Lettre ouverte au President Akufu-Addo, President Cedeao

par Dakar Matin

De grâce, pensez aussi au Sénégal ! Par Adama Gaye* Que vous ne soyez pas suffisamment averti ni alerté sur le risque potentiel, vraie étincelle sur une poudrière ouest-africaine, qu’est le Sénégal, ne me surprendrait pas tant notre pays renvoie à l’image d’une terre paradisiaque, sans problèmes. Pourquoi vous en préoccuper dès lors à la lumière de la multitude d’enjeux autrement plus saillants et brûlants que vous découvrez, ou dont vous mesurez l’ampleur, en prenant les charges de nouveau patron du plus important organe de décision de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), sa conférence des chefs d’états et de gouverneurs. Vous demander d’ajouter le dossier sénégalais sur votre déjà chargée assiette de sujets à résoudre, c’est donc presque vous inviter à trouver une solution à ce qui n’est pas loin d’être une quadrature du cercle, insoluble… Votre arrivée à la tête de la Cedeao, en qualité de Président en exercice, est cependant un motif d’ultime espoir de la voir enfin se tourner, pour s’y consacrer, vers les enjeux qui troublent le sommeil des plus de 300 millions de citoyens de ses 15 pays membres.

Tous, ou presque, ont poussé un ouf de soulagement en apprenant lundi 7 septembre que vos pairs réunis à Niamey (Niger), pour le 57eme sommet de l’organisation, vous ont choisi pour en diriger, au moins pendant une année, son instance suprême. Ils craignaient le pire et pensent que votre désignation est celle du moindre mal. C’est la raison du mince filet d’optimisme qui se dégage autour d’elle, réduisant ce lourd sentiment de défiance voire ce rejet à son encontre que son action suscite auprès des populations ouest-africaines de plus en plus suspectes la concernant. C’est dire que votre première mission, herculéenne, est alors de la recoller aux pulsions de ses clients, les peuples de la région, afin d’arrêter cette irrémédiable césure qui n’a cessé de se creuser avec eux.

C’est d’un brutal divorce qu’il s’agit si bien que plus personne ne lui fait confidence et tous la regardent du coin de l’œil, dents serrées, ne la voyant qu’en coquille vide, ronronnant et au service de la fatuité des chefs d’Etats des pays ouest-africains. Malgré l’estime qu’ils vous portent, en reconnaissance de vos talents d’orateur hors pair, d’avocat émérite et d’héritier d’une des plus grandes familles politiques du Ghana, avec un père considéré comme l’un des 5 héros à l’origine de son indépendance, en plus d’être un Nana, un grand prince de la richissime ethnie Ashanti, nul ne doute cependant que vous devrez faire des efforts surhumains pour réussir cette première mission. Le fossé est trop grand en effet et la récente crise malienne l’a confirmé.

Jamais le mépris de la Cedeao n’a en effet paru aussi évident. Sa rupture d’avec les peuples si profonde. Pire, elle a été humiliée par les forces vives de ce pays en rébellion ouverte contre un pouvoir officiel autiste que les dirigeants et le médiateur de la Cedeao ont tout fait pour sauver. L’armée malienne, à la rescousse de ce qui semblait être une insurrection populaire, a mis fin à la farce en renversant le 18 août l’ex-président Ibrahim Boubacar Keita juste pour que vous vous rendiez enfin compte qu’il était corrompu, népotique, antidémocratique. On s’attendait que la Cedeao tire les leçons d’un tel pied de nez, insulte à sa prétention à être considéré comme la force d’équilibre de la région. On priait qu’elle réalise l’urgence de faire amende honorable, de se ressaisir afin de comprendre les raisons de ce coup de torchon salué par la rue malienne pendant qu’elle éconduisait les plénipotentiaires de la Cedeao dont des chefs d’états représentant des pays parmi les plus puissants de la région. Vous en étiez.

Vous auriez dû donc apprendre de ce revers cinglant. Or, depuis lors, par ses décisions excessives et sa posture décalée, alignant sanctions économiques insoutenables et oukases sur les conditions spartiates, sur une durée d’un an, de la transition pour un retour à un ordre constitutionnel normal, sous un leadership civil, la Cedeao n’en finit pas de dérouter les fins diplomates et observateurs de la région, et davantage le peuple malien, sur son inflexibilité quasi immature. Ce faisant, sa pertinence a se poser en protagoniste, arbitre respecté, s’effiloche de jour en jour: elle est devenue une grande partie du problème malien au lieu d’apparaître comme un passage obligé de sa solution. C’est vous dire, Monsieur le Président, qu’en commençant par l’impasse malienne causée par la cécité et le refus de la Cedeao de s’adapter aux réalités d’un terrain plus compliqué que ses textes ne le prévoient, l’organisation dont vous tenez les rênes n’est pas loin de se ridiculiser.

Les anglophones la traiteraient de laughing stock, de la dérider en bloc de farces… Saurez-vous faire jouer vos talents de diplomate, puisqu’avant la magistrature suprême, vous fûtes le ministre des affaires étrangères de votre pays, maîtrisant l’anglais et le français et qui impressionnait ses interlocuteurs partout où vous passiez? Ce n’est pas le seul défi qui souligne la gravité de votre mission. En réalité, la question malienne n’est que la face visible d’un iceberg beaucoup plus agité qu’il n’en donne l’air de prime abord. Le séparatisme, les irrédentismes religieux, le trafic de la drogue, le blanchiment d’argent, la faillite des entreprises démocratiques dans ses pays, la corruption endémique, les fléaux écologiques, telles les récentes inondations, la crise sanitaire et la panne de ses économies font de l’Afrique de l’Ouest une région qui incarne plus que tout le retournement du narratif africain.

