“Face à un noeud gordien, on le tranche” -Georges Pompidou, défunt Président français. Par Adama Gaye* L’Afrique de l’Ouest et l’ensemble du continent, sous les yeux désintéressés de la communauté internationale, se trouvent interpellés par une question aux contours aussi éthique que pratique, cornélien: comment réagir face au retour des coups d’état dans une Afrique qui les avaient officiellement bannis ? Par snobisme, oser s’y reconnaître, dans un passé récent, relevait d’un ringardisme difficile à défendre. Cette posture était condamnée de toutes parts. Sans compter qu’il ne manquait pas de snipers, gardiens des vertus, pour rentrer dans le lard de l’étourdi qui se hasardait à trouver quelque rationalité à ce qui était perçu, de plus en plus, comme une hérésie politique… La doctrine hostile aux coups d’états, coulée dans du marbre, confinait au devoir de considérer, sans murmures, les golpe, pronunciamientes, ou putschs militaires comme révolus.
On les disait démodés, d’un autre âge ! Il était donc de saison de la reprendre instinctivement, comme l’ont encore fait, hier, les chefs d’états assiégés de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Coup de force Réunis en vidéoconférence, leur voix, unanime, n’a pas tremblé et sa tonalité continue de résonner à travers et au delà de toute l’Afrique. Ils ont récusé le coup de force des mutins Maliens qui a interrompu un ordre institutionnel devenu bancal sous la pression pourtant impressionnante des foules mobilisées contre le régime du Président Ibrahim Boubacar Keita, déchu. Ils ont ensuite accompagné leur condamnation par l’imposition de sanctions spartiates pour mettre à genoux le peuple et les militaires séditieux afin de rétablir ce qui les convient: la normalité ante, en d’autres termes le sauvetage d’un IBK autant membre de leur syndicat que frère maçonnique dans le besoin.
Que les foules maliennes soient sorties par défiance pour dire non à l’ingérence d’une CEDEAO de plus en plus déconnectée de leurs aspirations ou qu’elles menacent de s’opposer physiquement à la venue, ce jour, d’une mission de médiation de haut niveau qu’elle veut envoyer dans leur pays auraient dû être autant d’indices pour faire davantage réfléchir une institution dont la décrédibilisstion, au fil des ans, épouse les formes sinueuses de ses errements décisionnels. Qui peut cependant forcer a voir celui qui ne veut rien comprendre ni observer? Depuis des mois, par grappes humaines aveuglantes par leur nombre, puis dans des réponses sans appel livrées en direct et par tous les moyens de communications, actuels ou anciens, aux autorités de la CEDEAO, parfois humiliées, les Maliens ont pourtant prouvé au monde entier que la souveraineté qu’elles disent vouloir restaurer était dans la rue. Réduit à un symbolisme factice, retranché sur les hauteurs de la montagne Koulouba, siège du peu qui restait des services du pouvoir d’état malien, le Président Ibk, que la CEDEAO tente de légitimer dans un ultime baroud de déshonneur, savait en son for intérieur qu’il n’incarnait plus le cœur et la réalité du leadership de son pays. Il n’était plus qu’un être institutionnel désincarné.
Dans un tel contexte, comme le Général De Gaulle le fit en 1969, après les manifestations massives contre son pouvoir, un an plus tôt, la sagesse recommandait à Ibk de sortir d’une zone de certitudes désuètes, d’admettre la faillite de son droit de gouverner, et de se montrer grand seigneur en remettant son mandat en jeu. Il n’en fit rien, s’arc-boutant avec arrogance et mépris à ce qu’il considérait comme son trône royal voire impérial… Or, le IBK que j’ai connu voici une vingtaine d’années lors d’un vol que nous avions partagé après une audience à Libreville avec feu le Président gabonais, Omar Bongo, a, depuis, perdu sa capacité discursive. À le voir de loin, comme lorsqu’il s’était emmêlé les pinceaux dans un de ses discours sur le terrorisme au Mali, à l’occasion du Forum annuel de Dakar sur la sécurité, ou quand je l’ai revu en début janvier, cette année, à Abu Dhabi à une réunion sur l’énergie, quand il m’avait paru plus centré sur son ego, plus préoccupé d’articuler son français que de convaincre les investisseurs auxquels il s’adressait, cet ibk-là n’était plus que l’ombre du combattant incisif pour la démocratie qu’il avait pu donner l’air d’être dans le passé.
