Figure bien connue du hip hop sénégalais, le rappeur Fata (Mamadou Moustapha Gningue à l’état-civil) plaide pour un rap sénégalais, avec sa propre identité. El Présidente est convaincu que dans le monde des arts et de la culture, un retour aux valeurs traditionnelles et une identité propre ouvre de nouvelles perspectives musicales. Dans cette interview accordée à Rewmi Quotidien, Fata revient sur son parcours, nous parle de ses projets et livre ses impressions sur la ville futuriste du rappeur Akon que ce dernier veut bâtir au Sénégal. Un projet qui laisse le rappeur perplexe. Entretien !
Fata El Présidente, d’où vient ce surnom ?
C’était en 2005 quand j’avais besoin de sortir un album, un nouvel album solo. A l’époque, je savais que l’on me surnommait Fata de Cbv et tout ça me rattachait à mon histoire avec le Cbv. Et vu que je sortais mon album solo intitulé « Retour en Afrique », il fallait que je réactualise mon appellation, d’où j’ai choisis ce nom Fata El Présidente. Mais sinon à l’état civil mon nom c’est Mamadou Moustapha Nguingue.
Ça fait un bon moment que l’on ne vous entend plus. Que devient Fata ?
Je dirais plutôt que chaque artiste est un media. Tous ceux qui me suivent dans les réseaux sociaux savent que je suis actif depuis ces 10 dernières années après avoir sorti mon album « Iqra » depuis 2013. J’ai sortis trois projets qui sont parus en digital comme celui que j’ai fait avec un artiste américain disponible sur les plateformes de téléchargements. J’ai aussi fait un autre projet intitulé « Mister International » dédié au défunt rappeur Pacotille. Bien après, j’ai sorti un autre album que je dédie à mon fils.
Des rappeurs ont été invités au Palais dans le cadre de la lutte contre la Covid-19. Vous n’y étiez pas. Pourquoi ?
Disons que l’on ne peut pas être partout et surtout dans ce contexte particulier, le plus important, ce n’est pas de voir le Président mais plutôt d’impacter et surtout de communiquer avec les gens qui nous suivent afin de les sensibiliser. C’est une façon d’apporter sa contribution à l’édifice. Avec mon label, on a produit le meilleur morceau sur le Covid avec pas mal d’artistes. Nous avons même fait le remix de luxe de ce morceau en faisant appel à d’autres artistes comme Kiné Lam, Amy Collé, entre autres. Nous avons contribué à notre manière, l’idéal n’était pas d’être reçu, mais de montrer aux sénégalais qu’ils devaient faire attention.
La pandémie n’a-t-elle pas impactée votre travail ?
Oui comme pour tout le monde, elle a impacté sur notre travail. Nous sommes dans un pays où les gens n’ont pas eu l’habitude d’acheter en digital contrairement aux autres pays. Du coup, avec la Covid-19, les artistes n’ont pas pu faire des prestations et c’était difficile. Sinon pour ma part, c’est en cette période que j’ai pu investir dans l’audiovisuel pour créer de nouveaux studios et ça m’a permis de recadrer, remettre le label sur pied et pouvoir travailler les contenus avec les télévisions.
C’est le grand retour de la compétition Hip-Hop Feeling pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est un engouement qui continue après que j’ai recommencé à travailler dans l’audiovisuel et qu’il me fallait avoir des contenus. J’ai eu l’idée de reprendre des émissions que j’avais pour habitude de faire. « Hip hop feeling » est une marque déposée, très connue et respectée dans le monde du Hip hop et même au-delà. C’était important pour moi de revenir et de donner un autre souffle au hip hop et faire en sorte que le paysage urbain soit plus embelli. C’est une émission qui doit exister et qui doit être assez soutenue. Nous sommes en phase du lancement et nous avions eu envie de commencer fort malgré la Covid. Nous attendons aussi les partenaires pour accompagner le projet parce que quoi qu’on dise, c’est un projet populaire qu’attend le grand public.
Vous étiez critiqué pour votre musique mélangée de Rap et de Mbalax. Aujourd’hui c’est la tendance dans le hip-hop senegalais.Vous devez rire sous cape ?
Je suis un passionné de rap, je ne cherche pas à prendre le flambeau de quoi que ce soit ou dire que c’est moi qui ai fait cela. Je ne me le proclame pas, ça existait déjà avec le Pbs, Daradji, ils ont tous misé sur le hip-hop qui nous ressemble. Aujourd’hui la génération est beaucoup plus indépendante, et je pense que c’est l’intérêt de la musique. Sauf que pendant ce temps, le rap moderne, américain évolue et apporte de nouveaux styles. Il ne faudrait pas rentrer dans les mêmes pièges, il faudrait rester original et local pour qu’on ait une musique qui nous ressemble et que nous devons défendre partout où l’on sera.
