A Propos du Rapport de l’OFNAC sur le COUD : Ces Arguties Qui Ne Sauraient Prospérer !

par admin

Nous assistons de plus en plus à une décrédibilisation brutale des corps de contrôle de l’Etat, dans la plus grande indifférence de l’Etat. Cet acharnement, pour la plupart du temps, servi par des arguments tirés par les cheveux, cache mal l’effroi qui hante certaines âmes inquiètes de la République. On redoute l’indépendance que leur confère la loi, et leur propension à fouiner. On cherche alors à les brider ou à les décrédibiliser pour les empêcher de dénicher les pratiques délictueuses dans la gestion des affaires publiques. Le professionnalisme de ces organes est remis en cause, et on leur prête des desseins fabriqués de toutes pièces. Tous les artifices sont bons pour saper leur capacité à remplir leur mission. Pour protéger copains, parents et alliés, on n’hésite pas à se fourvoyer dans des diatribes d’une rare vacuité, au risque d’entamer le crédit et l’autorité de ces organes, qui sont pourtant des mécanismes de contrôle de premier ordre du dispositif de contrôle des affaires publiques de notre pays. Cette entreprise, sournoise et paradoxale, porte atteinte, par ricochet, au droit du CONTRIBUABLE d’exiger des explications sur l’utilisation de son argent. Pour cette raison, il est important d’être vigilant et de dénoncer ces tentatives, sans relâche.

Dernièrement, des sorties fort remarquées sont venues rappeler au CONTRIBUABLE ce devoir et ce droit de remettre de l’ordre dans sa relation avec les pouvoirs publics. Au Sénégal, le CONTRIBUABLE est le principal actionnaire de notre projet de démocratie. C’est à lui seul qu’on doit allégeance. Pas à un parti, pas à une corporation, pas à une tribu, pas à une personne. 

Explorons, dans cet exercice, quelques exemples récents qui méritent qu’on s’y arrête.
Le rapport de l’OFNAC sur le COUD s’est invité dans une récente interview sur le net (https://senego.com/rapport-ige-les-accuses-ne-sont-pas-forcement-coupables-s-mbacke-ndiaye-senego-tv_1125354.html), dans laquelle un ancien ministre déclarait, avec un aplomb embarrassant, que l’OFNAC avait « terni la réputation du Directeur du COUD » dont la gestion avait l’objet d’une vérification. Plus grave encore, il affirmait que le rapport ne lui avait pas été remis et qu’il avait pris connaissance de son existence « dans la rue ». 

Cette déclaration, ridicule et à la limite de l’irresponsabilité, n’était basée sur aucune preuve. En fait, malgré la fatuité de ses propos, le monsieur donnait l’impression que sa seule parole suffisait à faire accroire une telle énormité. 

Nous mettrons cela sur le compte de l’ignorance, pour être indulgent, parce que monsieur ne sait peut-être pas que l’audit n’est pas un exercice de délation ou une entreprise de diffamation. Au contraire ! Pour faire simple, l’audit est un examen critique qui permet de vérifier des informations données par l’entité auditée, et d’apprécier les opérations et les systèmes mis en place pour les traduire. 

C’est ce que l’OFNAC a fait. Suite à une dénonciation, sa mission avait pour objectif de faire ressortir « les insuffisances organisationnelles avec notamment, le cumul de fonctions incompatibles, le fractionnement des commandes dans les marchés, l’octroi de subventions irrégulières, des pratiques de détournements de deniers publics ». Au terme de l’engagement, « le rapport issu des enquêtes et investigations menées… et établi, conformément aux normes professionnelles, accompagné des éléments probants recueillis, a été transmis à l’Autorité judiciaire compétente pour que les poursuites soient engagées ».

Langage ne plus être plus clair. L’OFNAC indiquait que son travail s’était déroulé en conformité avec les normes en vigueur dans la profession, que son travail s’arrêtait à cette étape, et que les preuves avaient été remises à qui de de droit pour la suite à donner. Si monsieur l’ancien ministre avait lu le rapport avec attention, il n’aurait eu nul besoin de se soumettre à une interview qui, en fin de compte, était plus dévalorisante, pour lui, qu’autre chose. 