Pouvoir immuable L’hubris du pouvoir, l’arrogance, le népotisme, la fréquentation de chefs d’états partisans d’un pouvoir immuable, au besoin par le recours à la fraude électorale, la corruption et l’usage de la violence d’état, combinés à sa propre équation d’homme qui se voit en deus ex-machina, souverain hors de portée, descendant du héros Malien Soundiata Keita, ont fini par en faire ce qu’il est devenu. Il n’était plus que quelqu’un qui s’imagine propriétaire de droit divin de la souveraineté et des voix d’un peuple dont il ne voyait plus combien il avait pris ses distances avec lui à mesure qu’il s’appauvrissait et subissait les affres d’une endémique mal-gouvernance qui avait érodé joie de vivre populaire et intégrité territoriale d’une des plus vieilles et fières nations africaines. Assis impérieusement sur le couvercle du chaudron bouillonnant que le Mali était sous le feu de son autodestruction, alimentée par ses frasques et bavures, le Président Malien n’a eu de cesse de créer les conditions d’un choc avec le peuple Malien. Il semblait n’en avoir cure, entouré qu’il était de ses derniers flagorneurs et des membres fetards de sa famille, en tête desquels son fils, Karim (encore un !).
Rien ne pouvait lui faire comprendre l’urgence de prendre en compte la révolte montante de la rue. Il n’est pas impossible qu’il se soit gaussé de ne la considérer qu’en simple expression de l’aigreur, de la rancune ou encore de la déception, selon les termes de langages dans les allées des pouvoirs africains, sur cette foule désormais analysée en qualité négligeable quand elle reste constituée des mêmes électeurs cajolés hier mais ramenés en plèbe insignifiante par la suite. Sortie des casernes Fusil au pied, l’armée nationale ne ratait rien de cette césure qui s’élargissait jour après jour. Sa sortie des casernes pour s’aligner derrière le camp victorieux, voire le devancer, n’était plus qu’une question de temps. Elle avait vu l’opportunité qui se présentait pour se poser en sauveur de la matin. Tous savaient en effet qu’il fallait qu’un arbitre intervienne pour éviter le pire. Ayant échoué dans leurs missions de médiations, conçues sur des articulations sans prise sur les réalités actuelles, les dirigeants de la CEDEAO ont donc péché par une incapacité à éviter une violence sanglante qui se préparait mais surtout à se montrer à la hauteur pour accompagner le Mali dans la transition qui, comme au Soudan, se fera ici aussi avec l’armée nationale.
La tâche se trouvait facilitée par les dirigeants Ouest-africains. Ajoutant à leurs bourdes, tout ce qu’ils ont trouvé à proposer est de soumettre le Mali à des sanctions économiques qui, en ces temps déjà pesants de la pandémie de la Covid19, équivalent à donner un coup de massue à un coronavirusé en réanimation. On est en droit de se demander s’ils ont la tête en place ou ne sont conditionnés que par leur ambition, à peine secrète, de se servir du malheur de Ibk pour lancer un signal aux peuples africains. Peu importe ce que nous ferons, y compris nos crimes économiques ou électoraux, semblent-t-ils dire, nous, chefs d’état ouest-africains, ne permettrons jamais aux foules et aux armées de nos pays de nous évincer. En un mot, que tous se préparent à accepter nos manœuvres anticonstitutionnelles pour rester au pouvoir et prolonger à vie nos mandats, légaux ou pas !
C’est une autre façon d’utiliser la violence d’état illégitimement, s’écartant des enseignements d’un Max Weber, en la justifiant par la déshérence des coups d’état militaires et des insurrections populaires par opposition à la normalisation des coups d’état politiques et civils à la mode dans les pouvoirs africains ayant substitué l’autocratie à la démocratie. C’est donc dire qu’en appliquant des sanctions au Mali, la CEDEAO rate une nouvelle fois l’occasion de se montrer imaginative mais directive, verticale, dans une gestion des enjeux régionaux plus complexes que ne le reflètent ses décisions à l’emporte-piece. Serait-elle une organisation qui n’a rien appris de l’histoire?
Qui, parmi les chefs d’état ayant édicté les sanctions étouffantes a compté qu’elles sont susceptibles d’élargir les bases des terroristes au sein du Mali ou des désespérés de la vie s’accroîtront pour rejoindre leurs rangs en plus de semer les germes d’une guerre civile dont les déflagrations toucheront toute l’Afrique de l’Ouest? Qui, parmi eux, a eu en mémoire l’échec général des sanctions économiques dans l’histoire humaine? De celles, contraignantes, de la conférence de Versailles de 1919, qui a jeté le peuple Allemand, qui s’est senti humilié et injustement traité par les puissances victorieuses de la première guerre mondiale, dans les bras d’un Hitler jusqu’aux effets que l’on sait de la deuxième guerre mondiale, jusqu’à celles, contemporaines, constamment violées contre l’Irak de Saddam Hussein, les projets nucléaires des Mollahs Iraniens, le régime criminel de Bachar Assad en Syrie, ou encore l’annexion de la Crimée par la Russie de Poutine, nous avons tous vus que les sanctions économiques ne sont rien d’autres que l’échec de la diplomatie. Elles n’ont jamais rien réglé !