Vous-même faites face à l’intérieur de votre pays à une dangereuse opposition qui menace votre pérennité au pourvoir dès la prochaine élection présidentielle du mois de décembre. L’économie Ghanéenne est en reflux. La corruption galopante. Les tensions politiques vives et une récente algarade commerciale et diplomatique qui a failli mal tourner avec votre puissant voisin, le Nigeria, constituent des challenges qui suffisent à votre peine.

Les gamineries pouvoiristes de certains de vos collègues, dont ceux de Guinée-Conakry et de Côte d’Ivoire, propagateurs de la Covid politique des temps modernes, à savoir la quête insensée, d’un 3eme mandat, illégitime, rendent encore plus délicate votre mission. Savez-vous qu’il y a plus sournois que ces praticiens des nouvelles formes de coups d’état? Civils, non portés par les hommes en treillis militaires, ils sont certes devenus plus vicieux, dangereux pour la survie des démocraties ouest-africaines. C’est qu’ils remettent au goût du jour la thèse des presidences à vie dans les pays africains. Parce qu’elle est encore plus subtile mais plus létale, la version sénégalaise de ce mal, qu’il faut extirper du corps politique de notre région, mérite autant sinon plus de retenir votre attention.

De quoi s’agit-il? Après avoir fait un parjure pour revenir sur son engagement de réduire son premier mandat à la tête du Sénégal de 7 à 5 ans, puis détourné les suffrages des sénégalais lors de la dernière élection présidentielle de février 2019, qu’il avait perdue, voici donc que Macky SALL, incapable de reculer devant l’indécence, se réfugie courageusement derrière une commission de dialogue politique avec son opposition triée sur le volet, pour tenter de torpiller les prochaines échéances électorales. L’objet est de faire reporter à nouveau les élections locales pour justifier celui de la présidentielle prévue en principe pour 2024. De là à dire que le…génie sénégalais est encore à l’œuvre, il n’y a qu’un pas. Beaucoup l’ont déjà franchi, qui y voient un avatar de la prolongation des mandats par le biais de reports successifs avec l’assentiment d’une servile classe politique, d’une société civile, de forces religieuses, syndicales ou médiatiques pareillement corrompues. Je sais, Monsieur le Président, que du Mali à la Guinée, à la Côte d’Ivoire, jusqu’au Ghana et même au Nigeria, pour ne citer que ces exemples, vous êtes confronté à de difficiles arbitrages.

Ce ne serait cependant pas trop vous demander de dire à Macky SALL d’arrêter ses manœuvres qui pourraient mettre le feu aux poudres dans notre si pacifique pays. Depuis qu’il a été malencontreusement élu, ce pauvre d’hier devenu multimilliardaire par la corruption et la privatisation des actifs publics, ne rêve que d’un césarisme violent, anti-démocratique, dans l’unique but de se visser au pouvoir. Son projet, porté par ses hommes de main dans son parti et par ses relais corrompus au sein des autres corps sociopolitiques, est de faire valider le report de trois à quatre ans de l’élection présidentielle. C’est inacceptable. Dites-le lui ! Autant la Cedeao exige, à juste titre, une transition démocratique au Mali, autant elle ne peut se faire le complice des faiseurs de coups d’états civils, comme Macky SALL, sauf à vouloir être leur acolyte. Les militaires ne sont pas les seuls canards boiteux ! J’ai une idée. S’il persiste à ce que de tels reports des échéanciers électoraux aient lieu, n’hésitez pas alors à lui faire comprendre, au nom de la Cedeao, de l’Union africaine (Ua) et de l’Organisation des nations-unies (Onu), et d’abord de celui du peuple sénégalais, que tout report de la présidentielle déclencherait ipso facto la mise en œuvre d’une transition dès la fin de son mandat actuel, du reste illégitime, en 2024. Des personnalités neutres, sous la supervision de la communauté internationale, en seront chargées.

Cela assurerait la transparence du processus électoral et sanctuariserait l’élection. Sachez-le, Président Akufu-Addo, le Sénégal se porte très mal. Je vous épargne les détails de ce qui s’apparente à une banqueroute nationale pour me limiter à vous demander de ne pas laisser reproduire dans notre pays le même laxisme, ce prisme pro-pouvoir, qui a décrédibilisé la Cedeao au Mali. La question est simple: celle de savoir si l’intégration régionale à l’origine de la création de la communauté le 28 Mai 1975 est destinée à améliorer le bien-être des populations de la région ou à n’être qu’un remontant à un syndicat de satrapes, au service de chefs d’états sans foi ni loi. Du peu que je connaisse de vous, je vous sais brillant mais d’abord un homme conscient et de devoir. Président Nana, je vous le répète votre mission est herculéenne, il ne s’agit rien moins que de sauver la Cedeao. Ses peuples, qui l’ont lâchée, restent vigilants, dans une suspicion croissante.

À vous d’inverser la dynamique ! Nous vous écoutons. *Adama Gaye, ancien Directeur de la communication de la Cedeao est exilé politique au Caire. Il est auteur de Otage d’un État (Éditions l’harmattan, Paris). Ps: voici un an, kidnappé par le pouvoir illégal de macky SALL et retenu en otage par son régime dans une prison pour n’empêcher d’exprimer mes vues contre ses crimes, j’avais fait publier par mes avocats une lettre ouverte aux chefs d’états de la Cedeao. Honte à eux, ils avaient laissé le minable monstre faire son crime. Je vous adjure de sauver ce qui peut encore l’être de la Cedeao. N’oubliez pas le Sénégal et ne l’abordez pas avec sentimentalisme: le mal est profond !

Par Adama Gaye*

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