Téliko, juge ou opposant politique

par pierre Dieme

Je m’étais plu à relever la cohérence ou la logique de l’ex-juge Ibrahima Hamidou Dème, qui a démissionné de la magistrature pour s’investir dans des activités politiques. Il était magistrat, élu même par ses pairs pour être membre du Conseil supérieur de la magistrature (Csm). Mais Ibrahima Hamidou Dème était révulsé par le fonctionnement de certaines institutions judiciaires et s’exprimait publiquement sur ces dysfonctionnements et travers. Il était conscient que l’obligation de réserve et la retenue que lui imposaient ses fonctions de magistrat n’étaient pas compatibles avec une effusion de diatribes contre le système judiciaire à travers les médias. Cela aurait été une violation de son statut de magistrat et surtout aurait procédé d’un discrédit de l’institution judiciaire, avec une circonstance aggravante car ce discrédit serait le fait d’un magistrat en fonction. Ibrahima Hamidou Dème ne pouvait se satisfaire de chercher à changer les choses, tout en respectant les règles de la magistrature, alors il avait choisi de quitter l’institution judiciaire, pour s’engager en politique, dans l’optique de changer le cours de l’histoire. En effet, nous le répétions dans ces colonnes le 24 août 2020, «quand on choisit un sacerdoce, celui d’être un magistrat, mais aussi avec ses honneurs, ses avantages et les protections liées à la fonction, on accepte de s’astreindre à ses règles», à ses sujétions.

Souleymane Téliko, juge ou opposant politique
En août 2017, Souleymane Téliko s’était porté candidat à la présidence de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums), contre le président sortant Maguette Diop. La campagne électorale était âpre mais Souleymane Téliko avait un argument de campagne qui avait fait mouche au sein de la génération des jeunes magistrats. Il présentait son rival comme le «candidat du pouvoir et de la hiérarchie judiciaire». Souleymane Téliko pourfendait publiquement Maguette Diop qu’il affublait du sobriquet de «candidat de  Macky Sall» qui chercherait à avoir une mainmise sur les organes dirigeants de l’Ums, notamment dans le contexte de la perspective de l’élection présidentielle de 2019. Maguette Diop en avait profondément souffert. Seulement, une question à mille balles : si Maguette Diop était le candidat du pouvoir, Téliko était-il le candidat de l’opposition ? Il avait le jour du vote, mis à profit le temps de parole alloué à chaque candidat à la présidence de l’Ums, pour pousser la perfidie jusqu’à traiter devant tous les magistrats du Sénégal, le juge Maguette Diop de «candidat de la coalition Benno bokk yaakaar». Souleymane Teliko était-il alors le candidat de la coalition Wattu Senegal ou de la coalition Manko Taxawu Sénégal ou de Pasteef ?


Depuis son élection à la tête de l’Ums, Souleymane Téliko s’illustre par des prises de position publiques systématiquement aux antipodes des actions du régime de Macky Sall. Aucun acte posé par Macky Sall n’a pu trouver grâce à ses yeux, du moins le public n’est jamais informé des bonnes actions de Macky Sall en direction des magistrats. Quand par exemple, Macky Sall octroie des lots de terrains aux magistrats, ou dé-fiscalise certaines indemnités pour les magistrats, comme l’indemnité de judicature, ou leur accorde des indemnités de logement substantielles -plus que les autres catégories de fonctionnaires- ou octroie une subvention financière à l’Ums, aucun organe de média n’est informé de cela. L’Ums communique exclusivement à l’interne sur ces «acquis» octroyés par le régime de Macky Sall et prescrit à ses membres de ne pas ébruiter de telles «conquêtes obtenues par le Bureau de l’Ums». A l’opposé, l’Ums choisit d’étaler sur la place publique ses situations de frustration ou d’insatisfaction. Où se trouve l’élégance dans cette façon de faire ?