Mieux encore, en Juin, 2019, la Directrice de l’OFNAC s’était exprimée clairement sur le sujet (cf.:https://www.lequotidien.sn/rapport-de-lofnac-coup-de-coud-de-seynabou-a-bass-le-procureur-na-pas-a-nous-retourner-le-dossier-il-na-qua-saisir-son-juge-dinstructi/). Après avoir affirmé que l’OFNAC avait bel et bien recueilli la version de « la personne incriminée », elle ajoutait que : « … L’OFNAC ne travaille ni sous l’autorité ni sous la direction du Procureur de la République. Ce sont les officiers et les agents de Police judiciaire qui travaillent sous son autorité… L’OFNAC n’est ni l’un ni l’autre. Le dossier du COUD a été transféré au Procureur de la République depuis quatre ans. Je l’invite plutôt à exploiter les dossiers de l’OFNAC pour prendre une décision ».

Alors qui croire ?: Monsieur l’ancien Ministre ou la Directrice de l’OFNAC ? Si cet ancien ministre veut soigner sa crédibilité et ne pas laisser l’impression qu’il parle comme ça, en l’air, il ferait bien de dire au CONTRIBUABLE comment le travail de l’OFNAC, sensé contribuer à la nécessaire reddition des comptes qui fait tant défaut dans ce pays, nuit à la réputation d’un employé de l’Etat. Ce genre de verbiage renseigne plus sur son auteur qu’elle n’étaie une thèse, quelle qu’elle soit. 

Mais prenons un autre exemple : celui du Procureur de la République. Lors de sa conférence de presse sur les révélations de la BBC (12 juin 2019), (https://www.youtube.com/watch?time_continue=2921&v=LHACPvFl7DY&feature=emb_logo), le Procureur de la République déclarait que « l’exploitation du rapport nous a mis en face de difficultés assez sérieuses. Les difficultés auxquelles il faisait référence portent essentiellement sur « un montant de 127 millions huit cent trente-sept mille cinq cents imputé au commissaire-priseur chargé de vendre le matériel réformé du COUD, et un montant de 82 ou 89 millions…imputé ensemble au directeur de l’époque du COUD, au chef du service de l’approvisionnement et à l’agent comptable du COUD. »
Pour lui, il y a problème parce qu’en « ce qui concerne montant de 127 millions la personne sur qui pèse la charge a été entendue, qui a donné ses explications… Cependant, relativement au montant de 82 millions ou 89 millions, selon la page du rapport, …le directeur du COUD à qui le montant est imputé n’a malheureusement pas été entendu. Le rapport ne lui a pas été encore communiqué… ». Sur cette base, donc, le Procureur de la République a décidé de « Le rapport sera retourné à l’OFNAC pour être utile, c’est-à-dire que pour que le principe du contradictoire soit respecté. » Cependant, ces assertions, qui ont servi de justification pour retourner le rapport à l’OFNAC, posent problème à plusieurs égards.
D’abord, en ce qui concerne le commissaire-priseur, le rapport (page 67) indique que « le Commissaire-priseur, entendu sur procès-verbal, a reconnu avoir encaissé la TVA et les droits d’enregistrement sans procéder à leurs reversements au Trésor public ; le procès-verbal de vente mentionne aussi des frais relatifs à l’intervention de dix-huit (18) manœuvres. Au total, treize millions trois cent quarante mille (13 340 000) francs CFA ont été facturés au COUD au titre des frais payés aux manœuvres. Cependant, le Commissaire-priseur n’a pas pu produire de pièces justificatives pour appuyer ces dépenses. »