Qu’on ne nous oppose surtout pas celles ayant poussé le pouvoir blanc, ségrégationniste, sud-africain, à aller vers une solution négociée à l’impasse sur laquelle il butait face à la résistance de la majorité noire locale. Ce cas, plus complexe, ne peut être convoqué pour justifier les mesures prises hier par la conférence des chefs d’états de la CEDEAO contre les mutins Maliens. La bêtise, l’aveuglement, des principaux dirigeants de l’Afrique de l’Ouest correspond à un entêtement égoïste à ne pas épouser l’air du temps. Ce n’est la qu’une volonté de justifier demain leurs propres viols des processus électoraux dans leurs pays ou de se soumettre à une reddition des comptes économiques malmenés sous leur gouverne.
D’où leur autisme, qui les fait refuser d’admettre que les coups d’états gagnent en légitimité du fait précisément de leurs reniements à jouer leur propre partition à créer les conditions d’une saine démocratisation, par des élections transparentes, la suppression des barrières censitaires factices, comme les parrainages et les cautions financières institués en barrages aux alternances, les manipulations technologiques des fichiers électoraux, leur rétention, ou encore la multiplication des micmacs en tous genres pour éliminer ou salir la réputation des opposants, tout en réduisant le périmètre électoral à un seul candidat: le sortant qui à vocation à n’être jamais sorti! Partage des rôles C’est ce recul, ce reniement, sur les raisons ayant acté, voici 21 ans, le retour des militaires dans les casernes, dans un partage des rôles avec les civils, qui explique le retour en grâce des coups d’états et de l’intrusion des militaires dans le jeu politique. La captation et l’aliénation des ressources naturelles, financières et le rétrécissement des libertés dans un contexte de crise économique invivable ont forcé les foules et l’armée à revenir sur le terrain.
Tel ne devait plus être le cas en juin 1999, à partir du Sommet de l’organisation de l’unité africaine (OUA), à Alger, auquel j’avais pris part, à l’invitation de l’alors président du Sénégal, Abdou Diouf, quand la décision fut prise de bannir les coups d’états en Afrique. Dans ce moment d’euphorie, nul n’avait alors pensé que des satrapes civils se serviraient d’une décision aussi noble pour assouvir une soif inextinguible de pouvoir. En clair pour s’installer à vie, à la tête des États africains dès qu’ils y accéderaient, en tuant l’idéal démocratique qu’il s’agissait, selon la doctrine anti-coup d’états, de conforter sous le leadership de civils éclairés, alignés sur les meilleures pratiques démocratiques universelles, en ayant tiré les leçons, les errements, économiques et politiques, du passé. Entre-temps, il est vrai, des Macky Sall, au Sénégal, Alpha Conde, en Guinee, IBK, au Mali, Alassane Ouattara, en Côte d’Ivoire, et d’autres à travers le continent, ont cyniquement mis leurs genoux sur le cou des peuples et de leurs aspirations démocratiques. Dans ces conditions, quiconque veut banaliser la popularité des remises en cause violentes des ordres constitutionnels, pris en otage par des civils, sans foi ni loi, fait dans l’hypocrisie. Je n’en serai pas. Et je dis, à haute, intelligible, voix: vive les putschs et à bas les salauds d’une CEDEAO qu’il importe dans la même tombe que leur collègue en crime politique déchu… Militaires et peuple maliens, vous avez conquis mon respect, et le vent de l’histoire, juste, est avec vous. Comme toute l’Afrique. Tenez-bon face aux ennemis du progrès africain sous quelque titre ou fonction ils se présentent. *Adama Gaye, ancien directeur de la communication de la CEDEAO, auteur de Otage d’un État, Éditions L’Harmattan, est un exilé politique au Caire.
Ps: Bravo la France d’avoir pris des distances avec les chefs d’états Ouest-africains en refusant de vous aligner derrière un ibk honni contre un peuple dépositaire de la souveraineté nationale. Soyez ferme, Monsieur Macron !