Le juge Souleymane Téliko s’autorise de sortir allègrement de son domaine de compétence pour exprimer des positions publiques sur des questions éminemment politiques. Qu’est-ce qu’un magistrat de l’ordre judiciaire a-t-il à voir dans le débat sur le bien-fondé du parrainage institué pour les candidatures à l’élection présidentielle ? Souleymane Teliko s’était permis, le 2 janvier 2019, de se prononcer sur le système de parrainage alors qu’il était l’invité du Grand oral de l’Agence de presse africaine (Apa). Souleymane Téliko s’est également autorisé à jouer au justicier politique en fustigeant l’annonce par Mouhamed Boun Abdallah Dionne, Premier ministre et Directeur de campagne du candidat Macky Sall, des projections donnant vainqueur avec un score de 57% des suffrages de son candidat, le soir du scrutin du 24 février 2019. Le 25 février 2019, Souleymane Téliko a pris la parole, dans la plupart des médias, pour dire : «Personne, à part la Commission nationale de recensement des votes, n’a le droit de donner des résultats.» De quoi un juge, respectant la retenue et l’obligation de réserve, se mêlerait-il d’un tel débat ? On a vu, en mars 2020, Souleymane Teliko voler au secours de l’activiste Guy Marius Sagna, arrêté pour avoir attaqué le Palais présidentiel et des gendarmes assurant la sécurité des lieux.


Le juge SouleymaneTéliko se met ainsi dans une posture de chercher à gêner, sur toutes les questions, le régime du Président Macky Sall. C’est ainsi qu’il s’est permis, le 12 juillet 2020, de pointer sur les plateaux de télévison, des erreurs de procédure ou de jugement dans le traitement judiciaire de l’affaire Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, condamné pour prévarication de deniers publics. Voilà un magistrat qui attaque publiquement une décision judiciaire ayant acquis «l’autorité de la chose jugée» ! Voilà un magistrat qui jette le discrédit sur ses pairs ayant rendu la décision ! L’expérience des cours et tribunaux nous a permis de mesurer combien d’erreurs ou de fautes judiciaires le juge Téliko a-t-il eu à commettre durant sa jeune carrière ? Ce parangon de vertu a vu certaines de ses décisions gravement «retoquées», jusqu’à être dessaisi par la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar par exemple, de dossiers d’instruction dans le traitement desquels il a eu une posture fort suspecte. Suprême humiliation pour un juge d’instruction !


En outre, au sortir de délibérations du Conseil supérieur de la magistrature, organe où il siège comme membre élu par ses pairs, Souleymane Téliko fait systématiquement le compte rendu des délibérations à travers les médias. N’est-ce pas une violation récurrente du secret des délibérations ? Dans l’affaire de la mutation du juge Ngor Diop du Tribunal d’Instance de Podor vers la Cour d’appel de Thiès, Souleymane Teliko s’est permis de faire la leçon publiquement à ses collègues magistrats, membres du Csm, qui auraient «manqué de vigilance et pas assez défendu les intérêts de leur collègue muté». Les magistrats membres du Csm apprécieront cette outrecuidance.

