Eligibilité de Karim Wade: la plupart des juristes en phase avec ses avocats

par pierre Dieme

Le fils de l’ancien président Me Abdoulaye Wade, exilé au Qatar depuis sa sortie de prison le 23 juin 2016, peut revenir sur la scène politique sénégalaise s’il le désire. En tout cas, c’est l’avis de ses avocats qui ont sorti mardi, un communiqué pour informer l’opinion nationale et internationale que leur client a retrouvé son droit d’être électeur depuis août 2020. Conséquence, Karim Wade est éligible. Fondant leur argument sur le Code électoral, les conseillers de Wade fils ont d’abord rappelé que l’article L.31 a interdit l’inscription sur les listes électorales aux personnes condamnées. Avant d’invoquer l’article L.32 qui limite cette interdiction à une durée de 5 ans suivant la décision de la Cour suprême du 20 août 2015 qui avait rejeté le pourvoi contre l’arrêt de condamnation et par l’expiration. PressAfrik a donné la parole aux juristes pour voir si les arguments avancés par les conseils de Karim sont inattaquables en droit.

Condamné à six ans d’emprisonnement et à une amende de 138 milliards de francs CFA (209 millions d’euros) par la Cour de répression et de l’enrichissement illicite (Crei), Karim Wade a retrouvé son droit d’électeur, selon ses conseillers. Ce que la plupart des juristes contactés par PressAfrik semblent confirmer. 

Joint par PressAfrik, le juriste Ndiougou Sarr a rappelé d’entrée les dispositions du Code électoral. « Les textes disent que si vous êtes condamné à une telle ou telle infraction, la durée de la peine d’emprisonnement assortie d’une privation des droits civils et politiques, une fois que cette durée est terminée, la personne retrouve ses droits civil et politique ». C’est-à-dire, a expliqué le Professeur en droit constitutionnel, « la personne, une fois que le délai terminé, peut demander à être réintégrée dans le Code électoral et il va saisir l’administration pour demander à être intégrée, et le refus de l’administration peut faire l’objet d’une saisine du juge, si elle pense qu’elle remplit les conditions par rapport au dispositif du Code électoral ».  

« Karim Wade peut bel et bien se retrouver sur les listes électorales et aussi peut être électeur », selon le Pr Ngouda Mboup

L’enseignant-chercheur en Droit public à la Faculté des sciences juridique et politique (Fsjp), Mouhamadou Ngouda Mboup, est du même avis que les avocats de Karim Meissa Wade. Selon lui, Karim Wade peut bel et bien se retrouver sur les listes électorales et peut aussi être électeur.   

D’entrée, le constitutionnaliste a invoqué l’article L.3 de la Constitution du Sénégal. Cet article précise que « tous les citoyens sénégalais âgés de 18 ans révolu et jouissant de leurs droits civil et politique, sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi ». 

Donc, selon lui, partant de cet article, « Karim Wade qui faisait l’objet d’une condamnation de 5 ans n’a pas pu se présenter à l’élection présidentielle pour défaut de qualité d’électeur d’après le Conseil constitutionnel ».  

Mais, a-t-il souligné :  « si nous regardons la décision rendue par la Crei, ainsi que celle rendue par le Conseil constitutionnel du 20 janvier 2019, il se trouve clairement que l’article L.32 du code électoral, en réalité, qui ne permettait pas à Karim Wade de pouvoir se présenter à l’élection présidentielle pour défaut de qualité d’électeur, précise qu’il ne pouvait pas être inscrit sur les listes électorales pendant un délai de 5 ans à compter de la date de la condamnation, qui devenue définitive ».  

Par conséquent, le chercheur est d’avis qu’: « Entre la condamnation devenue définitive et aujourd’hui, les 5 ans se sont écoulés et c’est expiré et donc, il se trouve clairement que Karim Wade peut bel et bien se retrouver sur les listes électorales. Et du moment que c’est cette pièce qui lui manquait et qui lui faisait défaut, il pourrait être éligible ».   

Pr. Mboup ignore, toutefois, sur quoi se fondent ceux qui disent que Wade-fils ne peut toujours pas être électeur. D’autant plus que « dans le droit électoral, il y a un principe sacro-saint qui explique que pas d’éligibilité sans texte, pas d’inéligibilité sans texte ni d’inéligibilité au-delà des textes et les textes étaient très clairs. S’il (Karim Wade) ne pouvait pas être sur les listes électorales c’était dû à sa condition. Mais aujourd’hui, je ne trouve pas de moyens pour ne pas lui permettre de s’inscrire sur les listes électorales ».  

A en croire le juriste, ceux qui se fondent sur l’article L.30 du code électoral pour dire que Karim Wade ne peut pas être électeur ni éligible « veulent être plus royalistes que le roi ». 

