Jamais la souffrance des masses populaires, auxquelles on a pourtant promis l’émergence, n’aura atteint de tels sommets dans notre pays ! Et jamais les ténors de la République, persuadés des vertus du riz comme remède universel à toutes leurs équations politiques, n’auront fait montre de si peu d’empathie à l’endroit de nos populations empêtrées dans la boue et les eaux sales !
Sans vouloir accabler nos décideurs officiels, on ne peut s’empêcher de faire le lien entre les eaux boueuses (et verdâtres) de certains quartiers de la banlieue et cette stratégie permanente de brouillage de cartes, qui constitue la marque de fabrique de la méga-coalition gouvernementale.
Il est vrai que les calamités successives qui se sont abattues sur notre pays, ces derniers mois, relèvent originellement de causes naturelles : sanitaires pour le cas de la pandémie de Covid-19 ou climatiques pour ce qui est de l’excès de pluviométrie. Mais cela n’en dédouane pas pour autant les leaders du Yakaar avorté, champions de l’autoglorification et si prompts à se défausser sur les phénomènes naturels ou la volonté divine.
C’est bien leur gestion spoliatrice, erratique, antidémocratique, voire discrétionnaire des politiques publiques dans un contexte de mal-gouvernance caractérisée, qui contribue à amplifier les préjudices subis par les citoyens. Il s’y greffe des inégalités sociales criantes, qui pénalisent encore davantage la veuve, l’orphelin et tous les ménages aux revenus modestes, c’est à dire l’écrasante majorité des Sénégalais.
Concernant, par exemple la Covid-19, les citoyens sont désormais laissés à eux-mêmes, contraints de s’en remettre aux seules mesures barrières. On ne peut manquer de noter une restriction drastique de l’accès au dépistage, de plus en plus mercantilisé, ce qui complique énormément l’identification rapide des cas et le traçage exhaustif des contacts.
Pour ce qui est des inondations, elles résultent, d’abord, du déficit d’ouvrages de drainage, censés évacuer les eaux pluviales, même en cas de pluviométrie abondante, hors de tout contexte d’ouragan, de cyclone ou de pluies torrentielles. C’est ce qui fait dire aux experts que ce qui est en cause dans cette problématique, c’est plutôt le laxisme des autorités en charge de la police de l’urbanisme. C’est leur laisser-aller qui a permis à de nombreux chefs de famille de construire leurs maisons dans des zones non aedificandi, susceptibles d’être inondées.
Face à ces constats tangibles et basés sur des évidences scientifiques, il peut paraître incongru d’entendre le premier magistrat d’une nation, qui vient de boucler ses 60 ans d’existence, évoquer le changement climatique, prédire même des catastrophes dans un futur plus ou moins proche, au lieu de faire amende honorable.
En réalité, le gouvernement sénégalais, en plus de porter la responsabilité politique de cette catastrophe, pourrait même être considéré comme coupable, car ayant initié, sans étude sérieuse d’impact environnemental, de grands travaux, dont le TER, qui constitue un cas d’école de tout ce qu’il ne faut pas faire en matière de bonne gouvernance.
Les inondations de cette année, leur magnitude et le fait qu’elles viennent couronner des décennies de gestion erratique des politiques publiques nationales ne sont pas sans rappeler le drame du bateau « Le Joola », en raison de toutes les souffrances humaines immédiates et différées, qu’elles ont déclenchées.
On se rappelle, qu’à l’époque, d’éminentes personnalités gouvernementales avaient dû rendre le tablier, même si en fin de compte, le droit n’avait pas été dit jusqu’au bout, les pouvoirs publics ayant « piégé » les familles de victimes avec des simulacres de dédommagements forfaitaires, sans commune mesure avec les préjudices subis.
C’est dire que personne ne comprendrait qu’on puisse, concernant les conséquences du déluge du 5 septembre dernier, occulter le plan décennal de lutte contre les inondations, qui en est à sa huitième année d’exécution.
C’est pour cela qu’aucune formation politique sérieuse ne devrait se limiter à exprimer de la compassion aux victimes et à faire appel à la solidarité nationale. Il s’agit plutôt de situer les responsabilités du pouvoir actuel dans les dysfonctionnements notés.
C’est l’occasion, plus que jamais, pour l’Assemblée Nationale, en ces moments de désespoir populaire accentué par les conséquences sanitaires et économiques de la pandémie de Covid-19, de traiter de la redevabilité des ministres, hauts fonctionnaires et élus à tous les niveaux. Le parlement devra se pencher sur la possibilité de les limoger ou de les révoquer, en cas de fautes lourdes et d’initier des procédures judiciaires à leur encontre, le cas échéant.
Voilà le genre de débats qui devraient agiter le landerneau politique et non pas des palabres oiseuses sur le chef de l’opposition ou l’élection au suffrage universel des maires, vidant la vie politique de notre pays de toute sa substance et ne nous faisant entrevoir aucune perspective d’alternative civile et démocratique, telle que l’avaient préconisé les Assises Nationales.
Cela contribuerait à rendre sa dignité à la fonction politique et aiderait au bon fonctionnement de la démocratie mise à mal par une gouvernance tyrannique et tortueuse.
Nioxor Tine