Conformément à la directive présidentielle, la Commission cellulaire du Dialogue politique, par le biais de son président, le général Mamadou Niang a remis au président du Comité de Pilotage du Dialogue national le rapport sur les travaux effectués depuis juin 2019. Il fait ressortir qu’à ce jour bien des points de consensus ont été trouvés entre la majorité, l’opposition, les non-alignés, la société civile et structures participantes. La divergence majeure a trait à la question du cumul des fonctions de chef de l’Etat et chef de parti. Le président Macky Sall est appelé à arbitrer ce qui semble être une diversion de la classe politique contre le peuple surtout que cette question éclipse les vrais enjeux du moment comme le bulletin unique et la mise en place d’une vraie Commission électorale indépendante.
Parmi les points consensuels, on note essentiellement le report des élections locales qui devaient se tenir le 1er décembre 2019 au mois de mars prochain, l’audit du fichier électoral par des experts indépendants, l’évaluation du processus électoral, l’élection au suffrage universel direct des maires et des présidents de conseil départemental, tête de liste majoritaire, la suppression du parrainage aux élections locales. A cela s’ajoutent l’harmonisation du pourcentage de la répartition des sièges des élections départementales avec les élections municipales (45 % au scrutin de liste majoritaire et 55 % au scrutin de liste proportionnelle), l’élection de la tête de liste proportionnelle comme maire de ville (55 % sur la liste proportionnelle et 45 % issus des conseillers élus sur les listes majoritaires dans l’ordre d’inscription).
Il faut toutefois souligner que le Dialogue politique bute sur a suppléance en cas d’indisponibilité temporaire ou définitive du maire ou du président du conseil départemental. Autre point d’achoppement, l’autorité en charge de l’organisation des élections. Mais la principale pomme de discorde est constituée par le cumul entre les fonctions de chef de l’Etat et de chef de parti politique. Sur cette question, la position de la majorité est très claire. Elle estime qu’il n’est même pas question pour son chef, le président Macky Sall, de quitter la tête d’un parti qui n’est pas encore structuré.
La suppression du cumul des fonctions, une exigence démocratique
Le pôle des non-alignés, le pôle de l’opposition et la société civile sont d’accord sur une suppression du cumul des fonctions de président de la République et de chef de parti ou de coalition de partis. Les non-alignés, l’opposition et la société civile soutiennent que la séparation des deux fonctions est une exigence démocratique parce qu’elle permet d’éviter une confusion institutionnelle. Combien de fois n’a-t-on pas vu des hommes politiques opposés au pouvoir en place être arrêtés voire embastillés sous l’accusation d’offense au chef de l’Etat ? Ce alors qu’ils soutiennent qu’ils n’ont pas attaqué le chef de l’Etat mais le chef de parti. Ce qui signifie que laisser une seule personne cumuler ces deux fonctions peut nuire aux opposants du chef de la majorité.
En 2013, quand Mouhamed Massaly a été interpellé par la police pour « offense au chef de l’Etat », il a déclaré qu’il s’adressait au chef du parti et non à l’institution qu’incarne le président Macky Sall. Mais, depuis février dernier, la majorité soutient que les arguments avancés par les adversaires dudit cumul ne lui conviennent pas. Benoit Sambou, plénipotentiaire de la majorité, expliquait ceci pour justifier le désaccord de Benno Bokk Yaakar (BBY) : « Abdoulaye Wade disait qu’il n’abandonnera pas ses militants, après son élection. Les Sénégalais considèrent que le président de la République est la clé de voûte et que, dans le parti, c’est lui qui est le leader. Un pouvoir, dans tous les pays du monde, s’adosse sur un parti fort. Que ce soit aux Etats-Unis, en France ou ailleurs, aucun régime ne peut se passer d’un parti fort. Dans notre pays, avoir un parti fort, c’est avoir un leader fort et le leader, c’est le président de la République ».
« La seule fois qu’il y a eu tentative de coup d’Etat au Sénégal, c’est quand le président de la République n’était pas chef de parti. On a tout de suite eu une crise institutionnelle, quand le président de la République a cessé d’être chef de parti. De ce fait, les arguments avancés selon lesquels il y a le risque d’offenser le chef de l’Etat en s’adressant au chef de parti, ne tiennent pas » avait répondu Benoit Sambou à l’opposition, aux non-alignés et à la société civile.