Est-ce que l’on a un rap sénégalais, une vraie identité ?
Jusqu’ici, on le sens de partout. Tous les rappeurs qui ont été influencés par les Américains doivent faire en sorte de ressembler à des Sénégalais. Ils doivent, de par les paroles, de par la musique, parler au Sénégalais. Il faut commencer sa carrière en restant plus original plutôt que de vouloir ressembler à un Américain. La jeune génération de rappeur devrait éviter ce piège. Au Sénégal nous avons besoin de montrer une musique qui nous ressemble et qui nous parle. Si toutefois la génération actuelle entre dans ce piège et essaye de faire comme les américains, nous seront obligés encore d’attendre 10 ans.
Quels sont les défauts et les qualités du rap sénégalais ?
Pour les défauts, je dirai que nous sommes dans une phase où le hip-hop a besoin de beaucoup plus de respect dans le pays, de moins de stigmatisation. C’est à nous de bien le représenter en image et c’est très important. Il faut diminuer les clashs bien que cela fasse parti du hip-hop. Et c’est cette image qui fait dire à certaines personnes que le hip-hop ne se porte pas bien. Nous avons besoin de montrer une belle face du rap, c’est ce que tout le monde devrait faire, et pour cela j’invite la nouvelle génération à redorer le blason du hip-hop.
Comment jugez-vous la jeune génération de hip-hop ?
Je ne ferai pas de jugement. Je les encouragerais plutôt. La jeune génération fait partie de l’évolution du hip-hop. Ce que je leur demande, c’est de rester moins vulgaires dans la mesure où nous sommes dans un pays un peu coincé ; nous avons nos réalités. Ils auront beau évoluer écouter, comprendre, écouter les paroles des musiques occidentaux, mais ils resteront toujours Sénégalais. Donc revendiquons ce qu’on est par nos cultures, nos conceptions que d’essayer d’être autre chose. Je souhaite que cette nouvelle génération soit beaucoup plus ouverte d’esprit mais toujours cultivée et authentique.
Le hip-hop est considéré comme contre-pouvoir. Vous avez refusé de descendre dans la rue pour manifester. Pourquoi ce choix ?
Je pense que nous les rappeurs » ne devons pas avoir cette position de revendication juste pour la politique. Nous avons une revendication socioculturelle. Nous ne devons pas nous battre pour les politiques, mais pour le citoyen sénégalais. Nous sommes comme des miroirs dans la société. Mais malheureusement au Sénégal, les gens croient que les seuls engagés du hip-hop sont ceux qui tirent sur l’Etat. Mais il n’y a pas que l’Etat pour faire fonctionner un peuple. Que chacun respecte ce que l’autre fait.
Au Sénégal, Akon veut bâtir son Akon City. Le projet attire déjà les critiques. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que si Akon aime vraiment le Sénégal, ce qu’il devrait faire en premier, c’est de soutenir le rap qui lui a donné du succès. Ce qu’il ne faut pas oublier, Akon a utilisé le drapeau du Sénégal pour dire qu’il est un authentique sénégalais. Artistiquement, tout ça devrait refléter sur notre musique et ce n’est pas le cas. Il n’a jamais donné de coup de main à des gens dont il disait être inspirés. Akon City, c’est tout sauf l’amour pour son pays et ça il faut l’accepter d’abord. Tout cela, c’est un faux débat. Quand il s’agit de créer une nouvelle ville dans un pays comme le Sénégal, il faut avoir le culot de parler des tenants et des aboutissants. Nous vivons dans un pays dans lequel il y a plein de limites par rapport à ce que nous faisons. S’il a créé cette ville juste pour y amener des « choses » que l’on ne maitrise, je dis non ! Je ne le dis pas par méchanceté, mais toutes ces villes modernes existent dans d’autres pays, nous les connaissons tous. La question que je me pose est : c’est quoi l’intérêt d’avoir une nouvelle ville dans un pays qui fonctionne contrairement à nos cultures et à nos valeurs ? Akon City n’est pas un bon projet, il y a autre chose beaucoup plus importante. Tout ça, c’est uniquement du Business !
Quels sont vos projets ?
Mon label travaille en association avec des gens très calés en digital, en production audiovisuelle. Nous travaillons sur des émissions télé qui seront diffusés dans les médias et dans la production musicale. J’ai un album en cours qui sort au mois de novembre prochain et c’est mon Label (Taf label) qui a tout fait. Il y a aussi une autre compilation qui accompagne mon album et qui s’appelle « INSPIRATION ». Nous travaillons aussi pour une série qui va créer une autre innovation dans l’espace audiovisuelle. Avec mon label, nous avons beaucoup d’autres projets.
ANNA THIAW