Dans l’indifférence totale des autorités, un drame humain se joue au King Fahd Palace. Les responsables de l’hôtel qui appartient à tous les Sénégalais rallongent et prolongent le chômage technique de quelque 170 employés depuis fin mars. Une pilule amère que Véronique Ndour et ses camarades syndicalistes n’arrivent pas à faire passer.
Les Echos : Apres 5 mois de chômage technique, la direction vient de reprolonger jusqu’au 31 décembre la galère de certains employés, comment appréciez-vous la situation en tant que délégué syndical de l’hôtel ?
Véronique Ndour : Le King Fahd Palace, à l’instar de beaucoup d’hôtels, est touché par la pandémie. Et avec la fermeture des frontières, notre taux d’occupation a connu une terrible chute. Mais, avec la levée de l’état d’urgence, le président de la République a prôné le concept «apprendre à vivre avec le virus», raison pour laquelle un programme de relance du tourisme local a été lancé par le ministre du Tourisme. Alioune Sarr a fait le tour des hôtels de la Petite Côte en brandissant son satisfecit face à la résilience du système hôtelier. Pendant ce temps, beaucoup de grands hôtels ont opté pour un dumping, c’est-à-dire des promotions et l’offre de différents packs pour attirer au mieux la clientèle locale. Mais la direction du King Fahd a opté pour le gel de ses activités au lieu de suivre la mouvance de la relance du tourisme local, ce qui nous a valu une forte baisse du chiffre d’affaire, principal raison de ce chômage technique.
Justement, ce chômage technique comment s’est-il opéré ? Cela concerne combien d’employés et comment le vivent-ils ?
Tout au début de la pandémie, la direction nous a notifié qu’il faudrait que certains employés soient mis au chômage technique. Une première réunion a été convoquée le 20 mars par la direction pour nous proposer un protocole qui stipule que les employés concernés par cette mesure percevront la moitié de leur salaire, soi-disant une alternative au licenciement pour motif économique. Le collège des délégués a naturellement refusé de signer le papier, mais ils sont restés sur leur position, affichant une note d’information à l’attention de tout le personnel. C’est après l’ordonnance du chef d’Etat qu’une deuxième réunion a été tenue pour valider le paiement de 70%.
Que s’est)il passé par la suite ?
A la fin des 3 mois, la direction nous a encore convoqués en réunion qui a finalement avorté. Nous avons quand même insisté pour connaître la suite des événements et tenez-vous bien, la direction s’est permise de prolonger le chômage technique de 2 mois sans en discuter avec les délégués syndicaux et pire, avec une rémunération de 50% seulement. Donc, actuellement, 170 soutiens de famille sont plongés dans une spirale de dette. Durant ces 5 premiers mois de chômage, des pères de famille ont vécu dans la plus grande misère. Si je vous disais le nombre de sollicitations que je reçois tous les jours, vous ne me croirez pas. Il y en a qui n’arrivent plus à assurer la dépense quotidienne de leur famille. D’autres m’ont confié qu’ils ne prennent plus de petit-déjeuner faute de moyens. Chaque fin du mois des employés sont menacés d’expulsion par leurs bailleurs. Lors de la fête de la Tabaski, j’ai dû acheter moi-même des moutons de Tabaski pour certains. Avant que cette situation ne se présente, nous avions toujours une prime de Tabaski de 175.000, mais cette année personne n’a reçu un rond, ce qui a faussé le plan de beaucoup d’entre nous. Au moment où plus d’une centaine de personnes croulent sous les difficultés, des directeurs de la boite se tapent des salaires de plusieurs millions. Il y a un Directeur dont le salaire est bien supérieur à celui d’un ministre et ils ont tous, tous les mois, 70%. Nous voulons juste un système de roulement, un changement d’équipe pour permettre à ceux qui sont dans la dèche depuis tout ce temps de gagner plus, mais la direction dit niet parce que tous ceux qui ont été retenus pour le service minimum sont des hommes de Racine Sy.
Que font les autorités étatiques face à cette situation ? Quelle est la position de votre ministre de tutelle ?
Nous tenons juste à préciser que nous ne sommes pas contre le chômage technique ; nous comprenons parfaitement que la situation est délicate, mais ce que nous ne pouvons pas comprendre, c’est le favoritisme et la stigmatisation dans le choix des personnes qui doivent assurer le service. Comment comprendre que des gens qui ont 29 ans d’expérience soient écartés et que des stagiaires, de nouveaux contractuels soient retenus ? Le problème du King Fahd Palace ne date pas d’aujourd’hui, cette crise sanitaire n’a fait que mettre a nu l’injustice que nous subissons depuis toujours. Neuf (9) mois de chômage technique sans que personne ne bronche. Les employés du King Fahd Palace ont l’impression d’avoir un patron intouchable. Racine Sy fait ce que bon lui semble sans avoir à s’inquiéter de quoi que ce soit. Nous avons saisi le ministre du Tourisme et nous sommes restés sans réponse, parce qu’il était en quarantaine et maintenant qu’il a repris ses activités avec des tournées, nous sommes toujours en attente. Nous étions obligés de nous rabattre chez le ministre du Travail et après nous avoir écoutés, il nous a simplement dit qu’il comprenait, mais que ce n’était pas de son ressort. Depuis l’arrivée de Mamadou Racine Sy a la tête du King Fahd Palace, il n’y a plus de comité de gestion. Personne ne dit rien sur la gestion que nous décrions. Les autorités ont la responsabilité de veiller à la bonne marche du King Fahd, c’est le seul hôtel appartenant à l’État. King Fahd a été le seul hôtel à n’avoir pas fermé complètement ses portes, il y avait une délégation espagnole au moment de la déclaration de la maladie au Sénégal. Et maintenant que les choses évoluent, les autres hôtels font des efforts pour s’en sortir, nous notre direction refuse de prendre les marchés à coup de millions, sous prétexte du respect des mesures préventives. Pendant ce temps, les employés souffrent le martyre.
On annonce des rénovations au sein de l’hôtel, comment comprenez-vous que la direction privilégie les infrastructures au détriment du bien-être du personnel ?
C’est la question à mille balles. Ces rénovations en question ont été annoncées depuis belle lurette. C’est juste une façade pour leurrer les gens. Le King Fahd Palace traverse de grandes difficultés. Nous qui sommes là, depuis huit ans, nous n’avons eu aucune augmentation, alors qu’il a octroyé des salaires faramineux à certains.
Ndèye Khady DIOUF
LES ECHOS