«Aujourd’hui, des entreprises sont au bord de la faillite et vont bientôt fermer »

par admin

Le président de l’Organisation Nationale pour l’Intégration du Tourisme Sénégalais (Onits) et par ailleurs fondateur du Front Social du Tourisme (Fst), Doudou Gnagna Diop, diagnostique les maux du tourisme sénégalais qui se sont compliqués avec la pandémie de la Covid-19. Deux mois après la levée de l’état d’urgence, il revient dans cette interview pour faire l’état des lieux. Mais à l’en croire, les choses ne se portent pas à merveille.

«L’AS» : Comment se porte le secteur du tourisme depuis la levée de l’état d’urgence?

Doudou Gnagna Diop : Les choses ne se sont pas améliorées. Tout de suite après, il y a eu le coup de l’Union Européenne qui fait que les touristes ne peuvent pas se déplacer. Il y a aussi un problème psychologique global et mondial dans la tête des personnes qui voyagent, les visiteurs touristes. Et cela risque de prendre du temps avant de s’atténuer. Aujourd’hui, il n’y a aucun pays en Afrique où le tourisme a décollé. Et les grands hôtels sont restés au point mort. Même si certains marchent, les prix sont cassés. Et ce sont souvent les Sénégalais qui y vont le week-end ou pour une semaine de repos. C’est ce qu’on appelle le tourisme intérieur qui commence à se déployer un peu, mais timidement. Même parmi les Sénégalais qui avaient l’habitude de partir en week-end dans les hôtels, il y en a beaucoup qui sont très frileux. Ils hésitent parce qu’ils se disent qu’il y a des personnes infectés de Covid-19 qui étaient logées dans certaines chambres. Or, cela ne devrait pas être le cas parce que les chambres sont carrément aseptisées. Je pense aussi que l’Etat doit faire des allègements.(…)Je voudrais aussi attirer l’attention sur le fait qu’on n’entend pas l’Etat comme le patronat. Les gens font comme si tout allait bien alors que ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, il y a des entreprises qui sont au bord de la faillite et qui vont bientôt fermer. Et là, ce serait dramatique, parce que pour recréer l’espace de l’industrie touristique au Sénégal, il nous faudra encore des années. Il faut des formulations et des méthodologies pour le développement du tourisme intérieur. Maintenant, est-ce que ceux qui nous dirigent dans les bureaux aujourd’hui ont cette compétence ? J’en doute.

Que pensez des mesures de réciprocité appliquées par l’Etat du Sénégal notamment envers les pays de l’espace Schengen qui refusent l’entrée aux Sénégalais ?

(…) Il faut savoir que notre industrie touristique pèse lourd dans la balance commerciale. Elle pèse très lourd sur le PIB. Cela absorbe le chômage et réduit la pauvreté.(…) Mais il faut aussi se mettre tout le temps dans la peau de l’autre. Aujourd’hui, l’Europe a intérêt que sa population reste sur place parce que le tissu industriel de l’hôtellerie, du Tourisme, de la restauration de la culture, des théâtres s’est affaissé d’un seul coup. Donc pour eux, l’intérêt est de ne pas laisser échapper leur population vers d’autres destinations en dehors de l’Europe. Je pense qu’il faut réfléchir beaucoup plus loin que de dire : on nous donne un coup, on répond par un coup. Je ne suis pas trop partant pour cela. Parce que nous pouvons aussi négocier. On a des emplois à sauver, des pères et des mères de famille qui sont là égarés, qui n’ont aucun soutien ni moral ni financier et il va falloir trouver une solution. Et le fonds Force Covid-19 ne devrait-il amoindrir le choc. En d’autres, termes, est-ce que la répartition était juste ? Je ne peux pas en dire grand-chose, parce qu’ils sont venus me démarcher mais je leur avais dit d’aller aider les jeunes qui venaient de créer leurs structures. Nous avons 45 ans d’expertise. Je crois que ce sont les jeunes qui ont l’avenir du tourisme entre leurs mains qui le méritent plus que nous. J’ai constaté qu’ils ont subventionné les grands hôtels. Et tout le monde sait qu’au Sénégal, les grands hôtels sont des multinationales. Tous ces hôtels ont des capitaux venant de l’extérieur, un capital étranger. Ils les ont subventionnés ; c’est très bien. Mais il faut voir là, qu’est-ce que nous aurons comme indicateur de performance pour notre économie nationale. Ce sont des questions qu’il va falloir se poser. Mais malheureusement dans notre pays, vous savez comment cela se passe. Si quelque chose est bien, cinq ans après on oublie. Si c’est mauvais aussi, cinq ans après on oublie. On ne va pas revenir en arrière faire un diagnostic, scruter les impacts négatifs ou positifs de ce qu’on a fait. On passe dessus. On a une pléthore de ministres qui passent souvent sans résultats. Tout au contraire, ils appauvrissent le secteur. Mais quand ils quittent le ministère du Tourisme, ils sont nommés dans d’autres sphères. Le tourisme, c’est une industrie et il faut avoir des compétences.

Concrètement, de quoi le secteur a-t-il le plus besoin aujourd’hui venant du gouvernement et des agences du Tourisme?

Je vais commencer par dire concrètement ce dont le secteur n’a pas besoin. Il n’a pas besoin de séminaires, de réunions dans des salles avec les phrases toujours habituelles. Il n’a pas besoin du «m’as-tu vu ?». Il y a des problèmes sociaux. Il y a des gens qui perdent leur boulot, leur pouvoir d’achat et ce sont des pères et mères de famille. Aussi, il y a des Sénégalais qui ont économisé, qui sont rentrés d’Europe qui ont fait des Infrastructures et aujourd’hui, ils risquent de mettre la clé sous le paillasson. Donc, il va falloir agir concrètement pour avoir des clients dans les hôtels. Les Européens ne sont pas prêts à venir maintenant. Et ce qui reste à faire, c’est faire venir les Sénégalais et développer ce tourisme intérieur que je clame depuis quarante ans. C’est transférer les compétences du tourisme dans les localités pour que ça bouge. On ne peut pas centraliser les compétences et les recettes du Tourisme au trésor public à Dakar et laisser la petite auberge qui se trouve à Matam sous la dalle. Ce n’est pas possible, cela ne marchera pas. Et pour développer ce tourisme intérieur, il faut aussi alléger les charges des hôtels restaurants en faisant peut-être comme certains pays qui ont ramené leur TVA de 18% à 5%. Il faut que le gouvernement baisse la TVA, la tarification de l’électricité et de l’eau pour un certain temps (facturation spéciale tourisme et hôtels). Je pense que l’Etat doit aussi faire quelque chose en réduisant les charges sociales sur les salaires en négociation avec le patronat. Pour le reste, c’est à l’hôtelier de faire des efforts pour remonter la pente.

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