Mbissel, localité située dans l’arrondissement de Fimela, département de Fatick, a été la première capitale du Sine. C’est un village mythique et mystique habité par les Sérères durant leur périple au 11ème siècle
Mbissel est considéré comme le premier village tracé (fissel) du Sine. Cette localité, située dans l’arrondissement de Fimela, département de Fatick, a été aussi la première capitale du Sine. Il est un village mythique et mystique où est née la royauté du Sine entre les 11èmeet 12èmesiècles.
A partir du pont qui surplombe le Mama Nguedj (lagunede Joal), on emprunte la route qui mène à Mbissel. «Mama Nguedj» est ce bras de mer chanté par le poète-président, Léopold Sédar Senghor, dans ses poèmes. En dépassant cette lagune, on traverse un paysage rural pittoresque. En cette période d’hivernage, on contemple, à partir du véhicule, la beauté de la verdure, les champs de mil, d’arachide, un paysage dominé par des rôniers, à perte de vue.
Les villages de Ndiarogne, Diyabougou, Fadjal défilent sous nos yeux avant Mbissel. Après la localité de Fadjal, une plaque piquée non loin de la route reliant Joal à Fimela indique la direction de «Mbissel, un village historique». Ce dernier se situe à quelques centaines de mètres de la route goudronnée. A Mbissel, les constructions en dur côtoient les cases en paille. Malgré l’ouverture au modernisme, Mbissel est restée profondément fidèle à son histoire ancestrale. De petites ruelles séparent les maisons. À la place publique du village, de jeunes filles jouent au handball sur le sable fin. L’arbre à palabre, un baobab géant aux contreforts s’étalant sur une dizaine de mètres, trône, majestueux. C’est sous cet arbre où se réunissent les hommes du village pour les causeries, les grandes rencontres traditionnelles, précise François Sène, conservateur du mausolée de Meissa Waly Dione Mané. Ce baobab sacré est le témoin d’un pan entier de l’histoire multiséculaire du Sine.
Fondé avant l’arrivée de Meissa Waly
En évoquant Mbissel, on pense au roi venu du Gaabou Mansa Waly Mané appelé par les populations du Sine par Meissa Waly Dione Mané. Le nom du village est intimement lié à l’histoire de ce souverain. Cependant, selon le chef du village, Maliam Sagne, Mbissel a été fondé bien avant l’épopée de Meissa Waly Mané. Le souverain, ayant quitté le Gaabou, actuelle Guinée-Bissau, a trouvé sur place un village déjà habité par les Sérères, une ethnie bien implantée dans le Sine-Saloum. La soixantaine, Maliam Sagne indique que Mbissel est le premier village sérère installé dans le Sine vers le 11ème siècle. Rien que son appellation Mbissel, qui, selon lui, vient du verbe Fiss (tracer en sérère), renvoie au premier tracé dans le Sine. Ce qui lui fait dire que le premier peuplement du Sine s’est fait à partir de Mbissel. Cette version du patriarche est confirmée par le conservateur du mausolée de Meissa Waly Mané. D’après François Sène, le premier Sérère qui a tracé le village de Mbissel est venu du Gaabou, en Guinée-Bissau, comme Mansa Waly Dione Mané. D’après sa version, auparavant, dans son long voyage, depuis l’Egypte, il était accompagné de son cousin peulh. Arrivés au Fouta, le Peulh a décidé d’y rester. En revanche, le Sérère a continué son périple jusqu’à trouver un endroit plus convenable. Il a marché jusqu’au lieu qui abrite aujourd’hui le village historique de Mbissel, raconte François Sène.
Le nom montre que ce village est le premier habité par les Sérères durant leur périple, renchérit le Grand Djaraf du Sine, Ndoupe Ngom, descendant du Lamane Diamé Ngom Fadial. «C’est le premier village sérère du Sine qui a été fondé au temps des guerres tribales. Un village très difficile d’accès pour les étrangers parce qu’il y avait un pouvoir mystique très fort. Les Sérères venaient de partout pour se réfugier à Mbissel parce qu’ils y avaient la paix. En temps de guerre, si tu rentrais à Mbissel, tu pouvais avoir l’esprit tranquille», narre le vieux François Sène, la croix autour du cou.
Toutefois, le chercheur Mamadou Faye, spécialiste de l’histoire du Sine, apporte une nuance. Pour le responsable de l’alphabétisation à l’inspection d’académie de Fatick, ce qui est sûr, c’est que Mbissel fait partie des plus anciens villages du Sine. «Je ne peux pas dire que Mbissel est le village le plus ancien du Sine, car il y a plusieurs villages anciens comme Sagne Folo fondé par des mandingues ou Ndiacaneme», précise M. Faye. Mbissel est communément appelé «sax maak» (le grand village). Ce n’est pas «sax maak» du fait de sa superficie ou de l’importance de sa population, mais parce que c’est le premier village sérère, ajoute Maliam Sagne. Aucune date précise sur la création du village n’a été donnée. Ce qui est sûr, indique François Sène, c’est que ce village a été fondé entre le 11ème et le 12ème siècle par l’aristocratie des Guelwars. Ceux-ci ont régné dans le Sine pendant plusieurs siècles.
