relève de la normalité. Comme s’il doit y pourrir sans que personne ne bouge. Comme si la société l’a oublié. Comme s’il mérite ce qui lui arrive. Comme si, par méchanceté, le peuple sénégalais en est content. Comme si la vulgate du pouvoir illégitime de Macky Sall, qui n’est là que parce qu’il a volé les élections, en plein-jour, l’an dernier, le dépeignant comme un insulteur public a eu une morsure irréversible sur la population sénégalaise. Comme si des forces dérangées par ses sorties extravagantes, gravissimes, sur les réseaux sociaux, y compris contre des chefs religieux et les acteurs politiques, trouvaient dans son confinement la condition de leur paix intérieure, leur revanche indirecte. Comme si, oubliant son engagement social pour bâtir son voisinage, mobiliser les jeunes, retaper des infrastructures locales détruites, les bénéficiaires du travail de socialisation qu’il abattait n’ont eu aucune gêne à passer à autre chose alors qu’ils se pressaient autour de lui dans un passé récent.


Etait-ce Guédiawaye ou Pikine, Cambérène, dans la banlieue ? Le temps, déjà parti, n’est pourtant guère lointain quand Assane Diouf, alors élargi de sa première illégale détention carcérale, portait sur ses épaules le mouvement associatif dans les quartiers où il vivait. On n’y chantait ses louanges sans discontinuer. Sa contribution positive au réveil des jeunes et à leur orientation vers des actions positives, de progrès social et de solidarité communautaires. Beaucoup avaient fini par oublier le tonitruant Assane que ses propos incendiaires sur les réseaux sociaux avaient rendu populaire voici deux ans, au point d’aligner des records de vues sur chacune de ses apparitions sur les plateformes induites par la techtonique des plaques numériques.


Je ne le connais pas personnellement. Je n’ai jamais suivi une seule de ses émissions en entier, et ai été rebuté par la robustesse, la rugosité, de son discours dès que j’eus l’occasion de l’entendre de loin. Je n’avais pas eu le courage de pousser plus loin la curiosité. Et des racontars autour de ses révélations sur les frasques de dignitaires politiques, religieux, artistiques du pays ne m’auraient pas gêné si elles avaient été posées avec calme et précision. Sa hargne l’a souvent desservi. Et il s’est fait de solides inimitiés en s’attaquant à certaines icônes, notamment un Sonko, dont les sicaires ne se laissent pas faire, qui ont ajouté à son effacement de l’agenda du débat public depuis son incarcération. Au surplus, face à un régime fébrile et frileux, en quête de proie pour prouver à ses contempteurs qu’il est prêt à aller aux extrêmes, il s’est exposé aux forces toxiques qui le traquaient en sachant qu’il n’était plus aux USA mais à leur portée.


Il avait aussi compté sans l’immoralité des partenaires diplomatiques du Sénégal, de l’ONU aux USA, de la France aux Etats Africains, et surtout sans la duplicité des organisations dites droits-de-l’hommistes, plus vendues que vigoureux dans la lutte pour la promotion de la sécurité humaine.


Depuis son arrestation, illégale et arbitraire, même les magistrats, pourtant humiliés chaque jour par un pouvoir voyou, et les forces religieuses ou politiques, encore moins l’intelligentsia, ne semblent réaliser qu’il est un cas d’école par excellence de la dégradation des normes démocratiques et des droits humains dans notre pays.
C’est comme si, tous, d’un seul mouvement, veulent faire de lui l’agneau du sacrifice. Comme si en Assane, ils s’évertuaient à envoyer le signal qu’il est une ligne rouge au-delà de laquelle les libertés et droits constitutionnels, tout protégés qu’ils soient, s’évanouissaient, qu’ils abdiqueraient leurs devoirs de secourir la personne qui aurait commis la faute de la franchir. C’est comme si, se dépouillant de toute moralité, ils disaient au pouvoir politique, à un Etat violateur des droits humains, qu’il avait carte blanche pour faire ce qu’il veut d’un Assane ou de qui lui ressemble…


C’est très grave ce qui se passe. Car, tous, nous sommes des Assane Diouf en puissance. Plus personne n’est à l’abri. Et le Sénégal est ainsi entré, avec la complicité des forces vives qui devaient défendre le respect des droits humains, dans une dangereuse zone qui autorise la puissance publique à les déchiqueter, à semer la terreur autour d’elle et de ses actes, fussent-ils les plus crapuleux, criminels, corrupteurs, et à se sentir couverte par une impunité illimitée.


