La guerre des oppositions

par pierre Dieme

Le débat sur le statut du chef de l’opposition risque de creuser davantage le hiatus entre les oppositions présidentielle, parlementaire et de fait. Pour beaucoup, ce fromage explique le silence d’Idy, dont le camp avait déjà préparé un projet de texte

En plus d’être biaisé, le débat sur le statut du chef de l’opposition risque de creuser davantage le hiatus déjà béant entre les oppositions présidentielle, parlementaire et de fait. Pour beaucoup, ce fromage explique en partie le silence du leader de Rewmi, dont le camp avait même déjà préparé un projet de texte.

C’est un secret de polichinelle. Il y a une guerre latente au sein de l’opposition, entre le Rewmi et le Parti démocratique sénégalais, autour du statut du chef de l’opposition. Mais dans ce débat qui agite le landerneau politico-médiatique, la charrue semble avoir été mise avant les bœufs. C’est en tout cas la conviction de plusieurs observateurs, dont le coordonnateur de l’ONG 3D, Moundiaye Cissé.  

‘’C’est un débat, dit-il, prématuré, dans la mesure où on ne peut parler du chef de l’opposition sans définir au préalable le statut de cette opposition. C’est pourquoi je dis que ce débat a été biaisé. Ce statut de l’opposition devait servir à la consolidation de la démocratie et non autre chose. Mais au lieu de se focaliser sur l’essentiel, on nous parle des avantages et des personnes. En réalité, c’est un faux débat dangereux pour l’opposition’’.

Au-delà du débat autour du chef de l’opposition, il se pose un flou total sur la posture même de certains acteurs de cette opposition. De plus en plus, ils sont nombreux les Sénégalais qui s’interrogent sur les postures de certaines grandes formations qui composent cette entité. A Rewmi, l’absence de prise de position du président dans les affaires relatives à la gouvernance des affaires publiques a même provoqué la démission d’un des responsables, en l’occurrence le secrétaire national chargé de la Défense et de la Sécurité, Colonel Abdourahim Kébé. Dans sa lettre de démission, l’officier à la retraite réaffirmait son engagement politique ‘’pour une opposition forte, cohérente et audible au service exclusif des Sénégalais et du Sénégal’’.

Des attitudes qu’il ne voyait sans doute plus dans son ancienne formation, dont le silence du leader est indexé depuis la dernière Présidentielle.   

Ce qui est valable pour Rewmi et son camp, l’est également pour le Parti démocratique sénégalais et ses défenseurs. Alors que ces deux grandes formations s’éloignent de l’espace public, à l’exception de certaines sorties isolées, un autre parti occupe le terrain, dans son opposition radicale au régime en place. Il s’agit de Pastef/Les Patriotes et de ses alliés. Ce qui fait dire à Moundiaye Cissé qu’il y a trois oppositions : une qui est présidentielle, incarnée par Idrissa Seck, une autre qui est parlementaire (le PDS) et enfin une opposition de fait incarnée par Ousmane Sonko. Dans un tel contexte, souligne-t-il, ‘’il est difficile de parler de chef de l’opposition. C’est un débat très glissant, un débat contreproductif’’.

Pour sa part, le dissident de Rewmi, colonel Abdourahim Kébé, se veut très clair. Pour lui, une opposition qui n’est pas audible n’en est pas une. Et de s’interroger : ‘’Je me demande bien qui est audible en ce moment ? Est-ce qu’on peut donner ce statut à quelqu’un qui est muet ou un collaborationniste ? Une opposition, on doit la sentir. Elle doit toujours être aux côtés du peuple, s’exprimer quand le peuple est confronté à des problèmes. Une vraie opposition ne peut pas laisser le pouvoir dérouler comme ça sur un tapis rouge sans élever la voix. Le chef de l’opposition doit être véritablement celui qui incarne l’opposition’’.

A l’en croire, le fait que cette question ait été agitée est loin d’être fortuit. ‘’C’est comme un appât. Cela pourrait peut-être expliquer l’attitude de certains responsables, qui ressemble plus à un comportement de collaborationniste que d’opposant. C’est de la diversion et c’est le fort de Macky Sall. Chaque fois, il est en train de trouver quelque chose pour, soit diviser l’opposition, soit faire taire certains de ses membres’’.