Si c’est à cela que le Procureur de la République fait allusion pour démontrer que le Commissaire-Priseur a bénéficié du principe du contradictoire, on peut le lui concéder. Mais alors, il faut noter qu’un procès-verbal est, en audit, ce qu’on appelle un « mémorandum de discussion ». Il fait partie de l’ensemble des documents de travail préparés aux cours de l’engagement et sont référençables. Par conséquent, le procès-verbal de l’entrevue avec le Commissaire-Priseur figurait forcément parmi des « éléments probants » que l’OFNAC affirme avoir transmis au Procureur de la République, en même temps que le rapport. Donc, si le Procureur de la République avait reçu et lu ce procès-verbal, pourquoi n’a-t-il pas fait autant avec celui relatif à l’audition du Directeur du COUD ? De deux choses, l’une : soit le Procureur de la République n’a pas eu le temps de le lire ou alors le procès-verbal en question ne faisait pas partie des « éléments probants » parce qu’il n’y avait simplement pas eu d’entrevue avec le Directeur du COUD. 

Cette hypothèse parait plus probable, et le rapport en a donné une indication à la page 69, où l’OFNAC écrit : « Il convient de signaler que le Directeur du COUD a tout fait pour empêcher l’exécution correcte de la mission de vérification, menaçant ouvertement les membres de l’équipe, posant des actes d’intoxication et intimant l’ordre aux travailleurs du COUD de ne pas déférer aux convocations de l’OFNAC…Ainsi, dès que les vérifications ont commencé à mettre en évidence certaines pratiques, il a initié des actes de sabotage de la mission, relevant de leurs fonctions des agents qu’il soupçonnait d’avoir fourni des informations à l’équipe de vérification. Ce comportement a rendu impossible l’audition de certaines personnes pour permettre de recueillir leurs dépositions sur des faits les concernant ».

Ces informations sont d’une gravité extrême, et le Procureur de la République avait l’obligation d’en informer le CONTRIBUABLE lors de sa conférence de presse. En effet, s’il est établi que le Directeur du COUD avait intimé l’ordre aux travailleurs du COUD de ne pas déférer aux convocations de l’OFNAC, il n’en est que plus probable qu’il avait lui-même refusé de déférer à la convocation qui le concernait. Sans interview, pas de procès-verbal, donc pas preuve du respect du principe de contradictoire. Ce qui est étonnant dans cette affaire, c’est qu’aucun effort ne semble avoir été fait pour demander des explications au Directeur du COUD afin de confirmer ou d’infirmer les assertions de l’OFNAC. Et au milieu de cette nébulosité totale, on ne se donne même pas la peine d’éclairer la lanterne du CONTRIBUALE, comme si cette affaire ne le concerne pas alors que c’est l’utilisation de son argent qui est en cause.

Une autre assertion du Procureur de la République qui pose problème est celle relative au « montant de 82 millions ou 89 millions, selon la page du rapport…imputé directeur du COUD qui n’a malheureusement pas été entendu. Le rapport ne lui a pas été encore communiqué, de même que les personnes qui étaient en charge d’exécuter ledit marché. » 

On ne reviendra pas sur le supposé principe du contradictoire. Toutefois, on notera que la confusion que semble impliquer la formulation du Procureur de la République relative au montant imputé au Directeur du COUD ne résiste pas à l’analyse objective. A la page 68 du rapport, paragraphe 3, on peut lire ce qui suit : « Ainsi, un montant global de quatre-vingt-neuf millions (89 000 000) de francs CFA a été engagé à titre de subvention pour la cérémonie de visite ». Au dernier paragraphe de la page -qui continue sur la page 69- on lit : « Les paiements, pour un montant total de quatre-vingt-deux millions (82 000 000) de francs CFA, ont été faits, en l’absence de pièces justificatives requises ».

Si on lit ces phrases attentivement, on se rend compte que les 89 millions de CFA représentent le montant engagé, et les 82 millions de FCA le montant dépensé. C’est net et c’est claire. Les 89 millions engagés constituent le montant qui est mis en cause -questionned costs, en anglais- d’autant plus qu’il n’avait pas de pièces justificatives pour les dépenses de 82 000 000 de francs CFA). 

Au vu de ce qui précède, il apparait difficile à n’importe quel esprit logique d’accepter que les causes invoquées par le Procureur de la République suffisent pour justifier le retour du rapport à l’envoyeur.

