Le peuple et les démocrates feront face au troisième mandat

par pierre Dieme

Depuis quelques jours, le Sénégal est secoué par des questions judiciaires relatives à la convocation du juge Téliko par l’IGAJ, la justification juridique d’une 3e candidature de Macky Sall par le président du groupe parlementaire de Bennoo Bokk Yaakar. A cela s’ajoute la sortie du Procureur général sur les privations de liberté arbitraires constatées dans les commissariats et brigades de gendarmerie pour des affaires civiles ou commerciales.

Comment appréciez-vous la convocation du juge Téliko par l’IGAJ ?

La convocation du président de l’UMS pour des motifs fallacieux (interview accordée au journal les Echos, relatifs, entre autres à l’affaire Khalifa Sall) est un énorme scandale et constitue une atteinte intolérable à l’indépendance de la justice et à un principe sacré : la liberté pour tout magistrat d’œuvrer pour le bon fonctionnement de la justice. Tous ceux qui ont suivi le procès de Khalifa Sall savent que les droits de la défense, le droit à la présomption d’innocence, le droit à l’égalité devant la loi, et le droit à l’égale protection de la loi, ont été littéralement violés par la justice sénégalaise. L’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO du 29 juin 2018 a mis la justice sénégalaise au banc des accusés (procès d’un régime liberticide).

Le juge Souleymane Téliko n’a fait que rappeler des principes élémentaires de droit connus de tous les juristes de bonne foi (respect du droit à la présomption d’innocence). Du reste, l’affaire Khalifa Sall a été définitivement tranchée (autorité de la chose jugée). Il n’y a rien dans les propos du juge Téliko qui justifie une convocation devant l’IGAJ. La convocation loufoque du juge Téliko est la preuve définitive de l’affaissement de la justice sous le magistère de Macky Sall (il y a eu une double convocation puisque la première convocation orale n’avait aucune valeur juridique). Dans cette affaire, il faut se féliciter de la réaction énergique des magistrats de l’UMS, du comité de ressort de Dakar, de Thiès qui ont fait bloc en apportant un soutien sans équivoque au président de l’UMS. Par ailleurs, les organisations de la société civile, d’une seule voix, se sont érigées en bouclier pour soutenir l’UMS et défendre l’indépendance de la justice.

Ne pensez-vous pas que le ministre de la Justice, Malick Sall, joue au Ponce-Pilate en voulant dégager sa responsabilité dans la convocation de Téliko ?

Le ministre de la Justice peut tenter maladroitement de manipuler l’opinion. En réalité, personne n’est dupe. Primo, L’IGAJ est rattachée directement au cabinet du ministre de la Justice (Décret n° 2007-554 du 30 avril 2007). Secundo, il suffit de prendre connaissance du décret n° 2019-778 du 17 avril 2019, relatif aux attributions du Garde des Sceaux, ministre de la Justice pour savoir que l’IGAJ est directement rattaché au premier cabinet de Malick Sall. Tertio, la preuve de l’implication directe du ministre de la Justice est apportée par sa lettre de mission n°000215/MJ/CAB/SP du 21 août 2020, adressée à l’IGAJ demandant la convocation du président de l’UMS. L’IGAJ agit sur commande. Nous mettons publiquement au défi, le ministre de la Justice d’apporter un démenti (lettre de mission). Dans cette affaire, le ministre Malick Sall est à la manœuvre, du début à la fin. C’est clair, net et précis.

Macky Sall n’a-t-il pas échoué dans sa politique judiciaire, lui qui avait promis dans son projet politique « Yoonu Yokkute » d’apporter toutes les réformes qui garantiraient une meilleure indépendance de la justice ?

