Le modèle du Boa

par pierre Dieme

Chacun étant désormais conscient qu’il y a des interstices juridiques dans lesquels quelques esprits malins pourraient s’engouffrer, on en revient à ces petits espaces d’interprétation qui permettent d’alimenter un débat dont l’échéance est en 2024

En relevant dimanche dernier lors de l’émission Grand Jury diffusée sur les ondes de la radio RFM, que juridiquement le chef de l’Etat avait la possibilité de se présenter en 2024, Aymérou Gningue, président du groupe parlementaire de la majorité Benno Bokk Yaakaar (BBY), était bien loin de lancer un pavé dans la mare comme relevé par certains commentateurs et autres analystes. Il n’y avait là rien de nouveau sous le soleil dès lors que son propos s’inscrivait dans le sillage d’éminents spécialistes du droit qui l’avaient précédé dans cette lecture.

Le 8 octobre 2017, alors qu’il était l’invité de la même émission Grand jury, le Professeur Babacar Guèye, président du Collectif des organisations de la Société civile pour les élections et du Réseau sénégalais des observateurs citoyens, avait très tôt déjà pris le parti d’alerter sur certaines lacunes contenues dans la loi fondamentale.

Fort de son expérience, ce co-rédacteur de la Constitution de 2001 avait averti: «Si nous appliquons la Constitution à la lettre, on peut considérer que le mandat actuel ne fait pas partie du décompte. Ce qui fait que le président Macky Sall, en 2024, peut envisager de briguer un troisième mandat comme l’avait fait le président Wade». Gardant en mémoire les remous occasionnés durant cette période trouble, il relevait que lors de la rédaction de la Constitution révisée du 20 mars 2016, «on a dû oublier certainement de prévoir des dispositions transitoires». Et de poursuivre : «Il fallait ajouter des dispositions transitoires pour prévoir que le mandat en cours fait partie du décompte des deux mandats que l’actuel Président peut avoir».

Toutefois avait-il précisé, il était encore possible de rectifier, de colmater la brèche en procédant à une révision constitutionnelle. Histoire de verrouiller définitivement le débat. Apparemment ce n’est pas l’option choisie, vu que le flou demeure, faisant observer à Seydou Guèye, alors porte-parole du gouvernement, dans un entretien avec Apanews, le 12 mars 2019, que «les marges de manœuvres pour interpréter sont très minces, pratiquement inexistantes.», admettant du même coup leurs possibilités.

Pour rassurer il indiquait : « Le problème qu’on avait connu par le passé, le président Macky Sall y a apporté une réponse en limitant le nombre de mandats, en fixant la durée du mandat du président de la République et en verrouillant un peu la Constitution pour que ces dispositions relatives à l’élection du président de la République soient pratiquement intangibles ». Point de vue partagé par son collègue d’alors, Ismaila Madior Fall, ministre de la justice, qui affirmait le 12 octobre 2017 que : «La Constitution du Sénégal est très claire sur la question du mandat du président de la République et ne laisse place à aucune interprétation sur la possibilité d’un troisième mandat ».

L’article 27 de la Constitution disait-il, dispose : ‘’Le chef de l’État est élu pour un mandat de 5 ans renouvelable une fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs». Mais voilà que près de deux ans plus tard, après l’élection présidentielle, quelque peu sibyllin, Ismaïla Madior Fall, lui-même affirme tout de go dans un entretien accordé au journal l’Enquête du 11 mars 2019 : «Moi je pense que la Constitution est claire.

En principe, c’est le deuxième et dernier mandat du chef de l’État.» Une nuance qui ne semble pas être du goût du Professeur Mounirou Sy qui assure, pour sa part que pour éviter la situation de 2011, le nouvel article 27 a mis l’accent sur la personne et non le mandat, car pense-t-il, le terme « nul » de l’alinéa 2 de l’article 27 permet d’inclure le mandat en cours.

Toutefois, si l’on choisit de faire fi du terrain strictement juridique, il serait bon de rappeler que le chef de l’Etat avait lui-même indiqué de manière extrêmement claire et précise, en français et wolof, que pour lui, la question était entendue parce que nul ne pouvait exercer plus de deux mandats successifs. Une position finalement réitérée sous un autre angle par le président du groupe parlementaire BBY en s’appuyant sur l’histoire propre de son parti.

Ainsi, a-t-il rappelé que sous Wade, au moment où il a été question d’un troisième mandat, Macky Sall et ses compagnons sont entrés en campagne, sillonnant jusqu’aux contrées les plus reculées du pays. Et au bout du compte, le candidat Wade a été battu. Ce qui lui fait dire que : « Au Sénégal, le problème du 3eme mandat ne se pose pas ».

En d’autres termes, le peuple souverain qui décide en dernière instance sait délimiter la ligne rouge à ne pas franchir. En tout état de cause, chacun étant désormais conscient qu’il y a des interstices juridiques dans lesquels quelques esprits malins pourraient s’engouffrer, on en revient à ces petits espaces d’interprétation qui permettent d’alimenter un débat dont l’échéance n’interviendra finalement qu’en 2024.. N’empêche, la seule constante qui demeure, c’est qu’une écrasante majorité est d’avis que les électeurs ne vont pas accepter un troisième mandat, laissant supposer qu’il faut être aveuglé par le pouvoir voire un tantinet suicidaire pour se risquer à affronter le rempart citoyen.

Ce dernier, pas dupe pour un sou, a depuis longtemps épousé ce que le Pr Ibrahima Thioub appelle le «modèle du boa». Tel ce serpent qui capture sa proie, l’avale et s’assoupit, le temps de la digérer avant d’expulser les restes, les citoyens attendent désormais le moment favorable, le jour du scrutin, pour sanctionner positivement ou négativement, comme ils l’ont magistralement démontré à différentes élections présidentielles.

PAR CALAME

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