La gueule de bois dans les ménages

par admin

Et si le mois d’août durait 60 jours? Après la folie dépensière qui a caractérisé les ménages durant la fête, les pères de famille tirent désormais le diable par la queue.

Entre prêts, précarité voire austérité, les lendemains sont durs. Pour colmater les brèches, on est obligé d’en creuser d’autres. Autant d’ingrédients qui risquent de prolonger la disette. La ferveur de la Tabaski s’est estompée. Si la fête fut belle pour toutes les couches de la société, chez les pères de famille, c’est la gueule de bois. A quelques jours de la première fin du mois après la Tabaski, on sort presque la calculette.

Enseignant dans la région de Thiès, Djibril Thiam est fier d’avoir été à la hauteur des attentes de sa famille. Mais aujourd’hui, le stress ne le quitte pas. « Maintenant on joue la prolongation. On sait tous qu’avec les énormes charges liées à la fête, un salaire ne peut pas le supporter. Il a fallu des prêts par-ci, des économies par-là », dit-il. Même s’il dit avoir pris les précautions nécessaires, il estime qu’il est assez difficile de se fier à ses prévisions. « Quand je touchais mon salaire, je pensais avoir tout planifié. Mais avec les imprévus, les innombrables dépenses, tout a été faussé », regrette-t-il.

Professeur de musique dans un lycée de la banlieue, Massamba Soumaré a longtemps hésité avant de prendre son salaire à moins d’une semaine de la Tabaski. « J’étais presque sûr de pouvoir gérer tranquillement les dernières dépenses et les quelques imprévus. Mais je ne sais toujours pas comment j’ai fait pour dépenser tout ce que j’avais. En un moment, j’ai pensé avoir été victime de vol », ironis et-il.

Amadou Sy est délégué médical. Il ne s’en cache pas, la fête l’a ruiné et pour lui, c’est parti pour deux bons mois de galère. « Pour être honnête, je n’avais pas plus de 50 000 francs, le lendemain de la Tabaski. Donc j’ai été obligé de faire un prêt rapidement auprès des proches. Maintenant, la fin du mois approche, il faut payer. C’est ce qui nous met dans une spirale de dettes interminables », regrette-t-il. La Tabaski fut dépensière pour lui. « J’ai attendu de percevoir mon salaire pour acheter un mouton à 120 000 francs. À cette somme, il faut ajouter les frais liés à l’habillement etla restauration. C’est plus de 250 000 francs vite grillés », rend-il compte.

 A l’en croire, le portefeuille est actuellement aussi léger qu’une feuille. « Je ne donnerai pas de chiffre exact mais mes économies ont vite fondu comme beurre au Soleil. J’ai vivoté durant tout le mois d’août. Mais comme si c’était interminable, le mal me poursuit toujours. Je n’ose même pas aller prendre mon salaire du mois d’août. Je sais qu’il est déjà fini. Entre les charges fixes, les dettes, ça va être difficile de tenir plus de dix jours. Du coup, c’est la gymnastique financière pour la gestion des dépenses courantes. « Je n’ai pas encore touché mon salaire, mais d’après mes calculs, il ne me reste que 35 000 alors que les factures et les autres dépenses n’attendent pas. Nous vivons au jour le jour, il va falloir combler le gap par des prêts à côté », assure t-il.

UNE AUSTERITE QUI S’ETERNISE

Environ 200 000 francs cfa suffisaient à couvrir les charges mensuelles d’Ousmane Thiam. L’agent comptable de 41 ans pense qu’il est difficile de maîtriser ses sorties d’argent durant les fêtes. A l’en croire, les dépenses peuvent facilement doubler ou tripler et le drame, c’est qu’au moment de dépenser, on est dans la ferveur de la fête. « C’est comme si on était dans un puits d’argent qui ne tarit jamais. Mais dès le lendemain j’ai commencé à stresser. Je savais que j’avais dépensé plus que mes capacités. Aujourd’hui, le salaire du mois d’août est fini avant même que je ne le perçoive. Il va falloir serrer la ceinture très fort pour y arriver et bientôt on parlera d’ouverture des classes », indique-t-il. Aujourd’hui, chez Mamadou Mbengue, le désarroi et la détresse sont les sentiments du jour et ce, depuis la Tabaski. Et ce n’est pas près de s’arrêter. En effet, pour couvrir les dépenses de la Tabaski, son salaire a certes suffi, mais il a dépensé au détriment des charges classiques. « J’ai été obligé d’activer une tontine pour couvrir les dépenses. Or, quand j’ai adhéré, c’était vraiment pour compléter l’achat d’un terrain. Aujourd’hui, tous mes calculs sont faussés. Je dois revoir tous mes plans. Entre ce que je dois faire ponctuellement, les projets, c’est comme si je dois reprendre à zéro », dit-il, visiblement très préoccupé.

