Les chefs d’Etat de la CEDEAO avaient commencé par bander les muscles, préméditant le pire scénario et promettant le feu aux putschistes à pendre sur la place publique. Leur élan belliqueux a été freiné par la France qui a rappelé à ses gouverneurs que leur fauteuil ne vaut pas plus que ses intérêts. Macky SALL l’a affirmé, « plus de 250 entreprises françaises opèrent au Sénégal ». Si celles-ci ont besoin de rafler les marchés juteux et de se positionner dans les secteurs les plus stratégiques, elles ont aussi besoin de paix et de stabilité pour continuer à pomper davantage de fric. La logistique de répression disponible, la démocratie de façade acceptée, celui qui se fait lâcher par son Peuple et son armée, sera aussi abandonné par la France.La montagne accouche d’une souris.
Partis sur les chapeaux de roues, les chefs d’Etat ouest-africains sont arrivés chancelant. «La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) demande la désignation d’une personnalité civile, reconnue pour ses qualités professionnelles et sa probité intellectuelle et morale, qui sera chargée de diriger la transition. Et aussi d’un chef de gouvernement chargé de conduire le gouvernement sous la responsabilité du président de la transition. Ce gouvernement sera en charge de faire face aux différents défis du Mali et, en particulier, préparer les élections législatives et présidentielles, dans un délai de 12 mois ». Cette nouvelle déclaration du chef de l’Etat nigérien, Mahamadou Issoufou, président en exercice de la CEDEAO, contraste à bien des égards de la toute première faite par l’Institution sous-régionale aux instants qui ont suivi la démission d’Ibrahima Boubacar Keïta. Alors, il était question pour les chefs d’Etat de « l’activation immédiate de la Force en attente de la CEDEAO ».
Au-delà de « la mise en œuvre immédiate de sanctions contre tous les putschistes et leurs partenaires et collaborateurs », Issoufou et ses homologues étaient prêts à en découdre avec les militaires pour rétablir IBK dans ses fonctions. Et, comme nous l’avons indiqué dans notre chronique précédente, ce ne serait guère pour leur amour déclaré à la démocratie qu’ils n’appliquent pas dans leurs pays respectifs mais pour ne laisser aux Maliens le privilège d’inspirer les autres qui souffrent des mêmes maux. Si les chefs d’Etat de la CEDEAO ont douché leurs velléités punitives c’est, en grande partie, parce que la France a indiqué une autre voie, différente de celle dans laquelle ils se sont engouffré et qui mène au matraquage du Peuple et à la guerre civile.En déclarant que « la France se tenait comme elle l’a toujours fait, aux côtés du peuple malien», le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a radicalement changé l’option militaire que surtout Alassane Ouattara et Alpha Condé faisaient sienne.
« La paix, la stabilité et la démocratie sont notre priorité », a renchéri Emmanuel Macron qui montre que, dans cette crise malienne, les intérêts des chefs d’Etat de la CEDEAO sont aux antipodes de ceux de son pays. Si Macky SALL et ses homologues s’évertuaient à ne pas permettre l’exemple dans ce contexte d’épidémie du troisième mandat, pour le pays de Marianne, la logique est toute autre. Fort de son service de renseignement bien établi au Mali, la France a compris qu’il en était fini pour IBK et que son rétablissement dans ses fonctions relevait d’utopie. Pour Macron et la France, la prochaine étape, c’est trouver un autre gouverneur au Mali.Tout comme Alassane Ouattara et Cie, la démocratie, c’est le cadet des soucis de la France plus préoccupée par le prix du café, des hydrocarbures etc. en Hexagone. Pour en donner la plus parfaite des illustrations, il n’est point besoin de chercher dans les 38 ans de pouvoir de Paul Biya ou les 30 ans d’Idriss Déby et ses « maréchaleries » ou même dans la tente que Mouhammar Khadafi a étalée à l’Elysée. L’évincement de Pascal Lissouba, décédé cette semaine, suffit comme exemple.