 « Le Conseil constitutionnel n’a jamais invoqué l’article L.30 dans la mesure où, cet article, déjà, parle sur les conditions de refus de l’inscription et des personnes frappées d’une incapacité électorale à la suite d’une condamnation, bénéficiant d’une réhabilitation ou ceux qui font l’objet d’une mesure d’amnistie. Donc, a précisé l’enseignant-chercheur, Karim Wade, dans la décision rendu par la Crei, n’a pas perdu ses droits civils-politiques ».  

Ce que le Pr Ndiougou Sarr a également confirmé. Selon lui, « si le juge ne prononce pas la perte des droits civil et politique, on ne doit pas l’appliquer ». A l’époque, a-t-il rappelé, « L’Etat avait tiré les conséquences de cette condamnation au plan électoral pour lui priver de ces droits civil et politique mais le juge n’avait pas prévu cela ».  

« Les arguments des avocats de Karim Wade sont des arguments sérieux », affirme Mady Boiré de l’UGB

Le Professeur de Droit pénal à l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis, Mady Boire, lui aussi, partage le même avis que les conseils du fils de l’ancien président Me Abdoulaye Wade.  « C’est des arguments sérieux et très pertinents qui permettent de dire entièrement que Karim Wade a retrouvé ses droits qu’il n’aurait jamais dû perdre

 », a-t-il déclaré. 

« Parce que l’incrimination d’enrichissement illicite ne prévoyait pas la possibilité de l’interdiction des droits civil et politique. Revenir dans son pays veut dire retrouver ses droits civil, civique et politique parce que quand on est dans son pays et que vous n’avez pas été jugé et condamné avec une condamnation qui vous prive de vos droits, vous retrouvez entièrement vos droits de devenir électeur et éligible », a expliqué Pr Boiré. 

« Vouloir faire bénéficier à Karim Wade d’une capacité électorale au bout de 5 ans est illogique »

Mais dans ce concert d’approbation, il y a une voix discordante. C’est celle du Professeur de Droit pénal Iba Barry Camara de l’Ucad. Selon lui, Karim n’est pas redevenu éligible. 
Les avocats de Karim Wade se sont fondés sur l’article L.32 pour dire que leur client avait retrouvé ses droits civil et politique. Cet article dispose : «ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale pendant un délai de cinq (5) ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les condamnés, soit pour un délit visé à l’article L31, à une peine d’emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un mois et inférieure ou égale à trois (3) mois ou à une peine d’emprisonnement avec sursis égale ou supérieure à trois (03) mois et inférieure ou égale à six (6) mois, soit pour un délit quelconque à une amende sans sursis supérieure à 200.000 FCFA (…)». 

Mais, le Professeur Camara ne partage pas leur avis. Selon lui : « Vouloir faire bénéficier à Karim Wade d’une capacité électorale au bout de 5 ans est illogique. Karim Wade, ne peut pas en bénéficier ».  

Dans les colonnes de L’Observateur, il explique: « A l’état actuel, il ne peut participer à aucune élection et il ne peut être inscrit sur aucune liste électorale ». A l’en croire, lorsqu’il a entendu les avocats de Karim Wade parler de fin de radiation et d’inéligibilité, il est resté dubitatif du point de vue purement juridique et sans aucun ressentiment. 

 Karim Wade ne fait pas parti de ceux qui peuvent s’inscrire au bout de cinq (5) ans d’emprisonnement.

Poursuivant, le pénaliste a ajouté, « Si l’on se fonde sur les dispositions du code pénal et du code électoral, en vérité, une fin d’incapacité n’a été prévue nulle part. C’est cela le problème en réalité . Encore, ceux qui peuvent s’inscrire au bout de cinq (5) ans ce sont ceux qui sont prévus par le tiret 3 de l’article L.31. Il s’agit de ceux condamnés à trois ( 3 ) mois d’emprisonnement avec sursis ou à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à six (6) mois avec sursis. Et le cas de Karim de Wade est à loger au niveau de l’article L.31 tiret 2 ». 

Cet article note que: « ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale, les individus condamnés pour crime ; ceux condamnés à une peine d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée supérieure à un mois, assortie ou non d’une amende, pour l’un des délits suivants : vol, escroquerie, abus de confiance, trafic de stupéfiants, détournement et soustraction commis par les agents publics, corruption et trafic d’influence, contrefaçon et en général pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq (05) ans d’emprisonnement; ceux condamnés à plus de trois (03) mois d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à six (6) mois avec sursis, pour un délit autre que ceux énumérés au deuxièmement ci-dessus sous réserve des dispositions de l’article L30 ».  

Le débat est donc lancé… En attendant le retour tant de fois espéré et toujours hypothétique de Karim Wade au Sénégal.

Pressafrik

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