Dans un entretien accordé à Rewmi Quotidien, Modibo Diop Expert-Consultant International dissèque sur la pandémie de Covid-19, qui impacte lourdement sur l’économie du Sénégal et de l’Afrique. Ingénieur polytechnicien, le président Commission Economie Finances et Fiscalité du Meds invite les acteurs politiques de toute obédience et les intellectuels à faire bloc derrière le Président Sall pour porter le plaidoyer de l’annulation de la dette africaine qui s’élève à 365 milliards de dollars. Interview exclusive !
En visite officielle à Paris, Macky Sall a réitéré son appel pour l’annulation de la dette. Comment analysez-vous cela ?
Il faut d’abord saluer cette visite du président Macky Sall en France. Car, elle conforte un peu les relations entre le Sénégal et la France. Vous savez que ce sont des relations qui sont séculaires mais aussi nous avons aujourd’hui plus de 250 entreprises françaises au Sénégal qui travaillent et c’est pratiquement 30.000 emplois crées. Ces entreprises françaises travaillent aussi beaucoup avec le secteur privé sénégalais. C’était donc une bonne occasion pour le président d’aller renouer les bons contacts entre la France et le Sénégal. Pour en venir à votre question, durant cette visite, le président a reparlé de l’appel de Dakar. Pour mémoire, l’appel de Dakar c’est l’appel pour l’annulation de la dette publique et privée des pays africains. Je pense qu’il faut profiter de cette pandémie pour annuler la dette qui est un lourd fardeau depuis très longtemps et cette pandémie va l’accélérer. C’est pourquoi, je lance un appel aux partis politiques africains, aux groupements professionnels africains et aux intellectuels africains pour qu’il ait un élan de solidarité derrière le président Macky Sall pour l’annulation de la dette du continent. C’est très important parce que dans tous les pays africains nous sommes en train de lancer les programmes de relance post-covid. Mais si cette dette n’est pas annulée ou (ré)échelonnée, les marges budgétaires seront tellement faibles que tous les grands programmes de développement qui vont être mis en place ne pourront pas fonctionner correctement.
Ne pensez-vous pas que le président Macky Sall est seul dans son combat ?
Ce serait dommage parce que ce n’est pas une affaire politique. La dette est un fardeau pour nos pays africains. Imaginez-vous en moyenne dans l’Uemoa nous sommes endettés entre 55 et 70%. C’est-à-dire que 70% de notre Pib représente la dette. C’est beaucoup et ça pose même le problème de la survie des générations futures. Maintenant la Covid a changé complètement la donne parce que la pandémie est arrivée et l’économie s’est arrêtée. Si cette crise sanitaire persiste encore, on va payer des dettes avec le moratoire du G20 qui a été mis en place avec le président Macron. C’est pourquoi je dis que ce n’est pas un problème politique pour Macky Sall mais c’est pour la survie de nos générations futures. Je disais tout à l’heure qu’il faut que les intellectuels africains, les partis politiques et les groupements professionnels fassent un élan de solidarité derrière le président Sall pour alléger la dette de notre continent. Ce n’est pas de la politique mais c’est l’économie qui est en jeu.
Le Meds est membre du Comité Force-Covid 19. Quel bilan tirez-vous de vos activités ?
Dans Force-Covid 19, le secteur privé national était représenté par l’association professionnelle des banques avec Mr Bocar Sy et le Meds avec son président Mbagnick Diop. Le bilan est en cours de réalisation. Mais globalement ce qu’il faut retenir, c’est que sur les 1.000 milliards, une bonne partie a été consommée sur les aspects alimentations, fiscaux et financements. Mais là, nous avons des problèmes sur les aspects bancaires. Parce que les banques n’ont pas tellement suivi les recommandations qui étaient données par le gouvernement pour soutenir les Pme/Pmi. Nous avons fait une analyse du pourquoi. Et je peux vous dire qu’un ensemble de problèmes ont été posés malgré qu’il y’avait un point focal entre les banques, le Fonsis, le Fongip et le secteur privé. Ce point focal nous a permis quand même d’avancer. Mais sur les 200 milliards qui ont été mis à la disposition du secteur privé national, les 10% n’ont pas été consommés. Donc, il va falloir corriger parce que les besoins sont là et il y’a eu beaucoup de problèmes de mise en œuvre. C’est sur cet aspect seulement qu’on a quelques difficultés. Sinon le plan de relance a été globalement un plan qui était nécessaire et qui s’est bien déroulé.
Quel est le plan de relance que vous proposez pour sortir des difficultés ?
Il y a beaucoup de propositions qui ont été faites par le secteur privé national. Nous avons insisté surtout pour qu’on règle ces questions névralgiques économiques liées à l’agriculture, la pêche, la santé…. Nous avons insisté sur ces questions et nous avons fait beaucoup de propositions au gouvernement. On a tenu d’ailleurs une réunion extrêmement importante avec le ministre de la coopération pour donner les propositions du secteur privé national et là, je pense que dans quelques jours le gouvernement notamment le chef de l’Etat va convoquer une réunion importante pour présenter le condensé même de l’ensemble des propositions du secteur privé. Mais ce qu’il faut retenir, c’est aussi bien au niveau du gouvernement qu’au niveau du secteur privé, nous avons mis le doigt là où ça faisait mal. C’est-à-dire sur les faiblesses même de nos économies que la Covid a révélées sur la santé, sur l’agriculture, l’industrie, la faiblesse des Pme, l’hôtellerie. C’est l’ensemble de ces questions qui ont été pointées du doigt et les propositions seront étudiées pour sortir un plan définitif qui sera un plan consensuel qu’il va falloir mettre en œuvre dans le cadre du PAP 2.