De Senghor à Macky Sall, tous les chefs d’Etat ont cumulé les deux postes
De Senghor à Macky Sall en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, tous les quatre chefs d’Etat du Sénégal de nos indépendances à nos jours ont cumulé les deux fonctions. Senghor avait cumulé le poste de président de la République avec celui de secrétaire général du Parti socialiste (anciennement Ups) jusqu’à son départ du pouvoir en décembre 1980. Son successeur ne fera pas moins même si son principal opposant, l’avocat Abdoulaye Wade, l’avait poussé en 1996 à créer un poste de président du parti assisté d’un Premier secrétaire à qui il avait délégué quelques responsabilités.
Abdoulaye Wade, qui avait toujours dénoncé ce cumul sous son prédécesseur, en fut le chantre quand il accéda au pouvoir en 2000. Autrement dit, il se garda bien d’abandonner ses fonctions de secrétaire général national du Parti démocratique sénégalais (Pds) une fois devenu président de la République. Son successeur Macky Sall a été plus réservé sur la question même en signant la Charte des Assises nationales. D’ailleurs, invité de l’édition spéciale de la 2stv du 31 décembre 2011 animée par Pape Alé Niang, Macky Sall avait abordé ledit sujet avec circonspection. Citons quelques extraits de son intervention de cette soirée-là. « Je pense qu’il y a effectivement une sorte d’exigence citoyenne nouvelle qui voudrait que le président de la République ne soit pas en même temps chef de parti. Les intellectuels sont très friands de ces questions et l’exigent même. Je crois aussi que les électeurs militants ne comprendraient pas forcément qu’on dise que le Président, une fois élu, quitte le parti. Alors, ce débat nous y sommes. (…) Donc, il y a une sorte d’exigence populaire qu’on peut comparer à celle des élites, de la société civile. (…) Encore une fois, je ne défends pas l’absolue nécessité pour le Président de rester chef de parti. Je suis très ouvert sur cette question, mais chaque fois que je dois prendre une décision, je dois bien réfléchir parce que dès lors que je m’engage, je suis tenu de respecter mon engagement. (…)
C’est pourquoi quand, après son élection, la Commission nationale de Réforme des Institutions (CNRI), dirigée par le Pr Amadou Mokhtar Mbow, a recommandé la dissociation des deux postes incriminés, la meute de l’APR s’est ruée sur lui sans aménités.
Que lui reprochait-on ? Les dispositions de l’article 63 du projet de Constitution de la CNRI. Ces dernières stipulaient que « le président de la République ne peut exercer aucune fonction dirigeante dans un parti politique », que « la fonction de président de la République est incompatible avec l’appartenance à toute assemblée élective nationale ou locale ainsi qu’avec l’existence de toute autre fonction, publique ou privée et que durant l’exercice de ses fonctions, le président de la République ne peut exercer aucune fonction dirigeante dans un parti politique ni appartenir à toute autre association. »
Aujourd’hui, la majorité reste intransigeante sur la question du cumul des fonctions de président de la République et de chef de parti. Une chose est sûre : Le Président Macky Sall à qui reviendra le dernier mot pour arbitrer ne tranchera jamais en scient la branche sur laquelle il est assis.
Une diversion qui occulte les véritables questions
Dans tous les cas, la question du cumul des postes de chef de parti et de chef d’Etat ne doit pas retarder les travaux de la commission du Dialogue politique. S’il faut réformer, il faut insérer la disposition dans les statuts des partis politiques comme l’a fait le Pastef. Une fois le leader du parti élu président, il n’est plus le chef du parti. Mais il faut tout de même dire que le leader politique élu président de la République, même s’il quitte statutairement la tête du parti, aura toujours une mainmise sur la direction de l’appareil qui l’a porté au pouvoir.
Quand on est président de la République dans nos démocraties, on contrôle tout même si des lois, normes ou statuts l’interdisent juridiquement. Abdou Diouf, président du parti, dirigeait à sa guise le PS même si c’est à feu Ousmane Tanor Dieng que revenait cette charge officiellement au cours des cinq dernières années de son pouvoir. Et malgré la séparation des trois pouvoirs, chaque président de la République manipule comme il le veut l’Assemblée nationale et le pouvoir judiciaire. C’est dire donc que la dissociation des postes de chefs d’Etat et de parti n’est qu’une diversion, un écran de fumée qui oblitère les véritables questions comme l’instauration du bulletin unique et le choix d’une vraie commission électorale indépendante.
Le Témoin