Un cadeau empoisonné

En plus du risque de dislocation de l’opposition, les avantages annoncés pour le chef de l’opposition risquent de discréditer, aux yeux de l’opinion, celui qui en serait le bénéficiaire. Il y a de cela quelques mois, il était agité l’idée, selon laquelle un budget de deux milliards F CFA et pas mal d’autres avantages seraient prévus, en sus d’être l’interlocuteur direct du président de la République sur tous les sujets majeurs. Pour le colonel Kébé, ce serait irresponsable, pour un responsable de l’opposition, de prendre deux milliards, au moment où les Sénégalais souffrent de plusieurs maux. ‘’En ce moment précis où il y a des difficultés de toutes sortes, pendant que les populations manquent presque de tout, c’est vraiment manquer de respect aux Sénégalais, que de prévoir deux milliards à donner pour un éventuel chef de l’opposition. Le Sénégal a d’autres priorités. Cet argent devrait plutôt être injecté dans les secteurs prioritaires comme la santé, l’éducation…’’. Embouchant la même trompette, Moundiaye Cissé affirme que les Sénégalais n’ont pas d’argent à donner au chef de l’opposition. Selon lui, les termes du débat devaient plutôt porter sur le contenu du statut de l’opposition : par exemple, avoir un égal accès aux médias publics, un égal temps de parole à l’Assemblée nationale, être consulté sur certaines questions majeures, être reçu par le corps diplomatique sans susciter la suspicion… Et c’est après avoir défini les contours du statut de l’opposition. ‘’Malheureusement, on en fait un débat de personnes. Or, le débat devait plutôt porter sur la substance, c’est-à-dire le contenu même de cette loi sur le statut de l’opposition. De plus, il faudrait attendre l’organisation d’autres élections. Car on ne définit pas les règles du jeu pendant le jeu’’.

Le protocole de ‘’Ndamal Kajoor’’

Si le Front de résistance nationale (FRN) a pu exister, c’est pour une grande partie grâce au Parti démocratique sénégalais. Pendant longtemps, le parti d’Abdoulaye Wade a fait la pluie et le beau temps dans le fonctionnement même de cette structure. Mais ce contrôle a toujours été exercé grâce à la présence très forte d’Omar Sarr, de Me El Hadj Amadou Sall et de son allié stratégique Mamadou Diop Decroix. Avec la fronde de ces derniers, le parti de Wade a perdu la main au sein de cette structure. Mis en minorité, le PDS finit par claquer la porte et prend sa propre voie.

Depuis, le Rewmi semble être en pole position pour driver la plus grande coalition de l’opposition. D’ailleurs, à la dernière Présidentielle, la plupart des formations politiques significatives dans ce front avaient accompagné le candidat Idrissa Seck. Muet comme une carpe, le président du Conseil départemental de Thiès ne manque pas d’ambassadeurs pour porter son projet de devenir chef de l’opposition. A défaut d’être le chef de l’Etat.

A en croire nos sources, le projet est surtout porté par Malick Gakou qui a même en sa possession un projet de texte déjà élaboré.

A l’origine de ce débat qui risque d’éclater ce qui restait encore de la minorité politique, certains leaders, non des moindres, du Front de résistance nationale qui roulent manifestement pour Idrissa Seck. Même si l’organisation a toujours essayé de fuir le débat. Du moins en public. Dans son dernier communiqué, les camarades de Moctar Sourang disaient : ‘’Sur la désignation du chef de l’opposition, l’opposition n’a pas de position précise. C’est ce qui sera défendu par les plénipotentiaires.’’ Certains y voient une volonté de filer la patate chaude au président de la République, compte tenu de la divergence des points de vue.

Ce communiqué faisait suite à un article de ‘’L’AS’’, soutenant que la majorité des leaders du FRN pencheraient pour Idrissa Seck. Très vite, Pastef/Les Patriotes s’est démarqué de la démarche et affirme, sans fioriture, que dans le cas où cette désignation devrait être faite, elle devrait être plutôt incarnée par l’opposition parlementaire. Mais pour Pastef, le texte sur le chef de l’opposition ne devrait pas rétroagir. Autrement dit, il faudrait attendre les futures échéances électorales pour désigner le chef de l’opposition. Monsieur Cissé embouche la même trompette.

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