Force covid 2019 a été lancée alors que les activités avaient déjà commencé. N’a-t-on pas mis la charrue avant les bœufs ?
Le constat est que Force-Covid 2019 a été créé juste après mais l’essentiel c’est que nous avons un système de contrôle et de suivi qui vient du fait que, dans les négociations entre l’Etat, le secteur privé et les organisations de la société civile, il y’avait un besoin de le faire. Heureusement, on l’a fait et un général a été mis à la tête. Je pense que ce comité Force Covid 19 fait un très bon travail. Maintenant, il va falloir attendre le résultat définitif pour évaluer et voir un peu quels sont les problèmes et comment on peut les solutionner ? Les contrôles se sont globalement bien passés. Les rapports définitifs vont sortir et seront mis à la disposition de toutes les populations après concertations.
Les Pme/Pmi font face à des problèmes de financement. Quel dispositif de soutien proposez-vous ?
La Bceao nous a conviés récemment à une rencontre extrêmement importante au niveau sous régional dans toute l’Uemoa pour évaluer le dispositif de soutien et de financement des Pme/Pmi. C’est un dispositif qui existe depuis pratiquement 2 ans et il fallait discuter avec les banques, avec les entreprises, avec les sociétés d’encadrement comme les Pme et avec la société civile pour voir où on en est avec ces dispositifs. Ça a été très long et c’était pratiquement deux jours de discussion très forte. Les conclusions vont sortir mais ce qu’on a retenu globalement, c’est qu’il est pertinent d’avoir un dispositif de soutien des Pme dans le cadre de la Bceao et de l’Uemoa au niveau sous régional. C’est pertinent et il faut le faire parce que les Pme ne font face qu’à des problèmes de financement. Elles ont beaucoup d’idées mais souvent c’est l’argent qui manque. On a noté aussi qu’il n’a pas eu l’engouement qu’il fallait des banques pour cela. La Bceao a mis beaucoup d’argent dans ce dispositif mais les banques n’ont pas réagi pour beaucoup de raisons. Pour le fait que souvent l’argent existait mais les Pme n’étaient pas structurées pour en bénéficier.
Cette situation n’est-elle pas due au fait que les Pme/Pmi évoluent dans l’informel ?
Il faut reconnaître que 90% de nos entreprises sont informelles. Et pour avoir un crédit en banque, il faut remplir certaines conditions et c’est ce qui manque à nos Pme. Tout le monde était d’accord qu’il n’y a pas eu d’engouement des banques pour ce dispositif malgré que la Bceao ait mis pratiquement à la disposition des Etats entre 2000 à 2500 milliards durant cette période. Les banques qui sont dans leur cadre de garantie classique n’ont pas utilisé l’argent de la Bceao pour financer les Pme. C’est valable pour le Sénégal, le Mali, le Burkina… Par contre, il faut un changement de paradigme de nos organisations communautaires. L’Uemoa est sur des critères de convergences très compliqués. La Bceao mise sur des dispositifs prudentiels très compliqués. Par exemple sur les critères de convergences, il fallait alléger et la Covid l’a montrée. Pendant qu’on demandait 3% de critères de convergences à l’ensemble des nations aujourd’hui on laisse passer jusqu’à 6%. Nos propositions sont allées dans ce sens et il faut alléger les critères de convergence de l’Uemoa mais aussi il faut soulager le dispositif prudentiel de la Bceao. Il faut reconnaître que les Pme sont des Pme locales et que le secteur bancaire africain sous régional est dominé à 2/3 par les banques étrangères. Et ces banques étrangères n’ont pas intérêt à financer nos Pme locales. Donc il y’a une réflexion qu’il faut mettre en place pour mieux outiller nos banques nationales pour que ces sociétés soutiennent nos entreprises. L’idée de changer de paradigme est en train d’être étudiée.
Vous êtes membre du Conseil national du Numérique. Quelle est la situation du numérique au Sénégal?
L’ambition de la stratégie « Sénégal numérique 2025 » au plan économique est de redonner un nouveau souffle au secteur, en apportant de nouveaux relais et sources de croissance aux acteurs, et de porter la contribution du numérique au PIB à 10% à l’horizon 2025. En Afrique, le Sénégal est classé 1er pays africain pour le poids d’Internet dans l’économie (I-PIB) estimé à 3,3%, du fait notamment d’une très bonne connectivité internationale et d’un bon réseau national de transmission. Le Conseil national du Numérique vient d’être installé, il y un mois et demi ; nous travaillons sur les stratégies notamment l’intelligence artificielle, la protection des données, etc. les travaux sont en cours et le Conseil national du Numérique fera ses premières propositions.
M. BA et Cheikh Moussa SARR