Clôturons cette discussion sur l’intervention du Procureur de la République par l’affirmation selon laquelle le rapport « n’a pas été encore communiqué au Directeur du COUD… ». Ceci est étrange. En effet, la conférence de presse du Procureur de la République a eu lieu le 12 juin 2019. Or dans une intervention datée du 25 juin 2019, la Présidente de l’OFNAC indiquait que le rapport avait été transmis au Procureur de la République depuis 4 ans. Donc, si on comprend bien ce qui s’est passé, au jour du 12 juin 2019, le Directeur du COUD, devenu ministre entre temps, n’avait toujours pas reçu ledit rapport. Cela parait improbable, et seules des preuves émanant du bureau du Procureur de la République peuvent mettre fin à ce yo-yo interminable dans lequel le CONTRIBUABLE fait figure de dindon d’une farce de très mauvais goût. 

Les normes d’audit généralement admises (Generally Accepted Auditing Standards, GGAS en anglais) sont un ensemble de principes et d’exigences qui constituent la base de la manière dont un auditeur prépare, exécute et communique les résultats des audits. Ces normes exigent, entre autres, que le pré-rapport soit communiqué à l’entité auditée pour lui permettre de répondre, par écrit, à tous les points qui y figurent. Après ce processus, ultime étape de l’application du « principe du contradictoire », les Commentaires, in extenso, de l’entité auditée (Management Comments) – est jointe à la version finale du rapport. L’ensemble constitue ce qu’on appelle le « Rapport d’Audit ». 

Donc, la question qui se pose ici est de savoir si le Rapport original que l’OFNAC a transmis au Procureur de la République comprenait les commentaires complets du Directeur du COUD, conformément aux normes professionnelles généralement admises. Le cas non échéant, et en principe, l’exploitation du rapport pouvait être suspendue jusqu’à satisfaction de ce critère. Dans le cas d’espèce, le Procureur de la République aurait eu une bonne raison de remettre en cause le professionnalisme de l’OFNAC. Pour le moment, l’argument servi pour retourner le rapport à l’OFNAC est irrecevable parce qu’il ne démontre pas que le Directeur du COUD n’avait pas reçu le pré-rapport, et donc n’avait pas pu donner sa version des faits de de gestion décrits dans le rapport. 

Passons maintenant à la dernière intervention sur cette affaire : celle du Président de la République lors de l’émission « Grand Entretien » du 31 Décembre 2019 (cf. : https://www.nettali.com/2020/01/03/rapport-de-lofnac-ce-que-macky-sall-na-pas-dit-aux-senegalais/). Cette intervention est la plus déroutante des trois parce que l’argumentation qui la sous-tend se veut cohérente alors qu’elle est spécieuse. Voyons pourquoi.
Dans un premier temps, le Président de la République a déclaré, entre autres qu’on « a mis en place l’OFNAC qui jouit d’une liberté totale dans son travail, sans aucune influence du pouvoir exécutif. » Tout à fait vrai ! En effet, c’est le Président, lui-même, qui a créé l’OFNAC, à travers la Loi n° 2012-30 du 28 Décembre 2012, après son élection au deuxième tour le 25 mars 2012. Le motif invoqué à l’époque était que son gouvernement avait érigé la bonne gouvernance et la transparence en principes à valeur constitutionnelle. Pour lui permettre de faire son travail sans entraves, l’OFNAC était doté de l’autonomie financière, et dans l’exercice de leurs missions, ses membres ne devaient recevoir d’instruction d’aucune autorité. Donc première incohérence : pourquoi est-ce que le Président de la République est intervenu dans une vérification, somme toute normale et routinière de l’OFNAC, malgré le risque évident que son intervention pose sans le déroulement régulier de la mission? A moins de se considérer comme étant exclu du champ d’application de la loi, rien n’autorisait cette intrusion de sa part.