En effet, après le cours magistral de démocratie que Mitterrand donna, le 20 juin 1990, à ses homologues de l’Afrique, des conférences nationales se sont tenues un peu partout sur le territoire africain. Le Congo, à l’instar des nombreux pays francophones en crise, organisa la sienne qui adopte une nouvelle Constitution préconisant le multipartisme. Mais, Denis Sassou Nguesso, qui est issue d’une ethnie minoritaire du Nord, risque de perdre le pouvoir aux élections présidentielles, les premières démocratiques du pays qu’il a fixées sous la pression. Pour le sortir d’affaire, ELF, alors société publique française, va dénicher Pascal Lissouba avec qui il passe un ténébreux accord. Lissouba, ancien Premier ministre, éloigné des affaires depuis longtemps mais qui a la chance d’appartenir à l’ethnie majoritaire du Sud du pays(les Nzebis) est d’accord pour retrouver le terrain politique. Il met en place une stratégie financée par ELF. Il remporte les élections avec plus de 60%. Mais, une fois élu, Lissouba, que les Français pensaient trop malléable, rompt les accords du deal et veut gérer le pouvoir selon sa convenance. Sûr de son assise populaire, il écarte systématiquement Sassou Nguesso ainsi que tous ses proches du pouvoir. Les responsables de ELF se braquent et refusent de verser l’argent qui perfuse l’administration congolaise et tient debout son armée.
Acculé, le nouveau président fait appel à Oxy, une multinationale pétrolière américaine. Cocue, giflée, la France, qui ne pouvait comme elle l’avait fait au Gabon, intervenir directement au risque d’affronter les USA, va aider Sassou Nguesso, en finançant gracieusement sa milice de Cobras décidée à débarquer Lissouba. Une guerre civile de plusieurs années va en découler. ELF, qui avait, entretemps, pris pied en Angola, appuie Dos Santos qui se débarrasse de Jonas Savimbi, le chef rebelle qui perturbait l’exploitation du pétrole. Ce dernier vaincu, l’Angola apaisée, les forces spéciales de son Président braquent leurs armes sur le Congo. Lourdement armés avec des équipements de dernier cri, les soldats de Dos Santos font une bouchée de la garde rapprochée de Pascal Lissouba qui capitule. Denis Sassou Nguesso reprend les rênes du pouvoir qu’il ne lâche toujours pas 23 ans après. Le 3 septembre dernier, c’est le tapis rouge que la France lui a déroulé à l’Elysée.La France ne pouvant se départir de l’Afrique au risque de dégringoler économique, d’être une puissance, s’appuie sur des hommes en mesure de veiller sur ses intérêts.
Et tant que ceux-ci sont saufs qu’importe la tunique de l’homme qui a aidé à y parvenir. Blaise Compaoré avait pris le pouvoir par les armes et jusqu’à son renversement, il tenait une place de choix dans la France-Afrique. Cette realpolitik, Macky SALL l’a comprise avant même d’être élu président. Ainsi, au lendemain de son élection, il n’a même pas attendu de prendre officiellement fonction pour aller prêter allégeance à la France. Depuis, tout ce qui brille au Sénégal, c’est pour la France. « Plus de 250 entreprises françaises opèrent au Sénégal, pour plus de 30 000 emplois créés », a-t-il déclaré, ce 27 juillet 2020 à Paris, lors de l’Université d’été du Mouvements des entreprises de France (MEDEF) dont il était, dit-on, l’invité d’honneur. Une déclaration qui met en exergue non pas une coopération entre deux Etats, mais un parasitisme aux antipodes des intérêts du Sénégal. «Dans cet esprit de simplification et de diligence, l’Agence pour la Promotion des Investissements et des Grands Travaux (APIX) a désigné un point focal pour faciliter aux investisseurs du MEDEF les démarches administratives », assure-t-il. Pour Macky SALL, qui donne ainsi des gages de loyauté, le Peuple est sous contrôle… jusqu’à preuve du contraire.
Chronique de WATHIE