Pendant que les fonctionnaires membres du parti au pouvoir ont droit à tous les privilèges sans trop se fatiguer, ceux militant dans l’opposition ou qui ont choisi de s’éloigner de la chose politique doivent tirer la langue pour avancer
Etre fonctionnaire et militer dans un parti de l’opposition, estime ce fonctionnaire membre de l’opposition, c’est renoncer à tout poste nominatif, c’est aussi renoncer à toute sorte de privilège. ‘’Par exemple, fait-il remarquer, quand vous êtes du pouvoir, vous pouvez vous permettre de rater des heures de travail, aller vous occuper de vos activités politiques, sans que cela n’apparaisse dans vos fiches de notation. Mais quand vous êtes de l’opposition, je ne parle pas d’activité politique, mais à la moindre occasion, cela peut déteindre sur votre notation. Mieux, vous avez vu des gens qui ont été épinglés par différents corps de contrôle, mais il n’y a aucune poursuite contre eux, simplement parce qu’ils sont membres du parti au pouvoir. C’est cela le problème fondamental. Les sanctions, positives ou négatives, sont parfois appliquées selon que vous êtes de l’opposition ou du pouvoir’’.
A la Direction générale des impôts et des domaines (DGID), la motivation de certains agents est de plus en plus affectée. Selon notre interlocuteur, les dernières affectations n’en finissent pas d’indisposer les plus puristes. ‘’Certaines sont à la limite ridicules. Elles ont fait beaucoup jaser. Ni le parcours professionnel des intéressés, ni leur ancienneté, ni leurs compétences ne permettent de les mettre à ces postes. Il faut savoir que la carrière, c’est trois choses : compétence professionnelle, probité et ancienneté. Certains ont été promus à des postes de chefs de centre ou de direction, alors qu’ils n’ont ni brillé ; ils ne sont pas non plus des travailleurs reconnus comme tels par leur assiduité, leur ponctualité et leur dévouement au travail. Ils ne sont pas non plus d’une probité éprouvée. De telles nominations ont fini de démotiver complètement certains agents’’, raconte notre interlocuteur.
Le risque qui a commencé déjà à se faire sentir, c’est que ces derniers ne donnent plus le meilleur d’eux-mêmes. Ils ne se donnent que pour être quitte avec leur conscience, mais pas par motivation de percer dans le système dans lequel ils évoluent. ‘’Quand on en arrive à ne plus récompenser le mérite, plus personne ne cherche à être méritant. Quand on cherche à être méritant, c’est pour avoir la reconnaissance de ses pairs, de ses supérieurs. Quand on fait des heures supplémentaires, quand on travaille durement, et passer notre temps à faire des recherches, à persévérer dans la probité et la morale dans l’exercice de nos fonctions, c’est parce qu’on veut avoir une carrière honorable dans cette Administration’’, fulmine-t-il.
Mais au lieu d’être récompensés pour leurs efforts et performances, certains doivent souffrir de voir des camarades qui s’absentent le plus pour des raisons politiciennes, qui sont cités dans des scandales, être promus, simplement, parce qu’ils sont membres du parti au pouvoir. Plus qu’une simple affaire de rémunération, ce qui est en jeu, c’est surtout l’épanouissement des agents en question, renseigne notre interlocuteur.
De ce fait, ils sont nombreux, les agents, à être sur le départ et qui n’attendent que de bonnes opportunités. L’année dernière, entre le Trésor et les Impôts, 14 personnes ont passé le concours de la Cour des comptes pour quitter cette Administration d’élite. ‘’Je connais, clame le fonctionnaire, deux brillants inspecteurs du Trésor qui ont réussi à ce concours et qui ont quitté. Ces compétences, le Trésor en avait besoin. Ce sont des gens qui ont été formés pour servir au Trésor. Aux Impôts, je connais au moins 4 ou 5 personnes qui ont tenté le concours, mais qui n’ont pas réussi. Cette année encore, des camarades se sont présentés, parce qu’ils ne sentent plus un avenir professionnel quelconque qui puisse être bâti sur la base de leur sérieux, de leurs compétences et de leur abnégation au travail’’.
Nécessité de faire revenir le mérite
Malgré tout, il existe encore des agents aguerris qui, pour rien au monde, ne vont changer de cap. Fort heureusement, ils sont encore nombreux qui, malgré les difficultés imposées par ce système inique, tiennent bon. Il déclare : ‘’C’est des principes de vie. Il y a des personnes qui ne peuvent pas toucher à l’argent illicite. Moi, ça fait longtemps que j’ai réglé ce problème à mon niveau. Toute ma vie, je ne me suis jamais inscrit dans une logique de carrière dans l’Administration. Je tiens foncièrement à ma liberté. C’est pourquoi je n’ai jamais voulu être le poulain de qui que ce soit ; je n’ai pas eu besoin d’avoir un mentor. J’ai toujours voulu compter sur mes propres compétences, ma probité et mes compétences professionnelles pour avancer. Je ne fais rien de particulier pour booster ma carrière ou obtenir des nominations. Je suis un agent à la disposition de l’Administration. C’est ainsi que je conçois les choses.’’
Le problème, selon lui, c’est moins l’engagement politique des fonctionnaires. Mais c’est plutôt le fait de confier des postes à des personnes, juste parce qu’elles appartiennent au pouvoir. L’engagement politique, estime-t-il, ne doit pas être une cause d’exclusion pour ceux qui sont méritants et qui en veulent. Si quelqu’un a le profil pour être DG d’une boite, ce n’est pas parce qu’il est politique qu’on doit l’exclure. ‘’L’essentiel, pour moi, c’est de neutraliser l’accès à ces postes. L’engagement politique ne doit être ni handicapant ni favorisant. Que tous les postes de direction soient mis en compétition. Que l’on soit de l’opposition ou du pouvoir, on pourra compétir. Et cette personne ne se sentira pas redevable devant qui que ce soit. Et elle n’est pas protégée parce qu’elle a une base politique’’, a-t-il plaidé.
Embouchant la même trompette, l’inspecteur du travail Abdou Fouta Diakhoumpa estime qu’il y a lieu de revoir les choses et que, pour certains postes, il faut recourir à une compétition. ‘’J’ai toujours proposé que pour les hautes fonctions, il faut un appel à candidatures, comme font les organismes internationaux. Si on veut changer les choses, il faut modifier la Constitution et exiger l’appel à candidatures pour ces hautes fonctions. Ainsi, on va créer un comité de sélection qui soit neutre. Les membres doivent être nommés par leurs pairs. Il n’y a que ça qui puisse rétablir l’ordre. Tant qu’on donne à un homme, il nommera toujours ses proches’’.
En sus de promouvoir la compétence, de garantir l’égalité entre les agents, l’appel à candidatures est aussi gage de légitimité pour ceux qui en sortent vainqueurs. Pour illustrer son propos, Diakhoumpa invoque le cas du directeur général de l’Agence de développement municipal Cheikh Issa Sall, un magistrat de la Cour des comptes qui a mis en place un mouvement de soutien pour accompagner le président de la République. ‘’Quelque répréhensible soit son acte du fait de son statut de magistrat, on ne peut lui reprocher d’avoir été privilégié. Il a été recruté suite à une sélection’’.