Poursuivant son exposé, le Président de la République, a cru devoir préciser que « Pour vous démontrer que l’OFNAC est indépendante, c’est à travers la presse que j’ai appris cette affaire. C’est au Procureur qu’on a transmis le rapport. C’est dire que les corps de contrôle marchent en toute indépendance… » Tout à fait vrai, une fois encore ! En effet, l’Article14 de la loi portant création de l’OFNAC stipule qu’à l’issue de ses investigations, si les informations collectées et analysées font présumer de l’existence de corruption, de fraude et de pratiques assimilées, l’OFNAC transmet au procureur de la République un rapport accompagné des pièces du dossier. L’Article15 ajoute que l’OFNAC peut proposer à l’autorité compétente d’engager une procédure disciplinaire, et si aucune suite n’est donnée à cette proposition, l’OFNAC informe le Président de la République.

Si on se réfère aux articles ci-dessus, il n’est pas anormal que le Président de la République eût appris l’existence du rapport sur le COUD par des canaux autres que ceux officiels. En fait, le Président de la République n’est impliqué dans le processus de transmission et d’exploitation des rapports de l’OFNAC, et simplement pour information, que si la proposition d’engager une procédure disciplinaire n’est pas suivie d’effet.
Par contre, cette observation du Président de la République convoque une étrangeté qui mérite d’être soulignée. En effet, l’Article 17 de la même loi dispose que L’OFNAC établit chaque année un rapport d’activités…qui est remis au Président de la République…Donc, même si le Président de la République est hors du circuit d’exploitation des rapports, il les reçoit quand même. Dès lors, on se pose la question de savoir ce qui s’est passé pour qu’il n’apprît l’existence du rapport que dans la presse. On notera ici que le rapport est transmis au Procureur de la République et remis au Président de la République.

Le Président continue son réquisitoire en ces termes : « Ce n’est pas parce que l’OFNAC a cité quelqu’un que ce dernier est coupable. Ça ne marche pas comme ça. Deuxièmement, il y a ce qu’on appelle le principe contradictoire qui consiste à recueillir la version de l’accusé. Celui qui est incriminé doit pouvoir répondre point par point. Mais, vous ne pouvez pas vous lever un jour pour dire que tel a fait des malversations ou a donné des subventions. Ce n’est pas ça le rôle de l’OFNAC. On dit que quand je suis parti à l’Université, le Directeur du COUD a dépensé 80 millions. Ce n’est pas l’affaire de l’OFNAC, mais celle du Conseil d’administration du COUD… » Vrai encore, mais ce passage est inquiétant parce que, effectivement et comme il l’a dit, « ça ne marche pas comme ça ».

En effet, l’OFNAC n’a affirmé nulle part dans le rapport que le Directeur du COUD était coupable de quoi que ce se soit. Comme l’a indiqué la Directrice de l’OFNAC, le travail de l’Office s’arrêtait à la transmission du rapport au Procureur de la République, maitre des poursuites, à charge pour lui d’inculper ou de disculper le Directeur du COUD, sur la base des « documents probants » fournis par l’OFNAC et des diligences qu’il aura menées en toute indépendance. Donc, au moment où le Président de la République s’exprimait, il n’y avait pas encore de coupable ; il n’y avait qu’un agent de la fonction publique dont les actes de gestion étaient remis en cause. Alors autre question : pourquoi chercher à protéger quelqu’un qui n’était pas-encore- mis en accusation ?

On ne reviendra pas sur la question du principe du contradictoire ni sur le fait que le Président de la République ait jugé nécessaire ou utile de parler de sa visite au campus de l’UCAD, qui a occasionné des dépenses d’un montant de 82 millions CFA -sans pièces justificatives.
L’on notera, quand même, que les constats de l’OFNAC ne résultent pas d’un coup de sang. Ils découlent plutôt d’un processus d’analyses, de vérifications et de recoupements normé et encadré par des règles professionnelles généralement admises (GAAS), et qui sont soumises à un référencement interne strict à chaque étape de l’engagement. Donc, vouloir présenter, aux yeux de l’opinion, le travail de l’OFNAC sous un angle autre que celui-là apparait comme une entreprise de décrédibilisation d’une organisation dont le Président de la République dit que « Ceux qui sont dans [ce] corps ont été bien formés et ne sont pas des politiciens… »