Un juge faiseur de loi
Un juge en fonction n’a pas pour rôle de déterminer la politique pénale d’un Etat encore moins se transformer en législateur. De telles missions incombent à d’autres institutions politiques publiques. Les juges ont pour mission d’appliquer la loi de la République, adoptée dans les formes régulières. Mais Souleymane Teliko semble n’en avoir cure. Il a pris position publiquement, en mars dernier, pour fustiger une loi criminalisant le viol. Les organes de défense des droits des femmes ou les victimes, sont en droit de récuser un juge qui pourfend la loi.
Le juge Teliko avait eu à prononcer le discours d’usage de la rentrée des Cours et tribunaux en janvier 2013. Il disséquait la question de la criminalité économique dans le contexte de la traque des biens mal acquis. L’occasion lui avait permis de faire des propositions intéressantes sur la charge de la preuve et la nécessité d’instaurer, entre autres, un double degré de juridiction. Nous avions, dans ces colonnes, adopté les mêmes positions. Il faut dire que le lieu et les circonstances s’y prêtaient pour le juge Teliko, pour susciter un débat technique, scientifique, devant un cénacle de professionnels de la justice, car cette cérémonie constitue une instance appropriée. Néanmoins, il est curieux que Souleymane Teliko veuille continuer à porter en bandoulière et avec insistance, de telles préoccupations, des années après, sur les plateaux de télévision comme lors de sa dernière sortie du 12 juillet 2020 sur les affaires Karim Wade et Khalifa Ababacar Sall. Souleymane Teliko a aussi estimé que la Cour de justice de la Cedeao avait relevé la violation des droits de Khalifa Sall à l’enquête préliminaire. Soit ! Mais il s’est bien gardé de relever que la Cour d’appel de Dakar avait déjà tiré les conséquences de cet arrêt de la Cour de la Cedeao pour annuler les procès-verbaux de l’enquête préliminaire. C’est la bonne preuve d’un système judiciaire qui fonctionne bien ! Pourquoi l’honnêteté emblématique du juge n’a-t-elle pas permis à Souleymane Teliko de relever cet aspect des choses ? Il ne corrigera sa déclaration qu’après son audition, le vendredi 18 septembre 2020, devant l’Inspection générale de l’administration de la justice (Igaj) ? Il faut dire que l’affaire Khalifa Sall semble tenir à cœur Souleymane Teliko. Ce juge avait rangé toutes ses propres instances dans les tiroirs, pour être un abonné fidèle aux bancs du public du procès Khalifa Sall. Tous les jours, il était assis avec les militants de l’opposition pour suivre le procès. Allez savoir pour quelles raisons ?

Pour autant, Teliko ne devrait pas être une victime expiatoire
Dans les milieux judiciaires, ils sont nombreux les magistrats à se demander ce qui empêcherait Souleymane Teliko de faire les précisions nécessaires à l’endroit des journalistes qui l’interrogent sur les radios et les télévisions et qui le présentent souvent comme le patron de la compagnie judiciaire ou le chef de la magistrature. Quand certains magistrats ont eu à apostropher Souleymane Teliko sur cette usurpation de qualité ou de titre, il leur a répondu que c’est du fait simplement de l’ignorance des journalistes. Soit ! Mais pour autant, a-t-il jamais cherché à les corriger, pour bien renseigner ces pauvres journalistes ?
Des magistrats s’interrogent également sur l’avenir citoyen de Souleymane Teliko, ll a déjà pris le soin de s’occuper de sa nationalité guinéenne que lui confèrent ses parents. Pour quel projet ? Peut-on avoir une double loyauté ? En tout cas, la Magistrature sénégalaise a connu des cas de citoyens guinéens, ayant exercé de hautes responsabilités judiciaires au Sénégal et qui ont fini par retourner, non sans un certain fracas, en Guinée pour y occuper de hautes fonctions.
Au demeurant, on ne saurait préjuger des résultats de l’enquête ouverte contre Souleymane Teliko par l’Igaj mais il convient de souligner que pas moins de cinq dossiers d’enquête de l’Igaj, ayant conclu à la traduction de magistrats devant le Conseil de discipline pour des faits très graves, dorment encore dans les tiroirs de la chancellerie. Il ne saurait être équitable que le juge Teliko soit la seule victime expiatoire des turpitudes au sein de la Magistrature sénégalaise. Des personnes d’horizons divers cherchent à jouer aux sapeurs-pompiers ou pour essayer de jouer aux bons offices pour stopper l’enquête de l’Igaj contre le juge Teliko. Seulement on se demande bien où étaient ces personnes pendant toutes ces longues années de dérives et de provocation ?

PAR MADIAMBAL DIAGNE

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