«Sax maak»
Par ailleurs, les habitants restent fiers du passé glorieux de ce petit village situé dans la commune de Fimela. Pour François Sène, tout est parti de Mbissel. Du peuplement sérère à la mise en place d’un grand royaume qui contrôlait toute la contrée du Sine. Mbissel a été le point de départ. Pendant plusieurs années, le «Maad a Sinig» (roi du Sine) était intronisé dans cette localité. Même après le transfert de la capitale de Mbissel vers d’autres localités du Sine, le nouveau roi passait au village sacré après son intronisation pour une autre préparation mystique, souligne M. Sène. Il venait avec un bœuf qu’il égorgeait devant le mausolée du père fondateur du royaume du Sine, Mansa Waly Dione Mané. Le sang qui jaillissait de la bête était utilisé pour faire des offrandes afin de fortifier mystiquement le nouveau souverain, de lui donner la force, le courage et les pouvoirs qu’avait le premier roi du Sine, explique M. Sène. Ce cérémonial justifie, à son avis, la place du village historique de Mbissel dans l’histoire du monde sérère.
Parti d’une seule maison appelée «Mbinetokk », Mbissel s’est agrandi au fil des années. Aujourd’hui, informe le chef du village, Maliam Sagne, il compte plus de 80 maisons pour 787 habitants. «95 % de la population est constitué de catholiques», précise-t-il. Du fait de son passé, Mbissel est un site d’attraction touristique. Le mausolée du premier roi du Sine, Meissa Waly Mané, accueille régulièrement des touristes venus de partout à travers le Sénégal et le monde. Des Sérères quittent tous les coins du Sine et du Saloum pour venir se recueillir et faire des libations devant la tombe de Meissa Waly Dione Mané. Mbissel garde jalousement sa tradition. Tous les lundis et jeudis, le conservateur François Sène fait des sacrifices devant le mausolée de Mansa pour entrer en contact avec les esprits. Pour lui, le génie tutélaire du village se trouve dans ces lieux. Le village s’ouvre aussi au reste du pays. Avec la construction de l’axe Joal-Sambadia, il est désenclavé et désormais facile d’accès.
Mbissel, un village mystiquement fermé aux brigands
Selon une croyance très répandue, toute autorité qui met les pieds dans le village de Mbissel perd automatiquement son poste. Le chef du village, Maliam Sagne, et le conservateur du mausolée de Meissa Waly Dione Mané ont tenu à apporter des précisions contre ce qu’ils qualifient de «fausses interprétations» de l’histoire de ce village. Ils ne souhaitent plus que l’image de ce village soit écornée. Habités pendant très longtemps par des Guelwars, dont le premier roi Meissa Waly Dione Mané, le village était mystiquement fermé à tout envahisseur. Il était une terre hostile aux brigands, protégée contre les chasseurs d’esclaves, les invasions peuls. Même pendant la colonisation, les brigands n’osaient entrer à Mbissel sous peine de représailles mystiques. «Mystiquement, le village était inaccessible aux pilleurs et autres envahisseurs. C’était une réalité, c’est pourquoi personne n’osait enrôler un fils de Mbissel dans l’armée parce que nos aïeuls avaient protégé tout le monde contre l’enrôlement militaire forcé lors de la colonisation», raconte le chef du village.
A l’époque des royautés, aucun roi, à califourchon sur son cheval, n’osait mettre les pieds à Mbissel. Les membres de la cour royale, qui faisaient des rondes dans les villages pour réclamer des bœufs, des moutons, des chèvres au nom du roi, n’osaient pas venir à Mbissel. Le village était mystiquement fermé. Il était un lieu sûr où les habitants ne pouvaient subir aucune attaque extérieure.
Ouverture au reste du monde
Cette époque est aujourd’hui révolue. Nous ne sommes plus à l’ère de la royauté ou de la colonisation. Depuis l’indépendance, une nouvelle page est ouverte à Mbissel. «Quand les temps ont vraiment changé, les vieux nous ont expliqué pourquoi Mbissel s’était barricadé. C’était simplement pour être à l’abri des brigands, des esclavagistes. Aujourd’hui, le sous-préfet, les gendarmes et les autorités ont le droit de venir à Mbissel s’ils ont de bonnes intentions pour le village. Celui qui risque gros est celui qui veut semer le trouble dans le village. Mbissel est donc depuis très longtemps ouvert à tout le monde, même aux personnes qui ont une responsabilité publique», réitère Maliam Sagne. Pour lui, cette «fermeture a entrainé un léger retard dans le développement de la localité parce que les autorités évitaient d’amener à Mbissel des projets à cause de cette croyance tenace».
Pour François Sène, il y a beaucoup de désinformations sur Mbissel. «Cela nous fait mal. Dire que toute autorité qui entre ici perd sa place, ce n’est pas vrai. Bon nombre d’autorités, surtout politiques, croient toujours à cela et évitent d’entrer à Mbissel», dénonce le conservateur du mausolée de Meissa Waly Dione Mané. Le village est victime de son passé glorieux de terre d’hommes insoumis. Malgré son ancienneté, le rôle et la place qu’il occupe dans l’histoire de la royauté du Sine, Mbissel est resté pendant plusieurs décennies après l’indépendance sans électricité. Aucune réalisation majeure n’a été faite pour lui redonner son lustre d’antan. Finalement, dit François Sène, c’est sous le magistère du Président de la République, Macky Sall, que le village historique de Mbissel a eu de l’électricité. Ses fils regagnent de plus en plus les rangs de l’armée sénégalaise. Cependant, les secrets de «sax maak» restent jalousement gardés par les habitants. «Les secrets sont toujours là, mais nos parents ne veulent plus nous laisser les divulguer, car, de nos jours, les hommes ne peuvent plus garder un secret. Ils vont tout révéler sur la place publique », dit, avec un brin d’humour, Maliam Sagne.
Oumar Kandé et Aliou Ngamby Ndiaye