Le Président de la République dit, par ailleurs, que la subvention de 80 millions que le Directeur du COUD a dépensé « n’est pas l’affaire de l’OFNAC, mais celle du Conseil d’administration du COUD. » Cette assertion est vraie seulement en partie. D’une part, l’article 13 du décret n° 75-890 du 23 juillet 1975 fixant les règles d’organisation et de fonctionnement du COUD exige l’autorisation préalable du CA pour les au titre des subventions (page 68 du rapport). D’autre part, la Loi n° 2012-30, signé par le Président de la République, permet à l’OFNAC « d’analyser et mettre à la disposition des autorités judiciaires chargées des poursuites les informations relatives à la détection et à la répression des faits de corruption, de fraude et de pratiques assimilées commis par toute personne exerçant une fonction publique ou privée » et, pour ce faire « d’entendre toute personne dans le cadre de ses enquêtes ». 

A la page 69 du rapport on peut lire que « …le Directeur du COUD…a accordé ces subventions en l’absence d’autorisation du Conseil d’Administration… ». On le voit donc : le Conseil d’Administration du COUD a un rôle d’autorisation préalable de la transaction, et l’OFNAC a un rôle de vérification de tout le processus transactionnel. Au-delà de l’autorisation préalable du Conseil d’Administration, dont le Directeur du COUD s’est affranchi, il y aussi et plus grave encore, les dépenses d’un montant de 80 millions CFA sans pièces justificatives. Pourtant, ni le Président de la République, ni le Procureur de la République n’ont jugé utile de relever cette insuffisance matérielle. Plutôt que de se focaliser sur une non-conformité de fonds, ils ont préféré mettre l’accent sur une non-conformité de forme, l’un parlant du Conseil d’Administration, l’autre du « principe du contradictoire ». 

Sachant tout cela, le CONTRIBUABLE est en droit de questionner la motivation profonde qui est derrière cette sortie.
Le Président de la République conclut : « …Actuellement, il y a des rapports d’audits. Tous les jours, on amène des gens à la Cour des comptes pour qu’ils paient, parce qu’on leur fait des redressements. Mais on en parle pas.” De prime abord, on est tenté d’applaudir, mais on se ravise rapidement quand on réfléchit aux implications profondes de ces mots. L’OFNAC a été créé en Décembre 2012 et a commencé ses activités en août 2014. Le Rapport Public d’activités 2014-2015 est sorti le 24 Mai 2016. Il comportait 11 dossiers. Or en Juin 2019, la Présidente de l’OFNAC demandait au Procureur de la République « d’exploiter les 17 rapports qu’il lui a transmis ». On peut donc supposer que 6 autres rapports -y compris celui relatif à l’affaire PETRO-TIM- non compris dans le Rapport Public, ont été transmis au Procureur de la République. Si cette supposition est correcte, le Président de la République devrait alors instruire le Procureur de la République d’informer les Sénégalais sur les dossiers qui ont été traités, et le montant des redressements qui en ont résulté. Ceci est important parce que l’argent appartient au CONTRIBUALE, qui a le droit de savoir si tous les montants ont été régulièrement remboursés. Cette information n’est pas un secret ; elle est d’ordre public, et elle doit être vérifiable. 

Bien entendu, la satisfaction de cette exigence pose un problème particulièrement cocasse pour l’Etat. En effet, si les redressements concernent des dossiers du Rapport Public de 2014-2015, alors pourquoi est-ce que le celui du COUD n’est pas inclus dans le lot ? Pourquoi doit-on s’attendre à ce que le CONTRIBUABLE accepte ce traitement différencié ? Nous sommes confrontés ici à une aberration, qui est assimilable à un abus de pouvoir intolérable.