Ce n’est pas là un phénomène nouveau dans l’histoire des nations. La grande différence, c’est qu’ailleurs soit les peuples en ont perçu très vite les effets pervers, comme lorsqu’en France l’Affaire Dreyfus, au 19ème siècle suscita une levée de boucliers irrésistible pour son réexamen. Ou quand Adolph Hitler, le leader porté au pouvoir en 1933, sous les acclamations de la foule, par les urnes, engagea la traque des juifs, en commençant par des personnes isolées, sous l’œil passif du peuple Allemand, lequel n’avait pas réalisé qu’en fermant les yeux sur ces premiers cas il avait contribué aux dérives meurtrières ultérieures du régime nazi et leurs dizaines de millions de morts transfrontaliers dus à la deuxième guerre mondiale qu’elles avaient déclenchée.


On ne peut qu’être dès lors abasourdi par les justifications que les sénégalais accordent au régime fraudeur et irrespectueux des droits humains qui est allé, à l’aube, à l’heure du laitier, sans respecter le droit en vigueur sur le sol national, comme du temps des démocraties autoritaires de l’ex-Europe de l’Est, capturer Assane Diouf simplement parce qu’il a tenu des propos désobligeants qu’autorisent la loi en direction d’un pouvoir dont le seul souci est de limer, de fermer le périmètre des libertés individuelles. De faire taire la pensée, surtout celle qui le critique, en laissant libre cours à celle de ses zélateurs.


J’ai un mince espoir de susciter un sursaut de conscience dans l’opinion publique sénégalaise en mettant en exergue l’inadmissible traitement auquel un Assane Diouf, lâché par tous, jusqu’à une Ambassade américaine à Dakar qui sait pourtant les conditions dans lesquelles, par le mensonge, l’Etat immoral du Sénégal a pu obtenir son rapatriement des Etats-Unis, sans compter son lien indirect avec ce pays d’où est originaire son épouse.
Les plus décevants sont cependant les Sénégalais. Ce ne sont pas les acteurs étrangers, quels qu’ils soient, qui doivent porter le combat des libertés individuelles, opposer une résistance de principe à un Etat qui les bafouent, mais bien ce peuple en vertu de son mandat de protéger les fondamentaux de la constitution nationale.
Hélas, c’est comme s’il était frappé par une lâcheté collective qui le pousse à tolérer toutes les forfaitures du régime de Macky Sall même si cela signifie qu’il consente à se mettre sous ses deux genoux, suffoquant, privé de respiration.


Un tel peuple, pleutre et pernicieux, est le dernier espoir pour Assane Diouf. Saura-t-il avoir un bref instinct d’humanisme pour redresser la tête ? Ce qu’Assane subit pourrait revenir à la face de tous ceux qui restent complices de l’injuste sort fait à un homme trahi à la fois par un Etat, entre les mains de bandits, et par un peuple pusillanime.
J’appelle ce matin au sursaut pour reprendre en mains le flambeau Assane. C’est notre frère. Et son destin pourrait être demain celui, grandeur nature, en bien ou en mal, du nôtre, collectif. C’est l’une des questions fondamentales que sa détention, nous faisant face, nous pose. De sa solution, dépend l’avenir du Sénégal. Réveillons-nous et cessons de sous-estimer l’affaire Assane Diouf.


Je suis, pour ma part, déterminé à lui apporter tout mon soutien, quelque modeste qu’il puisse être. Libérez-le, vous violez ses droits.
Adama Gaye, Le Caire, 30 Septembre 2020
PS: Qu’Assane Diouf soit fou, comme le vilipendent les propagandistes du régime, n’est pas une raison de l’ignorer. Qui est à l’abri d’un parent atteint de démence? Le rôle d’un Etat sérieux est de soigner les fous, non de les incarcérer. Et puis, cet assassinat de sa personnalité, on peut le penser, est l’une des méthodes anciennes de tous les pouvoirs tentés par le muselemment de leurs critiques. J’en sais quelque chose. En capturant Assane Diouf, l’Etat du Sénégal viole encore les règles les plus sacrées de la liberté individuelle. Mobilisons-nous contre cet enième forfait.

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