En vérité, le projet politique de « Yoonu Yokkute » s’est révélé une arnaque (il s’agissait d’un projet d’accession au pouvoir). Il y a eu tromperie sur la marchandise. Les slogans « gouvernance sobre et vertueuse », et les promesses de réformes visant à assurer une meilleure indépendance de la justice se sont fracassées sur le mur des réalités. La pratique du pouvoir a révélé une double facette de Macky Sall, dont les propos ne sont jamais en adéquation avec les actes. Le rapport de la commission nationale de réformes des institutions (CNRI) dirigée par le président Amadou Makhtar Mbow qui accordait une place centrale à l’État de droit, l’équilibre des pouvoirs, et à l’indépendance de la justice, a été renvoyé aux calendes grecques. Les procès de Karim Wade et Khalifa Sall, l’instrumentalisation à outrance de la justice, et la tentative d’intimidation des magistrats prouvent que Macky Sall est incapable l’indépendance et la bonne administration de la justice. « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution cf. l’article 16 de la Déclaration de 1789 ». Dans ce domaine, l’échec de Macky Sall est total.

Aujourd’hui, le débat sur le troisième mandat est relancé par le président du groupe parlementaire, Aymérou Gningue, qui a déclaré que juridiquement Macky Sall peut briguer un 3e mandat. En tant que juriste, comment approuvez-vous une telle déclaration qui suscite plusieurs commentaires ?

L’article 27 de la Constitution (Loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016) est extrêmement clair : « La durée du mandat du président de la République est de cinq (05) ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Il suffit simplement de donner la définition du terme consécutif. En français, consécutif signifie « qui se suit, sans interruption ». Autrement dit, il est impossible pour un président de faire plus de deux mandats qui se suivent sans interruption. Le terme consécutif s’attache à la personne (la durée n’a aucune espèce d’importance).

  • 2012- 2019 : Macky Sall – (1er prestation de serment devant le CC)
  • 2019- 2024 : Macky Sall – (2e prestation de serment devant le CC)

Pour Macky Sall, le couperet tombe en 2024 (un horizon indépassable). Il y a une impossibilité juridique de briguer un 3e mandat. C’est clair, net et précis. D’ailleurs, ceux qui agitent la jurisprudence Abdoulaye Wade ou se réfugient derrière l’avis du Conseil constitutionnel de 2016 sont totalement hors sujet pour une raison simple « l’écriture de l’article 27 avant la version de 2016 ne prévoyait pas le terme « consécutif ». Nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs. Faut-il le traduire en patois, ou en swahili ?

Laissons-les s’épancher dans les médias ! Le moment venu, le peuple et tous les démocrates du pays lui feront face (Macky Sall) de manière déterminée, s’il met à exécution son coup d’état constitutionnel.

Votre avis sur la circulaire du Procureur général qui somme à la police et à la gendarmerie de s’abstenir de traiter les litiges de nature civile ou commerciale qui leur seront directement soumis par des justiciables. Et cela dans le but d’éviter que des citoyens puissent être détenus arbitrairement dans ces lieux de privation de liberté.

La circulaire du Procureur général près la Cour d’appel de Dakar va dans le bon sens, mais s’avère insuffisante pour mettre un terme aux humiliations et aux nombreux abus dont sont régulièrement victimes les justiciables (ce phénomène n’est pas nouveau). Au Sénégal, il y a un sentiment d’impunité et de toute puissance des policiers et gendarmes (autoritarisme et abus de pouvoir) qui s’affranchissent des lois et outrepassent leurs compétences. La détention arbitraire et illégale des citoyens pour des broutilles est monnaie courante. S’y ajoute le fait que de nombreux citoyens sénégalais se perdent dans les méandres de l’administration et ne sont pas en mesure de faire valoir leurs droits. En France, la création d’un service unique d’accueil des usagers (sauf) en 2016, offre aux citoyens la possibilité d’accéder à une information fiable et gratuite dans leurs démarches pour toute procédure pénale et civile (accueil physique et numérique). Un dispositif similaire pourrait être mis en place pour assurer plus de protection aux justiciables, contre l’arbitraire.

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