Conclusion

La Section 2 du Rapport Public d’activités 2014-2015 comporte 11 dossiers, dont celui du COUD, qui est le sixième dossier. Les dossiers concernent les secteurs de l’Éducation, de la Santé, des Impôts, de l’Emploi, des Collectivités locales, des Transports terrestres et des Marchés publics. Des indices graves et concordants d’infractions relatives à la corruption, à la concussion, au détournement de deniers publics, à l’escroquerie portant sur des deniers publics, au faux et usage de faux, à l’association de malfaiteurs, à la publicité mensongère et à des violations du Code général des Impôts ont été détectés. Des 11 dossiers, seuls trois (dossiers 8,10 et 11) n’ont pas eu de suite. Tous les autres ont été transmis à l’autorité judiciaire pour que des poursuites soient engagées.

Fait étrange cependant, toutes les interventions -de l’ancien Ministre, du Procureur de la République et du Président de la République- portent sur le rapport du COUD, et uniquement sur les faits de gestion qui sont reprochés au Directeur du COUD. Comme par hasard, ils ont omis de se prononcer sur les autres rapports qui font état des mêmes infractions que celles notées dans le rapport du COUD. 

Par ailleurs, dans le rapport du COUD, l’OFNAC a relevé des irrégularités dans quatre domaines, notamment dans la vente de matières réformées, l’octroi des subventions, le montant des subventions sans bénéficiaires, et le recrutement à titre posthume pour le compte d’un agent décédé. L’ancien ministre n’a parlé que du problème de la vente des matières ; le Procureur de la République a parlé du problème des matières et, dans le cadre des subventions, des dépenses que le Directeur a effectuées à l’occasion d’une cérémonie de visite au Campus, le 31 juillet 2015 ; le Président de la République, quant à lui, n’a parlé que de ce dernier montant qui était relatif à sa visite.

Plus inquiétant encore, parce que plus injuste, personne ne semble se préoccuper des collègues du Directeur du COUD dont la responsabilité est tout aussi engagée dans les faits relevés. On a comme l’impression que le Directeur du COUD est un être exceptionnel incapable de commettre les choses innommables que l’OFNAC à découvertes, et qu’on lui oppose sans lui donner la possibilité de présenter sa version des faits. Au nom de quoi ?
L’aspect sélectif des faits sur lesquels ces autorités se sont prononcées met en cause l’objectivité et l’impartialité avec lesquelles ces faits d’une extrême gravité auraient dû être traités. Le CONTRIBUABLE ne mérite pas ce traitement si cavalier au nom d’un mystérieux impératif.
Le Président de la République est le Gardien de la Constitution et le Conservateur de nos institutions. Le Procureur de la République est l’avocat du peuple dont il défend les intérêts. Tous les deux sont des mandataires du CONTRIBUABLE, et ont l’obligation, et non l’option, de lui rendre des comptes, à sa satisfaction. L’idée de fiat en démocratie est un oxymore. Le PEUPLE a le droit et le devoir de refuser de s’y soumettre, et d’exiger une égale application de la loi. Les organes de contrôles de l’Etat sont les instruments qui aident à assurer la transparence dans l’utilisation des ressources publiques. Aucun agent de l’administration publique ne peut se soustraire à leur contrôle par quelque artifice ou subterfuge que ce soit, et personne ne peut entraver leur indépendance. 

Au terme de son intervention sur le rapport du COUD (12 juin 2019), le Procureur de la République promettait de faire une communication pour « éclairer la lanterne des sénégalais » sur l’ensemble des dossiers de l’OFNAC ; le Président de la République concluait la sienne (31 Décembre 2019) par ces mots d’une effroyable résonnance : « … le Procureur s’est déjà clairement exprimé sur cette question ». Depuis lors, silence sur toute la ligne. Le CONTRIBUABLE attend toujours d’être éclairé, et l’ancien Directeur du COUD continue d’être entretenu par l’argent publique, en tant que Ministre. Si le Procureur s’est déjà prononcé, il serait utile de connaitre ses décisions. Sinon, les Sénégalais attendent de lui qu’il tienne sa promesse d’éclairer leur lanterne.
Dans tous les cas, on peut mettre un arrêt au processus de clarification que les faits relevés dans les rapports de l’OFNAC exigent, mais cet arrêt ne peut être que provisoire. La reddition des comptes, maintes fois différée, aura bien lieu un jour.

CONTRIBUTION Par Falilou Diouf
Auditeur Conseil

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