Aucune digue ne tiendra face au ras-le-bol et aux frustrations des peuples africains. Le sauvetage des pilleurs emmitouflés sous une démocratie détournée deviendra de plus en plus impossible. Par Adama Gaye* La grande Histoire se jouait hier au Mali, portée par un peuple en révolte et une armée soudain ralliée à sa cause, tandis que l’histoire avec petit h renvoyait davantage dans les poubelles pouvoirs et palais figés dans leur réponse hors du temps face aux réalités émergentes, notamment la remise en cause d’un ordre ancien.
Les signes du décalage étaient partout visibles. D’un côté, un président de la commission de l’union africaine, le Fakir, Moussa Faki Mahamat, tout heureux d’annoncer en début de journée que son pays le soutenait pour un deuxième mandat à la tête de l’instance continentale malgré un premier largement failli. Qui ne pouvait voir sa priorité protocolaire? C’est après qu’il se tourna vers le Mali avec l’éternelle condamnation, sans nuances ni recul, du coup d’état militaire qui venait de s’y produire sous les vivats d’une foule enchantée et l’enthousiasme d’une armée enfin libérée pour mettre fin à la chienlit provoquée par l’entêtement du président Ibrahim Boubacar Keita reclus en son palais en s’imaginant pouvoir y rester à jamais. Propriétés privées Les peuples africains dans leur immense majorité en étaient réduits à rire jaune face à ce retard à l’allumage conceptuel d’une union africaine accrochée à sa doctrine de rejet sans réfléchir des coups d’état militaire en feignant hélas de voir les pronunciamentos civils qui ont fini de balafrer hideusement la prétention de maints civils, satrapes de la pire espèce, à gouverner des États africains qu’ils ont transformé en propriétés privées, en les dévidant de leur statut de biens publics.
Qu’un Faki Mahamat plus présent depuis son avènement à la tête de l’UA dans les cérémonies officielles à côté de chefs d’état impopulaires, jamais en phase avec les pulsions des peuples qui en ont marre de l’étreinte intenable qu’ils subissent sous les genoux des pilleurs et pouvoiristes qui les gouvernent, n’est pas étranger à sa production continue d’une réthorique décalée comme celle qu’il a sortie hier avec une seule consigne aux mutins Maliens: rétablissez l’ordre constitutionnel et remettrez un IBK, légume amortie, aux affaires de votre pays qu’il a conduit aux portes de sa disparition ! D’un tel homme aux épaules aussi carrées que sa tête et ses idées, pigeon-voyageur, présidant aux destinées d’une organisation continentale qui a échoué dans son propre agenda par lequel elle s’engageait à faire taire les armes en 2020 et à doter l’Afrique d’infrastructures critiques, l’échec ne peut qu’aller croissant vers la mort programmée de l’institution qui portait à sa naissance au début de ce siècle les espoirs africains.
Le ridicule de son discours martial frisait la folie générale dans les états majors politiques des pouvoirs africains quand on le rapproche avec celui tenu, dans le même souffle et la même dynamique, par les autres organisations qui guettaient le feu vert venu d’Addis Abeba capitale de l’Ethiopie autant que celle de l’UA. Jérémiades insultantes C’est dans cette brèche que le…”brouteur”, Jean-Claude Brou, président de la commission de la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est engagé en déclinant ses ordres au retour à la normalité sans même réaliser que sur le terrain la grande histoire n’avait que faire de ses jérémiades insultantes en fin de compte rapportées à l’irrépressible besoin de changement immédiat, par l’abrogation du pouvoir delegitimé de l’homme dont il voulait sauver la peau. Rires narquois aux lèvres, les maliens se demandaient si la CEDEAO étaient à ce point incapable de retenir quoi que ce soit des échecs de sa médiation, y compris par un 5 majeur de chefs d’Etat, et le surclassement de son envoyé spécial, le décidément Badluck Johnathan, ex-corrompu XXL quand il dirigeait le Nigeria avant d’en être chassé voici six ans.