SAVOIR RAISON GARDER 

Père d’une famille de quatre enfants, Bassirou Sall vit bien. Malgré un salaire qui ne dépasse pas 500 000 francs, il arrive tout le temps à gérer toutes les dépenses sans perdre beaucoup de plumes. Selon lui, la fête, c’est une épouse en état de grossesse. On sait tous qu’elle va accoucher. Donc, dit-il, il faut savoir tout planifier. « Il y a une folie dépensière qui caractérise bon nombre de Sénégalais. Si on accepte d’être mené dans cette direction, c’est interminable », tempère-t-il. Selon lui, face à une conjoncture assez complexe, il ne sert à rien de se perdre dans des dépenses parfois inutiles. C’est pourquoi, dit-il, il faut une discipline financière très rigoureuse pour s’en sortir. « C’est bien de se faire plaisir et faire plaisir à sa famille. Mais il faut aussi savoir vivre en fonction de ses moyens », dit-il.

Et notre interlocuteur a trouvé la parade. Après chaque Tabaski, il se paye un agneau qu’il entretient à la maison tranquillement. Le mouton, dit-il, se nourrit des restes de nourritures. « Pour le reste, j’ai un petit pot, je me fixe comme objectif d’y mettre chaque jour 200 francs. C’est avec ça que je gère toutes les petites dépenses même celles de Tamxarit », révèle-t-il. Pendant que les gens stressent, lui est peinard. S’il a une conviction, c’est que la vie est simple pour celui qui vit en fonction de ses moyens. Très équilibré, Pape Sidi lui ne veut pas revivre le même calvaire que l’année dernière où il avait même mis le loyer dans les dépenses. « Des que j’ai perçu mon salaire, la première chose que j’ai faite, c’est de payer le loyer et la ration alimentaire. C’est avec le reste que j’ai géré les dernières dépenses. Aujourd’hui, il ne me reste que des miettes à payer. Le problème chez nous, c’est que nous ne savons pas planifier », lance-t-il.

LES TONTINES TABASKITAMXARIT COMME RECOURS 

Alors que la Tabaski vient à peine d’être célébrée et que la fête de Tamxarit arrive, si beaucoup stressent, il y en a qui sont pépères. Ce sont ceux qui ont eu la bonne idée d’être dans des tontines. Vendeuse de petit-déjeuner à Hann Mariste, Ngoné Sy a perdu son mari il y a de cela deux ans. Mais de son défunt amour, elle a retenu une astuce qui lui sert toujours. « Chaque mois, je verse 15 000 francs.Aun mois de la Tabaski, on me donne 125 000 francs. Deux semaines après, on me donne un lot composé de viande, couscous et des légumes pour les besoins de la Tamxarit. Avec cette astuce dit-elle, la fête est célébrée sans anicroches. Avec une activité informelle, dit-elle, Ngoné ne peut pas se permettre de faire certaines dépenses. Mais selon elle, le moment est venu pour les Sénégalais, particulièrement les femmes, de revenir sur terre. Quand les temps sont durs, dit-elle, il faut savoir se passer de certaines choses qui ne sont pas forcément importantes.

 MAUDIT SOIT L’AVANCE SUR SALAIRE

 En plein dans la ferveur de la Tabaski, Pape Malé n’imaginait pas que la fête finirait un jour et que la routine quotidienne reprendrait. «Non seulement j’ai commis l’erreur de prendre tout mon salaire avant la fête, mais juste après, je me suis permis de prendre une avance sur salaire pour colmater quelques brèches », regrette-t-il. Aujourd’hui, il vient de recevoir un message de sa banque. Son salaire a été viré. Hélas ! Il se trouve défalqué d’un montant assez conséquent. « Je ne sais vraiment pas comment faire. C’est vrai que c’est moi qui ai pris l’avance. Mais aujourd’hui, je ne sais plus où donner de la tête. Il y a la fête de Tamxarit. Il va falloir faire un autre prêt ou demander une autre avance sur salaire. Ça va me mettre dans une spirale compliquée. Et bientôt, ce sera la rentrée des classes », dit-il préoccupé. S’il est agréable au moment de la toucher, l’avance sur salaire est un couteau à double tranchant.

Chauffeur dans un journal de la place, Khadim ne veut plus entendre parler d’avance sur salaire. « Je l’ai prise une fois. C’était après la Tabaski de 2018. Mais à chaque fois, j’étais obligé de la prendre pour équilibrer. Il a fallu que je perçoive mes indemnités de congé pour arrêter la spirale. C’est fini. Je le déconseille à tout le monde, sauf en cas de force majeure », dit-il.

L’as

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