Les voies d’un système éducatif endogène

par pierre Dieme

Retour sur la conférence virtuelle animée ce week-end par Souleymane Bachir Diagne, Mamadou Diouf et Fatou Sow Sarr, concernant les contours d’un système éducatif axé sur des valeurs sénégalaises

En prélude au Magal, l’Université Cheikh Ahmadou Bamba organise une série de webinaires animée par des personnalités de haut niveau. Le premier panel virtuel a réuni, samedi dernier, les professeurs Souleymane Bachir Diagne, Mamadou Diouf et Fatou Sow Sarr. Ces derniers ont démontré la manière de doter le Sénégal d’un système d’éducation endogène en se fondant sur l’éthique et les valeurs sénégalaises.

Samedi dernier, lors de la conférence virtuelle, le Pr Souleymane Bachir Diagne a ouvert les débats en se prononçant sur l’éthique du développement et du progrès. Ainsi, il est largement revenu sur l’exemple du mouridisme dont la philosophie, dit-il, n’est ni statique encore moins nostalgique.

«C’est une philosophie du mouvement. C’est un soufisme de l’affirmation de soi, de l’action et de la confrontation avec la réalité du monde. Plutôt que l’évasion dans la contemplation et l’extinction», a soutenu Monsieur Diagne. Selon lui, il ne s’agit pas de s’éteindre, mais de prendre conscience de celui que l’on est et de réaliser des attributs seigneuriaux. «Autrement dit, au lieu de s’abîmer dans l’océan de la divinité, vous réalisez en vous-même des attributs seigneuriaux. C’est dans ces conditions qu’on est en mesure d’agir dans le monde, de transformer son monde et ce faisant, de se transformer soi-même», a-t-il expliqué.

Rappelant que Cheikh Ahmadou Bamba, comme les autres grands leaders religieux, ont développé leurs enseignements pendant la période coloniale, il souligne que leur première mission était de construire une personnalité africaine pour notre région, une personnalité sénégalaise qui soit hors d’atteinte de tout ce que le colonialisme pouvait avoir de corrosif. Donc, il s’est agi, selon lui, de construire des humains accomplis, des humains qui soient en mesure de transformer leur monde et de se transformer eux-mêmes. «Leur enseignement était donc principalement orienté vers l’éthique. Parce que c’est avec l’éthique qu’on construit une personnalité. C’est notre responsabilité à nous de faire en sorte de réaliser ces valeurs en nous et de nous immerger dans ces valeurs éthiques», a préconisé Pr Souleymane Bachir Diagne. Prenant la parole, le Pr Mamadou Diouf a tout simplement indiqué que l’une des grandes réponses à la crise de l’éducation au Sénégal se trouve dans le projet de Serigne Mame Mor Mbacké. C’est-à-dire une réflexion qui permettrait de se poser les vraies questions relatives à l’organisation de l’enseignement et aux questions qui nous préoccupent aujourd’hui : Un système éducatif endogène. A l’en croire, cette tradition pédagogique a été développée par Serigne Mourtada Mbacké à côté de la tradition plus économique et politique qui est celle de la création d’une communauté. «On la retrouve de façon prégnante chez Serigne Abdoul Ahad Mbacké », dit-il.

 MAMADOU DIOUF S’ELEVE CONTRE AMADOU HAMPATHE BA… 

Parlant par ailleurs du progrès, le Pr Diouf a convoqué un texte de Cheikh Hamidou Kane titré: «Comme si nous nous étions donné rendez-vous». Dans ce texte, la question qui se pose est celle de l’inscription de l’Afrique dans le temps du monde, le sens du progrès et des sciences. A en croire le Professeur Diouf, l’auteur essaye de faire comprendre qu’en fait, nos traditions sont contre le progrès. «Nous n’avons pas une idée du progrès, parce que nous avons un passé qui est mythifié. Nous retournons tout le temps au passé », a-t-il expliqué. Monsieur Diouf dit s’élever toujours contre Amadou Hampathé Ba qui dit : «Un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle ». «C’est une pensée conservatrice, rétrograde. Oui les vieillards ont leur rôle important dans la société, mais on ne peut pas p enser rétroactivement, en regardant derrière. Il faut penser vers l’avant. C’est en cela que la règle de génération comme celle relative au genre sont des règles qui bloquent la société», affirme-t-il. Auparavant, il avait rappelé que les traditions sénégambiennes reposent sur deux règles. «Il s’agit de la règle de la génération –quand on est le plus jeune, on ne peut avoir la vérité-. Ensuite vient la règle du genre -quand on est une femme, on ne peut pas avoir raison», explique-t-il.

FATOU SOW SARR : «L’ISLAM EST JUSTE UN BEL ALIBI POUR RELEGUER LES FEMMES AU SECOND PLAN» 

Quant au professeur Fatou Sow Sarr, elle a abordé la question des femmes dans la transmission des valeurs islamiques. Elle s’interroge d’ailleurs sur la rupture du processus qui avait permis d’avoir autant de femmes érudites dans l’histoire de notre religion. «Qu’est-ce qui s’est passé pour que les femmes soient effacées de la sorte», s’est-elle interrogée. Surtout que, dit-elle, des figures religieuses féminines érudites ont existé par le passé. Elle cite au passage Sokhna Astou Walo, Mame Diara Bousso, Sokhna Maimounatoul Mbacké, Sokhna Mai Mbacké, etc. «Pendant qu’il y a cette rupture, on voit l’apparition de femmes prédicatrices sur l’espace social sénégalais. Mais dans cet espace, nous voyons surtout des femmes qui appartiennent à l’islam alternatif, c’est-à-dire le fondamentalisme religieux, au moment où les autres femmes de l’islam confrérique sont confinées dans les daara et à l’ombre», relève-t-elle avant d’ajouter que ce choc va contribuer à des clivages de plus en plus importants. «Les femmes, à mon avis, devraient bien analyser ces mutations et regarder laquelle de ces conceptions opposées est la plus à même de favoriser les conditions de leur épanouissement», a-t-elle souligné.

En ce qui concerne par ailleurs la présence des femmes dans l’espace public, Fatou Sow Sarr soutient que l’islam n’a jamais interdit l’accès des femmes à l’espace public. Mais aujourd’hui, au fur et à mesure, les femmes sont reléguées au second plan, regrette-telle. «Comme on est dans l’espace mouride, je demande toujours à Cheikh Abdoul Ahad Gaindé Fatma comment il se fait que ce soit des hommes qui sont en avant tout le temps. On ne voit pas les femmes alors que ce sont elles qui ont institué cette manifestation. Je ne comprends pas pourquoi cette récupération des hommes. Nous sommes dans un système qui maintient la femme dans les liens de la domination. Il y a une volonté d’exclusion des femmes de l’espace de décision et de gouvernance. Je pense qu’il faut revoir la philosophie derrière. Souvent, l’islam est juste un bel alibi pour reléguer les femmes au second plan», tranche Pr Fatou Sow Sarr.

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