Sous les pieds des révoltés Maliens, le corps sans vie de la CEDEAO ne suscitait même plus la moindre compassion et nul n’y prêta attention à l’ultime offre, capitulation finale, de son envoyé spécial d’enrôler l’imam prestigieux de la localité de Nioro du Sahel pour qu’il le supplée. Incapable de se calmer, de sortir des sentiers battus de sa boîte à outils révolus dans ses interventions au sein de ses États membres en crise, la CEDEAO a donc acté son identité défaillante en s’imaginant pouvoir empêcher le réveil, la réhabilitation, des coups d’état militaire dont l’avenir est plus que jamais reluisant à la lumière des postures des pouvoirs civils obtus devenus les sangsues qui empêchent les peuples appauvris, privés de liberté, à s’accomplir. Puzzle Il ne manquait que deux pièces pour compléter le puzzle des paumés des pouvoir autour du squelette du Mali dans leur risible volonté de sauver un IBK qui n’était plus qu’un hurluberlu. La première, sans surprise, fut portée par le gaffeur Antonio Guterres, Secrétaire-general d’une Organisation des nations-unies (Onu), qui s’est jeté poings et pieds liés dans la mouvance perdante de la restauration de l’ordre constitutionnel. On est en droit de se demander pourquoi l’ONU est-elle autant alignée sur le sauvetage des officiels honnis en Afrique?
Qui ne se souvient combien elle avait observé une position de neutralité, faite de réserve, lors des changements violents de régimes, de la révolution des Œillets au Portugal en 1974, menée par des militaires ayant mis le pays sur le chemin de la démocratisation, à celles qui ont entraîné la chute des pouvoirs communistes Est-européens en fin 1989 ou encore trois ans plus tôt au triomphe des révolutions dites de couleur en Asie du Sud Est qui l’ont propulsée vers de nouveaux espaces de libertés politiques inconnus avant? Est-ce parce que Guterres compte sur les votes des dirigeants africains pour décrocher un deuxième mandat qu’il ne mérite pas, au même titre que Faki Mahamat, tant il est l’incarnation de la paralysie et de l’étranglement budgétaire d’une Onu désormais conjuguée au passé composé sous divers cercles y compris de certains de ses sympathisants.
La boucle de la faillite de la communauté internationale ne pouvait être bouclée sans la touche de Tintin Emmanuel Macron. Le Président français, dont les frêles épaules sont incapables de supporter le mouvement protestataire des Gilets Jaunes et dont l’échec semble avoir déjà balisé la voie à l’arrivée à la tête de la France de l’extrême droite d’ici deux ans au plus tard, a ajouté au déshonneur de la l’Arlequin communauté internationale en ayant comme premier réflexe de parler hier aux toutous, les caniches, de son pays dans la région Ouest africaine: Ibk, puis les présidents serviles de Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Niger.
Comme s’il ne pouvait comprendre qu’à l’image des forces asymétriques qui déstabilisent par le terrorisme toute la région Soudano-Sahélienne, il se devait de prendre en compte la réalité infrangible des nouveaux acteurs civils et politiques, les puissances intra-etatiques, capacitées par les réseaux sociaux et par leur patriotisme dont le seul tort est d’envisager la construction endogène de leurs pays, notamment par l’exclusion de l’intrigante France et ses menées neocoloniales inspirées d’un Foccartisme de triste mémoire. Les ennemis de la France observeront que son président, sans imagination, n’a même pas eu le réflexe de consulter les Chefs d’état du Nigeria et du Ghana, qui ont pris part à la médiation entreprise à Bamako il y a plus de deux semaines, ni Goodluck Johnathan, désigné comme envoyé de la CEDEAO, ni même le Président en exercice de l’union africaine, le Sud-africain Cyril Ramaphosa, probablement parce qu’ils sont des anglophones et ne tombent pas sous le pré-carré français. La communauté internationale, aux couleurs bleu-blanc-rouge, appuyée sur ses gouverneurs tropicaux ébène, a lamentablement échoué. La reddition, cette nuit, du dictateur Tigadegueh, IBK, en est la symbolique physique.
Reste à espérer qu’elle comprendra que le temps de lâcher les satrapes, pilleurs des états et des démocraties, est venu. Les sanctions que, pour protéger des pouvoirs assiégés en route vers le reniement de leurs engagements démocratiques, divers pays et organisations inter-etatiques ont commencé à prendre pour contenir le contre-exemple Malien, n’auront pour effet que de souligner le départ entre des peuples africains debout et des officiels de tous bords disruptés par un monde en quête d’une nouvelle normalité inclusive, transparente et juste. L’histoire n’est donc pas finie.
Elle a pris un tournant hier au Mali avec des effluves arachidieres qui donnent déjà le tournis aux nostalgiques d’un ordre ancien évanescent. Les chocs à venir seront encore plus ravageurs… *Adama Gaye, ancien directeur de la communication de la CEDEAO, auteur de Demain, la nouvelle Afrique, est un exilé politique sénégalais au Caire. Adama Gaye ici avec Faki Mahamat, Président de la commission de l’union africaine, défenseur d’un ordre injuste, et avec Jerry Rawlings, un militaire qui a remis son pays, le Ghana, sur la voie de l’honneur.